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Afrique du Sud : Zuma, Gupta et le casse du siècle

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Dans son deuxième rapport, la commission anti-corruption Zondo met en évidence le rôle joué par les frères Gupta dans le détournement de fonds publics avec l’aide de l’ancien président Jacob Zuma.

« Une entreprise de racket. » Voilà comment la commission Zondo qualifie le système Gupta, du nom des trois frères d’origine indienne qui ont pillé les ressources publiques sud-africaines avec la complicité de Jacob Zuma, au pouvoir de 2009 à 2018. Les Gupta ont formé un réseau d’individus et d’entreprises associés dans la « capture » des institutions publiques.

Le plan consistait à faire nommer un proche à la tête d’une entreprise ou administration publique pour s’assurer qu’il favorise les entreprises amies. Le pion ainsi placé pouvait ensuite fermer les yeux sur toutes les dérives possibles : inflation des prix des contrats, recours à des intermédiaires, à des consultants, rétro-commissions. L’argent récupéré par la galaxie Gupta était ensuite blanchi via des sociétés écrans et redistribué, parfois sous forme de cash.

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Bandits des temps modernes, les Gupta et leurs partenaires ont réalisé leur plus gros casse dans le chemin de fer sud-africain avec l’entreprise Transnet. Sous leur contrôle, cette société a passé commande de 1 259 locomotives. Autant de contrats frauduleux et lucratifs pour qui sait truquer les appels d’offres. Le rapport de la commission Zondo estime le hold-up à 41 milliards de rands, soit 2,4 milliards d’euros de contrats au bénéfice des Gupta et consorts.

Vampirisation

Cette seule affaire représenterait 72 % de l’argent détourné à l’ère de la capture d’État, une période de corruption couverte par les deux mandats de Jacob Zuma et qui a précipité sa chute. Créée en 2018, la commission Zondo a pour mission de faire la lumière sur ces infractions et d’émettre des recommandations, à défaut de pouvoir lancer des poursuites judiciaires. Elle a remis son premier rapport le 4 janvier et doit rendre sa dernière copie le 28 février. Le président Cyril Ramaphosa a promis de présenter ses conclusions devant le Parlement d’ici le 30 juin.

Dans son premier rapport, la commission dessinait déjà les contours d’un système de vampirisation des entreprises publiques sud-africaines (compagnie aérienne nationale, administration fiscale). Les Gupta y faisaient une première apparition via leur groupe de média, TNA. Avec leur journal The New Age, ils vendaient des journaux et des espaces publicitaires aux entreprises et administrations publiques qui dilapidaient leur budget de communication dans ce média pro-gouvernement.

DERRIÈRE CHAQUE NOMINATION SE CACHE LA MAIN DE LA FRATRIE ET CELLE DE JACOB ZUMA

L’ombre des Gupta plane davantage sur ce deuxième rapport. Derrière chaque nomination se cache la main de la fratrie et celle de Jacob Zuma. L’interventionnisme de l’ancien président est dénoncé par Barbara Hogan, son éphémère ministre des Entreprises publiques entre 2009 et 2010. Jacob Zuma interférait dans tout ce qui avait trait aux nominations des conseils d’administration et des directions des entreprises publiques. « Sa politique délétère a infusé un sentiment de corruption, de népotisme, d’irresponsabilité […] au sein des instances dirigeantes du pays », décrit-elle.

Barbara Hogan sera vite remerciée et remplacée par Malusi Gigaba, un proche des Gupta depuis les années 2000. L’ancien ministre des Entreprises publiques se rendait régulièrement dans leur propriété de Johannesburg et fut l’un des invités du « mariage du siècle », organisé par la famille Gupta en 2013 à Sun City, le Las Vegas sud-africain. Malusi Gigaba les invita également à son mariage. Après avoir nié être proche des Gupta, l’ancien ministre a reconnu l’avoir été, mais il a aussi affirmé qu’il s’en était éloigné à partir de 2014. Il se serait rendu compte que les Gupta étaient des « trafiquants d’influence ».

Très mauvaise réputation

Malusi Gigaba, c’était l’assurance pour Zuma et les Gupta de pouvoir s’immiscer dans les procédures de recrutement. Ainsi, c’est Brian Molefe, un autre de leurs proches, qui est installé à la tête de Transnet dès 2011. Une fois la porte ouverte, Siyabonga Gama, qui leur est également familier, sera réinstallé dans une branche de la compagnie malgré sa très mauvaise réputation. « L’insistance à vouloir nommer Gama illustre les premières tentatives du président Zuma pour permettre aux Gupta de capturer Transnet avec son assistance », souligne le rapport.

Molefe, Gibaba, Gama et les autres ont tous en commun d’avoir fait un détour par la case Saxonwold, ce quartier chic de Johannesburg où les Gupta avaient une propriété. On y venait souvent le coffre ouvert pour y loger une mallette ou un sac de sport remplis de billets, selon les témoignages de trois anciens chauffeurs et gardes du corps. Les mis en cause nient avoir touché des pots-de-vin.

C’est encore à Saxonwold que le PDG de Devel, une entreprise publique d’armement, est invité pour « rencontrer certaines personnes » en 2012. On y retrouve Duduzane Zuma, le fils de l’ancien président, mais aussi celui d’Ace Magashule, qui était à l’époque le secrétaire général du Congrès national africain (ANC, au pouvoir) et qui est poursuivi aujourd’hui pour corruption dans une affaire de contrat de désamiantage.

VÉRITABLES VIRUS POUR L’ÉCONOMIE ET LA DÉMOCRATIE SUD-AFRICAINES, LES GUPTA ONT ÉTÉ CONTRAINTS À LA FUITE EN 2016

À l’époque, les Gupta cherchent à faire des affaires avec Devel. Pour y parvenir, leur associé et blanchisseur attitré, Salim Essa, a acheté VR Laser, un sous-traitant qui fabrique des plaques de blindage. Objectif, se rendre indispensable à l’industriel de l’armement pour capter de juteux contrats. « L’entrée au capital de VR Laser par les Gupta et M. Essa avait pour but d’en faire un véhicule pour capturer Devel », note la commission Zondo.

Véritables virus pour l’économie et la démocratie sud-africaines, les Gupta ont été contraints à la fuite en 2016. Ils se trouveraient actuellement aux Émirats arabes unis, à l’abri des poursuites judiciaires. Les autres protagonistes sont sous la menace d’enquêtes approfondies. Face à la légèreté des recommandations, l’ancien ministre Malusi Gigaba s’est fendu d’un tweet sarcastique. « Trois ans et 1 milliard de rands plus tard, Raymond Zondo n’a trouvé AUCUNE preuve justifiant une recommandation selon laquelle je serais accusé de corruption. Au lieu de me disculper, il demande que je fasse l’objet d’une enquête supplémentaire dans l’espoir que cela me tue politiquement. »

À la réception du deuxième rapport, le président Ramaphosa a rappelé l’objectif de ces enquêtes. « Nous devons désormais consacrer notre énergie à faire appliquer les recommandations de la commission. » La commission et le chef de l’État seront donc attendus au tournant après la remise du troisième et dernier rapport fin février. Après avoir tant cité Jacob Zuma, pourront-ils l’inquiéter ?

Afrika Stratégies France avec Jeune Afrique

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