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Laurence Ndong : « Ali Bongo ne peut plus prendre service au Gabon, son entourage joue la montre »

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Enseignante, puis un bref passage au ministère gabonais de la famille, avant de rejoindre Paris où elle soutient une thèse en sciences de l’éducation. En 2012, elle quitte avec fracas une branche française du PDG (Parti démocratique du Gabon, au pouvoir) et en incarne une critique acerbe. Membre active de la campagne internationale contre les dictatures, « Tournons la page », cette croyante pratiquante est devenue le visage d’une diaspora gabonaise en révolte. Auteur de « Gabon, pourquoi j’accuse » aux Éditions L’Harmattan, elle a son vocabulaire propre quand elle aborde la situation dans son pays. Secs, durs, excessifs, ses mots habillement choisis sont aussi le reflet d’une colère qui ne passe pas. Elle accorde une longue interview à Afrika Stratégies France. Entretien avec une femme révoltée ! Lecture.

Ali Bongo vient de retourner pour 48h à Libreville. Il est vite reparti au Maroc. Pensez-vous que le président gabonais dispose de toutes ses facultés physiques et mentales pour reprendre service ?

Il faudrait plutôt dire que Bongo Ondimba Ali (Boa) vient de faire un tour au Gabon. Il est censé avoir présidé la séance de prestation de serment de son gouvernement dans la journée du mardi 15 janvier et il était censé repartir le jour même ou le lendemain. Tout ceci, à l’abri des médias. Même la fameuse cérémonie de prestation de serment était interdite à la presse. Dans les vidéos muettes qui ont été présentées de Boa au Maroc, d’abord avec Mohamed VI, puis avec la présidente de la cour constitutionnelle, le vice-président et l’ancien premier ministre, il est assis sur un fauteuil normal. Le message véhiculé était qu’il va mieux. Après le discours du 31 décembre, son porte-parole a même dit qu’il a retrouvé toutes ses facultés, qu’il gère le pays et qu’il va bientôt rentrer au Gabon. Et là, sur les quelques images de leur cérémonie de prestation de serment des membres du gouvernement, boa apparaît sur un fauteuil roulant. Finalement, il va mieux ou pas ? Avec tout ça, son clan veut faire croire qu’il signe des décrets et travaille plusieurs heures par jour au Maroc, mais au Gabon, il est incapable de présider un conseil des ministres. Quand on observe toute cette mise en scène, il apparaît clairement que ces gens ont des choses à cacher concernant la santé de Bongo Ondimba Ali. Il ne peut pas reprendre du service, mais comme son camp a été pris de cours, ils ont l’intention de faire durer la mascarade jusqu’à ce qu’ils se sentent en mesure de le mettre de côté tout en conservant le pouvoir. Ils jouent la montre.

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Quelles sont, selon vous, les leçons qu’il faille tirer de cette série d’épisodes depuis le malaise en Arabie Saoudite jusqu’à ce jour ? Est-ce que les institutions gabonaises ont joué la partition démocratique ?

La première leçon à tirer est qu’une dictature est bel et bien un système dans lequel le dictateur n’est que l’une des pièces du puzzle. Aujourd’hui,  Ali Bongo est invalide, incapable de continuer d’assurer les fonctions de Chef de l’État, mais le système le tient. Et pour se maintenir, les membres de ce système n’hésitent pas à l’instrumentaliser, à l’humilier à la face du monde et même à risquer sa vie. La deuxième leçon que je tire de ce qui se passe actuellement au Gabon est que ceux qui le gouvernent aujourd’hui n’ont vraiment aucun respect pour la vie humaine. On le savait déjà pour ce qui concerne la vie des Gabonais puisque pour se maintenir au pouvoir, ils n’ont jamais hésité à les tuer par centaine. Mais là, avec l’instrumentalisation de Ali Bongo durant une maladie aussi grave, les risques qu’ils lui font prendre montrent qu’ils n’ont pas d’égard pour sa vie à lui non plus.

Quelle est aujourd’hui, exactement, la situation au Gabon ?

Le Gabon est dans un état de délabrement très avancé. Sur le plan politique, le coup d’état militaro électoral d’août 2016 et les massacres de population qui l’ont accompagné ne passent pas. La population, plus que certains hommes politiques, refuse de laisser passer cette énième forfaiture. Sur le plan économique, le pays est quasiment en cessation de paiement. Il ne cesse de s’endetter, mais comme le but de ceux qui dirigent est l’enrichissement illicite, les détournements de deniers publics étant inscrits dans leur patrimoine génétique, tout cet argent est continuellement soustrait et la situation ne cesse d’empirer. Lorsque Bongo accède au pouvoir en 2009, la dette du Gabon est d’environ 1800 milliards de FCFA, à peu près 18% du PIB. Aujourd’hui, elle a dépassé les 5000 milliards et représente plus de 50% du PIB alors que dans le même temps, entre 2009 et 2014, le prix du baril de pétrole a été l’un des plus élevé de l’histoire de la vente de cette matière première qui est la principale ressource du pays. Un rapport (2016) de la Commission Nationale de Lutte contre l’enrichissement Illicite dit qu’entre 2006 et 2012, plus de la moitié du budget de l’état a été détourné. Le Gabon en est aujourd’hui à s’en remettre au FMI pour tenter de relancer son économie. Or, on connaît la contrepartie exigée par le FMI, les programmes d’ajustement structurels qui sont souvent néfastes pour le développement humain. Sur le plan social, en dépit de ces énormes richesses, le Gabon ne dispose pas d’un réseau routier digne de ce nom, il y a une seule route nationale qui n’est bitumée qu’à quelques endroits. Le système éducatif est calamiteux, pas assez de salles de classe, les élèves sont 100 en moyenne voire 200 par salle de classe à l’école primaire, au secondaire. À l’université ce n’est guère mieux. La seule cité universitaire de Libreville va être réquisitionnée pour être transformée en lycée alors que l’université elle-même manque de structure. Dans un pays dont le PIB est équivalent à celui du Portugal, par exemple, le salaire minimum est d’environ 120€ (80.000 FCFA), mais vous avez des membres du gouvernement qui se verse des salaires d’un million de dollars par mois (500 millions de FCFA). Je pourrais ainsi égrainer les maux dans lesquels ce régime a plongé le pays. Tout ceci semble surréaliste mais ce n’est qu’une piètre description du mal que ce régime cinquantenaire a fait à notre pays.

Vous accusez souvent les puissances occidentales de soutenir des dictatures africaines. Cela n’est-il pas explicable par la fragilité des oppositions africaines ? On a vu Ping tâtonner pendant l’absence de Bongo sans pouvoir rien faire de concret…

Je ne les accuse pas, ce sont leurs actes qui le montrent. Je ne vais pas refaire l’histoire ici.  Nous savons tous qu’au moment des indépendances, la France a choisi de ne pas laisser les africains de ses colonies choisir leurs dirigeants. Nous savons qu’elle a tout fait pour mettre à la tête de ces états des individus pour lesquels la préservation des intérêts français était plus importante que le bien-être et la vie des populations locales. Omar Bongo Ondimba (père de Ali Bongo, Ndlr) est arrivé au pouvoir en 1967 par une manipulation de notre constitution orchestrée par la France. Qu’il s’y est maintenu pendant 42 ans avec toujours le soutien de la France. Il a triché toutes les élections présidentielles multipartites de 1993 à 2009 sans qu’aucune autorité française ne s’en indigne. Mieux, en 2009, lorsque son fils s’impose au pouvoir après avoir volé l’élection et réprimé les populations, le premier à l’avoir félicité est le président de la république française de l’époque, M. Nicolas Sarkozy. Ce dernier lui a même décerné la Légion d’Honneur en 2010. Plus près de nous, en 2016, Ali Bongo a remis le couvert, élection volée, massacre des populations plus qu’en 2009, attaque militaire sur des civils non armés dans le quartier général du principal opposant qui réclame toujours sa victoire à cette élection, qu’a-t-on observé du côté de la France, RIEN. Mieux ou pire, on a vu, dans une vidéo, l’actuel président français Emmanuel Macron embrasser Ali Bongo en l’appelant « mon parent », c’était en Arménie, lors du dernier sommet de la Francophonie. Les oppositions africaines ont leurs faiblesses, Jean Ping a certainement les siennes, mais RIEN ne peut justifier un soutien à des régimes dictatoriaux, répressifs, kleptocrates, méprisant les droits les plus élémentaires d’autres êtres humains.

Est-ce que finalement, la société civile n’est pas plus efficace pour la lutte démocratique ?  Au Bukina Faso, au Sénégal et au Togo, elle a été plus efficace que les oppositions…

Je le disais à la fin de la question précédente, les oppositions africaines présentent des limites. Et l’une d’entre-elles c’est qu’elles n’ont pas compris qu’une dictature ne tombe pas des élections. Par ailleurs, les dictateurs s’arrangent à prendre en otage les institutions du pays pour qu’elles ne servent qu’à un seul but : les maintenir au pouvoir. Les seules armes efficaces contre les dictatures sont les révolutions citoyennes. Elles sont souvent conduites par les sociétés civiles et c’est pour cela qu’elles arrivent à ébranler les dictatures.

Est-ce qu’une alternance est finalement envisageable au Gabon ? On a vu le frère, officier, de Ali tenir l’essentiel comme s’il s’agit d’un défi familial. Est ce que le clan n’est pas plus fort que la nation ?

Cette histoire du fameux frère officier de Ali Bongo qui tiendrait le pays est un leurre. Cette information circule depuis qu’il est sérieusement handicapé par la maladie. C’est de la manipulation de l’information pour faire croire aux Gabonais qu’il y a encore un « Bongo Ondimba » en réserve pour prendre le pouvoir au Gabon. Ce soi-disant frère est membre de la garde républicaine (ancienne garde présidentielle) au sein de laquelle il dirige la compagnie d’honneur et est responsable des services de renseignements. Malgré ses nombreux dysfonctionnements, le pays a encore un ministre de l’intérieur, un ministre de la défense, un chef d’état major des armées et une direction générale du renseignement. Pourquoi donc un officier, parce qu’il s’appelle Bongo Ondimba, assurerait la sécurité du pays ?  L’alternance est inévitable. Aucune dictature n’est éternelle et aucune ne peut résister à un peuple déterminé. Et qu’ils se le tiennent pour dit : « Bongo Ondimba Ali est le dernier président que l’on a imposé ou qui s’est imposé au peuple gabonais ».

Qu’est-ce qu’on peut attendre du Gabon, dans les prochains mois, prochaines années, avec le nouveau gouvernement ?

Il n’y a rien à attendre de ce gouvernement. Par contre, une révolution citoyenne a commencé depuis la dernière élection présidentielle d’août 2016. Elle est en marche et n’a pas fini de faire parler d’elle.

Laurent Gbagbo vient d’être acquitté. Vous vous battez pour la justice à la suite du massacre devant le QG de campagne de Ping il y a deux ans. Est-ce que finalement, le concept même de la justice internationale n’est pas une utopie et surtout, est-ce que ce n’est pas la relance de l’impunité en Afrique ?

S’il vous plaît, il faut comparer ce qui est comparable. Ne ramenez pas Laurent Gbagbo à Bongo Ondimba Ali. Je ne vais pas remettre en cause la justice internationale parce que Laurent Gbagbo a été acquitté. Bien au contraire, c’est peut-être l’une des rares décisions « justes » qu’elle a été amenée à prendre. Parler d’impunité dans le cas de Laurent Gbagbo c’est le reconnaître coupable or, la CPI vient de dire le contraire. L’accusation n’a pas pu apporter les preuves de ses affirmations. On peut reprocher des choses à la CPI, mais il ne faut pas faire d’amalgames. Les présidents africains qui violent les droits de leur peuple jouissent d’une impunité de la part de la Communauté Internationale qui ferme les yeux sur toutes ces violations et dressent le tapis rouge à ces gens. Si elle décidait de les mettre au rebus comme ils le méritent, certains réfléchiraient peut-être à deux fois avant d’accomplir leurs méfaits ou du moins, les peuples floués se sentiraient quelque peu soutenus. Or, il n’en est rien. Ils volent les élections, répriment les populations sans qu’aucune voix ne s’élève. Les peuples africains ont compris que leur salut viendra de leur propre mobilisation et que d’une manière ou d’une autre les vrais coupables de leurs malheurs finiront par rendre compte un jour et celui-ci n’est plus très loin. Une aurore se lève.

 

Propos recueillis à Paris

Par Yasmina Fadhoum

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