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RDC : l’élection de toutes les incertitudes

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C’est un véritable marathon électoral qui s’ouvre ce 30 décembre 2018 en RDC avec en toile de fond trois scrutins : la présidentielle, les législatives et les provinciales. Pour la cruciale présidentielle, deux poids lourds de l’opposition ont été écartés, Jean Pierre Bemba et Moïse Katumbi, en exil. L’échec de l’accord politique pour une candidature unique de l’opposition ouvre la voie à toutes les issues. Et le renvoi de l’ambassadeur de l’Union européenne ainsi que le report du scrutin dans 3 villes ravivent des tensions déjà palpables.

Mgr Fridolin Ambogo a ouvert la vague des mises en garde en pleine messe de noël. « Ne pas tenir la présidentielle le 30 décembre serait travailler à l’anéantissement de la paix » a clamé celui qui succède au redouté Cardinal Monswengo. « Qu’il s’occupe de ses ouailles ! » a rétorqué quelques heures plus tard le ministre de la communication. Vaste territoire d’Afrique centrale, la République démocratique du Congo (Rdc) est le plus grand pays d’Afrique subsaharienne et le deuxième plus grand de tout le continent derrière l’Algérie. Sa population estimée à 80 millions en fait une puissance régionale qui n’a malheureusement de cesse d’être instable.  Ancienne colonie belge nichée au cœur du continent, les ressources naturelles immenses dont il dispose auraient pu contribuer à sa prospérité. Un demi-siècle après l’indépendance, l’unique chef d’Etat élu, Kabila, joue les prolongations à la tête du pays et ne semble pas avoir dit son dernier mot.

Une Ceni kabiliste ?

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De reports en reports, la Rdc devrait organiser les élections ce 30 décembre. Mais la tension reste palpable dans le pays suite au rendez-vous raté du 23 décembre dernier à cause d’un incendie suspect qui a endommagé 8000 machines à voter de la capitale.  D’ailleurs, des observateurs pensent que ce sinistre entre en droite ligne dans une stratégie de retardement. «La Rd Congo est un pays où les hommes politiques sont très stratégiques. Il y a beaucoup de tactiques, de stratégies… Mon intime conviction c’est que en réalité ce énième report était pour provoquer l’opposition afin que l’opposition tombe dans une tentative de chaos, le régime ayant toujours la légitimé, il pourra réprimer », estime Patrick Armand Pognon, coach en management et développement. Il est convaincu que si l’incendie n’est pas directement provoqué par le pouvoir, tout au moins, il serait complice du pyromane. Une analyse que récuse l’écrivain et analyste politique Lamine Cissé. De l’avis de celui-ci, il y a certes «une main invisible derrière» cet incendie, mais cela ne peut nullement être le fait du pouvoir. La commission électorale a souvent été accusée d’être à la merci du parti au pouvoir. Corneille Nangaa Yobeluo jure jouer pour la « transparence » sans convaincre d’autant qu’il a balayé d’un revers de main toutes les propositions de l’opposition pour un « scrutin équitable ».

Le défi de l’autonomie et de la crédibilité

Toujours est-il qu’entre tergiversations et glissement de calendrier électoral initié par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) qui a laissé longtemps plané le doute sur sa sincérité, elle semble se diriger inexorablement, cette fois-ci, vers la tenue des élections. Le 1er octobre 2016 déjà, à quelques mois des élections, Corneille Naanga, le président de la Ceni avait annoncé le report du scrutin après avoir, à la veille, présenté un nouveau calendrier électoral aux délégués de la majorité, de l’opposition ainsi qu’à la société civile lors de la reprise du «dialogue national». Cette option n’avait pas convaincu l’opposition qui soupçonne Kabila, au pouvoir depuis 2001, de vouloir s’accrocher au pouvoir au-delà de ses deux mandats constitutionnels. C’est la crise politique. Dans la foulée, un projet d’«accord politique» prévoyant la formation d’un gouvernement de transition chargé d’organiser les élections est soumis aux participants du dialogue. Mais avant toute signature, l’opposition exigeait que Kabila s’engageât à ne pas briguer un nouveau mandat à la fin du dernier. Des marches de protestation initiées dans le pays pour exprimer ce vœu seront violemment réprimées, des dizaines de personnes tuées dans plusieurs villes notamment à Kinshasa.

 

Kabila résiste toujours

 

Ni les pressions de l’Eglise catholique à travers les évêques, ni celles de la communauté internationale ou même des pays voisins n’auront réussi à amener Kabila à la raison. Le président congolais dont la parole a toujours été rare feint de ne rien entendre. L’annulation d’une visite du Pape dans le pays n’a pas ému ce chrétien évangélique qu’irritent les implications des hommes de Dieu en politique. Cette semaine encore, il a brillé par son absence au sommet régional improvisé par Brazzaville sur la crise congolaise. Depuis, Joseph Kabila n’a toujours pas accepté de recevoir la délégation de deux ministres chargés de lui transmettre le rapport de cette rencontre qui s’est tenue au Congo, malgré la pression de l’Angola. Joao Lourenço l’a appelé vainement à cet effet. D’ailleurs, l’homme fort de Kinshasa supporte de moins en moins Luanda et Pretoria qui s’érigent selon lui, en « donneurs de leçons ». La Rdc avait d’ailleurs récusé la nomination de l’ancien président sud-africain, Mbéki comme envoyé spécial sur la crise politique, dénonçant « une initiative prétentieuse ».  L’unique obsession silencieuse du président, faire élire Emmanuel Ramazani Shadary, homme du système et ancien ministre de l’Intérieur qu’il en imposé comme dauphin. Maître d’œuvre des répressions sanglantes de manifestation anti-Kabila, cet ancien gouverneur de la province de Maniema qui n’est crédité que de 20% devrait se réjouir de la dislocation de l’accord signé en Suisse par les opposants et qui prévoyaient une candidature unique. Avec deux candidats, Martin Fayulu et Félix Tshisekédi, l’opposition émiette ses chances. A Kabila quant à lui, devrait aller jusqu’au bout d’autant que l’ambassadeur de l’Union européenne dans le pays n’a plus que jusqu’à ce samedi soir pour quitter le pays, à la suite de nouvelles sanctions en provenance de Bruxelles.

Machine à triches?

L’usage des machines à voter viole le code électoral. Malgré l’appel insistant de l’opposition et la société civile à abandonner «les machines à voter» que  des  Congolais appellent «machines à tricher, à frauder», Joseph Kabila n’a rien voulu entendre. Pourtant, des experts britanniques ont décelé «quinze risques à atténuer » dans leur utilisation.D’après l’opposition, 40 millions de noms qui sont des doublons n’avaient pas été nettoyés du fichier.  Les Congolais redoutent le pire le 30 décembre et plusieurs pays voisins dont le Congo-Brazzaville et le Rwanda ont vu des milliers de réfugiés foulés leurs sols. Reportées deux fois, fin 2016 et fin 2017 puis deux fois en 2018, l’élection semble imminente cette fois-ci. Mais le risque d’irrégularités accentue la peur des populations. «La phase préparatoire des élections, qui perdure depuis trois ans pratiquement, n’est pas sereine. On a l’impression qu’elle est en train de planter les germes des crises postélectorales», s’inquiète Célestin Kabuya-Lumuna, professeur de sociologie politique ancien porte-parole du maréchal Mobutu, l’ex dictateur. A la veille du scrutin, l’Organisation des Nations Unies (Onu) et la communauté internationale n’ont qu’une mission, limiter les casses, car « casses, il en aura » prévient-on dans les milieux diplomatiques.

Frédéric Nacère, Correspondant régional à Dakar

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