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TUNISIE : Les étudiants subsahariens se bousculent

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Après une baisse due au printemps arabe, le nombre d’étudiants venus de l’Afrique noire remonte vertigineusement depuis 2014. L’augmentation en vue des frais de scolarités pour les non-européens en France sera une aubaine pour les universités privées qui pullulent à Tunis. Le racisme, le coût de la vie, l’interdiction de travailler, l’intégration et le retour au pays après les études… Quotidien de jeunes subsahariens à en Tunisie. Reportage !

« Chez Amanda » n’a rien d’un restaurant. Une villa chic et sans plaque indicative à Louina en périphérie de Tunis. Deux salles qui accueillent les clients et une cuisine moderne. Ici, on se connaît tous. Ibrahim Ogoungbé est un habitué des lieux.  A 32 ans, ce médecin généraliste d’origine béninoise et formé à la faculté de médecine de Tunis peine à quitter cette ville qu’il aime, « je n’ai pas le choix, j’aurais tellement voulu continuer à vivre ici » regrette-t-il. Après ses études, il n’est pas autorisé à travailler en Tunisie et quand, quelques fois il assure une garde hospitalière occasionnelle, il est payé trois fois moins qu’un Tunisiens. Noe est un véritable aventurier qui fait le tour de l’Afrique. Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et une brève incursion en Afrique de l’Ouest, ce sportif camerounais ne se fatigue point. Deux ou trois aventures malheureuses au sein de modestes clubs locaux et une impromptue reconversion dans la culture, il est très connu ici. Exaucée Makaya est la petite voie congolaise de la communauté africaine. Entre les études et les petits boulots, cette passionnée de la cuisine fait du journalisme à ses heures perdues. Quant à Dobe Aboubakar, le célèbre DJ de « Mosaïque Night Club« , il a lancé la Radio Libre Francophone (RLF) qui fait du buzz chez les « Africains » d’ici. Entre les JT de Séguy Messomo, une Camerounaise vite érigée en star et les reportages de Bedel et de Gore, cette radio qui n’émet que sur internet est le symbole d’une certaine tolérance pour les subsahariens de la ville. Car RLF qui n’est pas légale ne semble déranger personne à Tunis. En visitant la capitale tunisienne avec ces jeunes qui ont en commun d’être tous étudiants, on plonge dans les subtilités  et secrets tropicaux  d’une ville où, malgré les clichés et quelques incidents racistes, vivre est pour eux, plus un défi qu’une épreuve.

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A 23 ans, Séguy fait son master en Sciences politiques à l’université Ibn Khaldoun. La Tunisie ? Elle l’a découverte grâce à d’autres étudiants camerounais rentrés au pays à la fin de leurs études ici. Estimée à plus de 2500 étudiants à Tunis, la communauté camerounaise est l’une des plus importantes, derrière les 4000 maliens qui étudient dans la capitale tunisienne. « Nous avons ici d’abord une qualité d’étude meilleure à ce qui existe dans nos pays » concède Ornella, qui à 24 ans, préside l’association béninoise des étudiants et stagiaires de Tunisie.  Avec les Togolais, quelques dizaines seulement, le Bénin a la plus petite communauté au pays des jasmins. Chaque année, la Tunisie offre plus de 400 bourses d’études à toute l’Afrique notamment dans les domaines d’ingénierie et de médecine. Les études sont donc presque gratuites et les étudiants logés dans de modestes foyers à l’écart du centre ville.  « Impossible d’y vivre, il y a trop de bruit » se souvient encore Ibrahim qui n’y a passé que quelques mois. Pendant la durée des études, la Tunisie verse 80 dinars à chaque étudiant. « Pas suffisant pour vivre mais déjà mieux que de rester à Conakry » remarque Fanta, venue il y a seulement un an de la Guinée.

A l’exception du Togo, la plupart des ressortissants des pays francophones de l’Afrique de l’Ouest sont exceptés de visas. Ce qui facilite un afflux qui ne favorise guère l’immigration clandestine. Une fois sur le territoire, l’étudiant a deux mois pour solliciter une carte de séjour, véritable parcours de combattant. Seuls 1 étudiant sur 3 dispose du sésame bleu-azur. Ils doivent se contenter d’un récépissé temporaire qui les expose à des rackettes de la police. Ce qui ne suffit pas pour décourager des jeunes qui sont attirés par un coût de vie abordable. « Mon loyer ne me coûte que 200 dinars » confie Flore qui a besoin d’à peine 200 € pour le mois contre 800 pour sa sœur jumelle en stage à Poitiers en France. L’enseignement en Tunisie est de meilleure qualité, « les diplômes sont reconnus en France plus facilement » pour Fayiçal qui part dans quelques semaines faire sa thèse à l’Université de Nanterre. Le transport urbain, l’accès aux soins de qualité, l’équipement des laboratoires de pratiques constituent tant de raisons pour des subsahariens de se bousculer aux portes des universités tunisiennes

L’épineuse question de racisme

Ici, les subsahariens se sentent chez eux, en tout cas presque. « Il n’y a pas de contrôles de police au faciès comme chez vous en France » ironise Rodrigue, l’un des rares Togolais. Il reconnaît tout de même qu’il y a quelques cas de racisme. « Je ne sais pas si c’est du racisme vraiment ? » se demande Ibrahim qui parle couramment l’arabe. Le jeune médecin béninois pointe « des comportements parfois très extravagants » des siens qui oublient qu’ils sont « chez les autres« . Pour lui, les Subsahariens peinent à s’intégrer et constituent des poches communautaires,  et « tant qu’on ne se laisse pas découvrir par les tunisiens, on criera, très vite au racisme » insiste-il sans convaincre Florence. L’ivoirienne de 26 ans a été agressée la veille à Bab Souika par deux jeunes tunisiens qui l’ont taxée de prostituée. « Elle s’était habillée trop sexy dans un quartier salafiste » rétorque Ibrahim qui minimise, « le racisme existe partout« . Au début des années 1990 qui ont connu une vague important d’immigrations « black » vers le Maghreb, le racisme était récurrent. Mais la délocalisation temporaire de la Banque africaine de développement (Bad) dans la capitale tunisienne de 2003 à 2011 a permis de changer leurs regards sur les Noirs. En découvrant des « blacks » qui ont un niveau d’études important et un pouvoir d’achat nettement plus élevé que des cadres locaux, « ils sont beaucoup moins racistes et ont compris que les Africains noirs peuvent être une cible commerciale pour les produits de luxe » selon Ibrahim. La problématique de l’immigration a engendré, au lendemain de la révolution qui a chassé Ben Ali un regain de racisme vite temporisé par un débat au parlement qui a aboutit à une loi. « Une loi que les autorités tardent à promulguer » déplore Florence. La situation est bien meilleure en Tunisie qu’en Algérie ou en Lybie et la plupart des victimes n’entendent pas céder à la panique. Tout comme Florence, elles espèrent « un mieux-vivre ensemble avec des Tunisiens« .

Débrouille estudiantine et checkup bon marché

Arnaud appartient à ces médecins français qui viennent, de plus en plus, faire fortune en Tunisie. Dentiste, il n’a exercé que deux ans à Lyon avant de débarquer à Tunis. Le premier entretien aboutit à un emploi. Au bout de 3 ans, il prend le risque de lancer sa propre clinique dentaire. Le succès est rapide. « Ici les choses vont très vite » reconnaît le dentiste français d’origine togolaise. Il a multiplié par 3 ce qu’il gagnait en France. Avec deux généralistes, il a lancé en 2015 un organisme pour les évacuations sanitaires. « Les clients viennent essentiellement de l’Afrique de l’ouest et du centre » et sont de plus en plus nombreux. « En moyenne 10 arrivées par semaine« . Des soins de qualité, « presqu’équivalents » de ce qu’on peut avoir en France selon le médecin qui estime à 3,350 € la moyenne par « touriste sanitaire« . Logement, restauration, soins, tourisme, tout compris. Un business qui donne des idées aux étudiants subsahariens qui sont de plus en plus nombreux à créer des sociétés offshore spécialisées dans les évacuations. « Il est impossible pour un étranger de créer une société normale« , alors, pour contourner la loi, « les offshores sont une véritable opportunité » selon Ibrahim. Elles sont autorisées à effectuer 30% de leurs prestations sur le territoire national, paient très peu d’impôts et se créent en trois jours. Véritable aubaine que n’a pas voulu louper Ornella. La présidente des l’association béninoise des étudiants et stagiaires s’est mise en groupe avec d’autres pour tenter sa chance et les premiers clients s’annoncent djà. Pour Ibrahim qui a déjà une société sous la main, « le fait que le Bénin ait suspendu les évacuations vers la Tunisie est un frein » à ce nouveau business avec lequel il se débrouille tout de même. A défaut d’avoir des gardes régulières dans les hôpitaux tunisiens et en attendant d’aller faire une spécialisation en France, le jeune médecin reçoit de temps à autres quelques dossiers. L’évacuation en Europe étant un véritable parcours du combattant, entre les études et les petits boulots, quelques subsahariens sont d’occasionnels agents d’évacuations. Avec à la clé un bénéfice qui peut aller de 350 à 1000 €. Une fortune !

En attente d’un « ailleurs »

Mosaïque. C’est le sanctuaire de l’ambiance pour les Ouest-africains. Au cœur du lieudit  Montplaisir, à la rue de la Côte d’Ivoire qui porte si bien son nom. Avant de quitter Tunis, un détour ici est incontournable. De la musique ivoirienne, de la bière, du vin et du champagne qui coulent à flot. La clientèle, essentiellement de jeunes étudiants en fin de formation qui se donnent régulièrement rendez-vous ici le samedi soir. A 1,5 € la bouteille de bière, c’et plutôt abordable. Ils en profitent bien avec quelques ivoiriennes qui, entre deux mouvements de « Coupé-décalé » enflamment la salle par de réguliers soulèvements de jupettes qui révèlent quelques rondeurs inattendues. Ca crie de partout ! La police elle, se tient à quelques rues. Sans se prendre la tête, il y a rarement d’incidents violents. Dans un coin, une bouteille de Celtia à moitié vide à la main, Yekini racontre volontiers son histoire. « J’ai déjà tenté la mer deux fois, j’ai un prochain rendez-vous en décembre » concède celui qui ne doit son survie lors de la dernière tentative de traversée qu’à un miracle. « On était 43, je suis des deux survivants« . Le nigérian de 29 ans jure qu’il sera en Italie en 2019. « Sans visa ! » s’esclaffe-t-il. Même si c’est rare, il en a qui transite juste à Tunis vers l’Europe. Osant la traversée de la Méditerranée. Mais en général, à la fin de leurs études, beaucoup de jeunes subsahariens tentent d’aller ailleurs, généralement en Europe ou en Amérique du nord, par voie régulière. Avec un diplôme tunisien et une carte de séjour, le visa est moins compliqué.

Et avec la décision du gouvernement de multiplier par 12 à 16 les frais de scolarité pour les étudiants non-européens en France, les universités tunisiennes ont de beaux jours devant, pour les subsahariens qui veulent fuir à tout prix le système éducatif désuet et incertain que leur offrent leurs pays.

MAX-SAVI Carmel; Envoyé Spécial à Tunis

 

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