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Sonya Ben Behi: «Le risque en Afrique est lié à la défaillance du système de santé»

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Le Covid-19 sème la frayeur dans le monde. Si elle est moins éprouvée que d’autres régions du monde, l’Afrique suit la trajectoire de courbes en fortes hausses. Sur les un peu moins de 800.000 cas dans le monde, près de la moitié se trouve en Europe avec l’Italie qui, en ligne de lire, franchit la barre symbolique de 100.000 cas, loin devant l’Espagne, l’Allemagne et la France. En Afrique, entre 20 et 25% d’augmentation s’observe chaque jour. Le Think Tank Alabatros et Afrika Stratégies France ont réalisé, dans le cas de la Tunisie et de l’Afrique, cette interview plus ou moins scientifique avec Sonya Ben Behi. Médecin résidente en microbiologie, une branche qui englobe la bactériologie et la virologie, cette ancienne étudiante de la faculté de médecine de Monastir a travaillé dans plusieurs laboratoires de biologie à Tunis. Elle prépare actuellement une thèse sur les bactéries hautement résistantes et émergentes. Passionnée de la communication, Dr Ben Behi multiplie, sur les réseaux sociaux des séances de sensibilisation visant notamment les plus vulnérables et longtemps consacrées à la santé mentale. Mais depuis quelques semaines,  elle s’intéresse à l’épidémie du Covid-19 qui frappe la Tunisie ( 394 cas le 31 mars) autant que le reste du continent. Si son pays est plus ou moins préparé avec un système sanitaire plus efficace et adapté par rapport à l’Afrique subsaharienne, elle jette un regard de scientifique et d’experte sur l’ensemble de l’Afrique. Entretien !

Pendant longtemps, on a pensé que l’Afrique était épargnée par la pandémie du Corovi-19. Mais on observe une recrudescence ces derniers jours avec largement plus d’une centaine de cas en Tunisie. Comment expliquez-vous la multiplication rapide de la contamination en Afrique en général et en Tunisie en particulier ?

Le Covid-19 est désormais une pandémie, il n’y a pas de continent épargné. C’est un virus qui est apparu en Chine donc le retard d’apparition des cas en Afrique peut être expliqué par la rareté du trafic aérien ou des voyages allant et venant de Chine, du moins par rapport à d’autres régions du monde comme l’Europe et les Etats-Unis. La preuve en est, les premiers cas déclarés en Tunisie sont en rapport direct avec l’Italie. La multiplication rapide est due à la nature du virus même et à son grand pouvoir contaminant. De ce côté-là, il n’a presque pas d’égal.

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C’est quoi exactement le Coronavirus et quelle différence avec les autres formes de grippes notamment celle saisonnière, le Sras etc… ?

Il faut savoir que coronaviridae est une famille entière de virus qui doit son nom à sa forme au microscope électronique (les virions à la surface qui lui donnent l’aspect d’une couronne). Cette famille compte plusieurs espèces dont le SARS-cov qui a donné l’épidémie de 2003 en chine et le MERS-cov qui a donné celle du Moyen-Orient. Si le nouveau coronavirus du covid-19 n’est pas aussi mortel que les 2 autres, il est beaucoup plus contaminant, et a une contagiosité plus importante. Par rapport à la grippe, il est aussi plus contagieux et presque dix fois plus mortel.

Quelles sont les principales manifestations précises de cette maladie ?

Jusque-là plusieurs types de manifestations sont décrits, les plus fréquents étant la fièvre et la toux sèche dans les formes bénignes, et les détresses respiratoires aigües dans les formes graves. Ceci dit, on a décrit des myalgies (douleurs musculaires), des dyspnées, des diarrhées, etc. sans oublier qu’il y a apparemment des formes complètement asymptomatiques.

 Est-ce qu’il est certain que les personnes qui ont déjà fait la maladie ne peuvent plus la refaire ? Est-ce qu’elles sont vraiment immunisées de fait ?

Non, absolument pas. Aucune preuve scientifique ne corrobore cette immunité. Il n’y a pas encore le recul nécessaire pour ce genre de constat et il y a même en Chine des cas de réinfection (des patients qui étaient guéris puis retombés malades). On ne connaît pas suffisamment le virus et il faut avancer très prudemment ces théories.

 Le système sanitaire est aléatoire dans la plupart des pays africains. Est-ce que l’Afrique risque des contaminations par milliers comme c’est le cas de plusieurs pays européens ?

À mon avis, tout dépendra de la politique de prévention et de l’observance des citoyens. En Tunisie, la plupart des cas locaux (contractés en Tunisie) sont dus à des gens de retour des pays européens qui n’ont pas respecté le confinement et l’auto-isolement, et donc qui ont transmis le virus.  Le risque est bien sûr là, il est réel, et il ne faut pas le minimiser.

Est-ce qu’il y a le risque de morts de centaines de milliers voire millions de personnes notamment en Afrique subsaharienne où il n’y a pratiquement pas d’appareils d’assistance respiratoire ?

La mortalité due au covid-19 est essentiellement liée au terrain. Il y a bien sûr des exceptions mais jusque-là, c’est surtout les sujets âgés, ceux qui ont des maladies chroniques cardiaques ou respiratoires et les immunodéprimés qui succombent au virus, d’où la nécessité de les protéger. Je pense que les chiffres très élevés de l’Italie sont causés en partie par le vieillissement de sa population. En Afrique, on a une démographie différente ; le risque pour nous est surtout lié aux défaillances du système de santé notamment hospitaliers. Je ne peux pas donner des chiffres mais si l’épidémie n’est pas contrôlée dans les jours qui suivent, je crains que oui, des milliers de personnes risquent d’y rester.

Pourquoi ne pas envisager très vite des dépistages massifs dans tous les pays ? N’est-ce pas une solution pratique ?

C’est une question de faisabilité. L’OMS (organisation mondiale de la santé) préconise effectivement le dépistage massif, la politique dépister – isoler et pour la Corée de Sud, ça semble marcher. Mais comme les analyses sont très coûteuses et qu’on n’a pas un nombre suffisant de kits, on a choisi une stratégie de diagnostic différente. On ne teste que les cas suspects jusque-là, ce qui peut ne pas donner une idée exacte sur le nombre des gens touchés.

La plupart des Etats africains ont fermé leurs frontières. Est-ce que ce repli systématique est efficace alors qu’il n’y a pas de poches identifiées de la pandémie sur le continent… ? La plupart des pays concernés ne compte que quelques dizaines de cas…

C’est une décision légitime comme on ne connaît pas exactement l’étendue de la population touchée et surtout si on n’a pas les moyens d’isoler et/ou tester tous les rentrants au pays. Ceci-dit, du moment où on a des cas locaux donc une transmission horizontale, ça n’a plus une grande utilité

 La Tunisie, est-elle, en ce moment passée à l’usage de la chloroquine comme la plupart des pays européens et africains ?

Le protocole de la chloroquine-azithromycine n’est pas encore mis en œuvre, mais je pense (et j’espère) que ça sera très vite le cas comme les résultats semblent très prometteurs.

Plusieurs pays d’Afrique sont en confinement partiel ou total. D’ici combien de jours, semaines et mois pouvons-nous espérer un retour à une vie plus ou moins normale ?

Chacun va de son pronostic dans cette question. Il y en a qui avance la possibilité d’un comportement saisonnier et donc la diminution des cas avec le début de l’été (Mai – Juin). Personnellement je ne suis pas aussi optimiste, surtout qu’on n’a pas encore atteint le pic épidémique. Le retour à la normale va enfin dépendre des décisions politiques, un pays comme la Tunisie avec une économie déjà fragile ne pourrait pas tenir longtemps le confinement total, contrairement à la France par exemple qui semble vouloir le prolonger jusqu’à contrôle au moins partiel de l’épidémie. Je pense qu’un dépistage massif avec isolement des malades et des sujets fragiles peut se discuter en fonction du pays et peut garantir un retour à minima à la vie normale.

 

Propos recueillis par MAX-SAVI Carmel pour le Think Tank Albatros et Afrika Stratégies France, Envoyé spécial à Tunis (Tunisie)

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