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Revue d'intelligence et d'Analyse

Thomas Dietrich : « La France est sur de vieux modèles et n’intègre pas les profondes mutations qui s’opèrent en Afrique »

« Nous pouvons soutenir en tant qu’observateurs extérieurs mais c’est aux populations locales de prendre en main le destin de leur pays face aux dictateurs » prévient-il, d’entrée de jeu. Thomas Dietrich ne se considère pas comme un militant africain mais l’écrivain français s’estime en « appui extérieur aux divers combats démocratiques »  qu’on observe sur le continent. Expulsé il y a quelques années du Tchad, il ne lâche pas le Togo. Début novembre, il est aperçu au cœur des manifestations à Lomé. « Cela ne gênait pas les gens, ils ne me considéraient pas comme un Blanc, pour eux, je suis un manifestant comme un autre » et c’est la preuve selon lui, que les Togolais ne sont obsédés que par la fin de la dictature. A peine, est-il revenu à Paris que ce membre de La France Insoumise est déjà reparti au Gabon. Pour lui, l’Afrique lui coule dans les veines. Depuis les années 1990, son père, médecin et humanitaire, s’est investi dans la santé et l’éducation au Togo où il a construit deux centres de santé. Aujourd’hui, le combat du fils est plus politique. Et il a, vous le verrez tout au de cet entretien, une grande maîtrise du continent, les subtilités de ses régimes et les différences d’une région à l’autre. Afrique de l’ouest, Afrique centrale, politique française, terrorisme, immigration, il aborde avec aisance tous les sujets. Sans langue de bois, en bon Insoumis.

Vous étiez au Togo, il y a quelques semaines. Qu’est ce qui semble avoir changé par rapport  vos précédents séjours à Lomé ?

Pas grand-chose. J’ai souvent eu l’occasion d’aller au Togo où avec la chape de plomb que constitue la dictature et malgré la mobilisation de populations dignes, peu de choses ont véritablement changé. On voit qu’il y a un régime dur qui maintient la population dans la misère. Au Burkina, c’est différent.  Avec la chute de la dictature, il y a eu un bond en avant suivi immédiatement d’un autre bond en arrière, la mise au ralenti de l’économie par la menace terroriste.

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Revenons au Togo, est-ce qu’avec le fils, Faure Gnassingbé, il y a eu une évolution notamment sur les libertés fondamentales par rapport au père ?

Déjà les époques ne sont pas les mêmes. Le vieux (Gnassingbé Eyadema, Ndlr) est un sergent de l’armée française, qui avait torturé en Algérie. Il usait donc de la vieille et dure méthode, avec des opposants jetés dans la lagune. Avec l’air des réseaux sociaux et le regard de la communauté internationale, le fils est obligé de paraitre plus souple. Mais c’est toujours une dictature  avec le clan de vieux militaires qui restent au pouvoir à travers le fils et qui tiennent le pays. La répression très dure de l’année derrière suite aux manifestations de l’opposition prouve que quand le régime est menacé, le recours à la violence est systématique. L’autre question est celle du soutien que la France peut apporter au Togo. Il n’y a pas longtemps, Christine Lagarde (directrice générale du Fonds monétaire international, Fmi, Ndlr) s’est rendue Lomé pour rencontrer Faure Gnassingbé, qui reste l’une des dernières dictatures de l’Afrique de l’Ouest. Nous devons nous mobiliser pour que toutes formes de soutiens arrêtent.

Que sait-on aujourd’hui, exactement du soutien de la France au régime togolais ?

La politique d’Emmanuel Macron repose sur le tout sécuritaire. Ce qui le pousse d’une manière ou d’une autre à soutenir des régimes dictatoriaux. Il est vrai que le terrorisme est un défi pour l’humanité mais en même temps, qu’est-ce qui crée le terrorisme ? C’est la misère, la pauvreté, l’absence de régimes démocratiques. Boko Haram recrute dans le bassin du lac Tchad en profitant de la misère des gens. En ce qui concerne le Togo, Macron n’apporte pas un soutien fort, même s’il existe. Il est allé au Niger, a reçu Idriss Déby, a soutenu ostensiblement Paul Biya et a serré Ali Bongo dans ses bras. Avec Faure Gnassingbé, il est prudent. Il sent que les choses peuvent basculer et veut éviter de répéter l’erreur faite au Burkina Faso en soutenant le dictateur et en faisant face à une volonté populaire après Ce qui a changé par rapport aux années Focart (Jacques Focart était le symbole de la françafrique sous de Gaulle, ndlr), c’est que si le peuple décide de mettre un dictateur dehors, la France n’y pourra rien. Il faut aussi dire que le centre de gravité de la politique africaine étant tournée vers le Sahel, le Togo devient un enjeu moindre. Mais quoiqu’on dise, la diplomatie française est sur de vieux modèles et n’intègre pas les profondes mutations qui s’opèrent en Afrique. C’est pour cela que par exemple, la France a été dépossédée de la Centrafrique par les Russes. Les événements du 19 août 2017 ont pris de court aussi bien le régime togolais que la diplomatie française.

Aujourd’hui, la France s’engouffre dans la guerre au Mali. En Centrafrique, les Russes prennent le devant, l’armée tchadienne s’est illustrée dans le sahel comme l’une des meilleures contre le terroriste. Est-ce que tout cela ne fait pas que Paris soit contraint de soutenir les dictatures pour faire face au terrorisme ?

Au Sahel, il y a une guerre asymétrique. Et depuis la seconde guerre mondiale, on se rend compte qu’aucune puissance ne gagne ces genres de guerres. Mais la principale question, c’est se demander ce qui engendre le terrorisme. L’approche sécuritaire seule ne suffira pas. Il faut aider les régions abandonnées du Nigeria, du Cameroun et autres à prendre en main leur développement, plutôt que de tout miser sur le contre-terrorisme. Le Tchad et la Mauritanie ont des moyens, des armées courageuses, il faut que les militaires français laissent les armées africaines faire face aux problèmes sécuritaires. La solution ne viendra pas de l’étranger d’autant que les bases françaises au Sahel n’ont pas raison, en 2018, d’être. L’armée française peut via l’ONU, renforcer, appuyer les armées nationales dans leur lutte contre le mal djihadiste et pas se substituer à elles. Je crains qu’à l’heure actuelle, nos forces armées, sur place, soient plus là pour soutenir les régimes autoritaires que pour combattre le terrorisme. La présence de l’armée française a une dimension coloniale gênante aujourd’hui tout comme le franc CFA.

Vous irez au Gabon, après le Togo et le Burkina Faso. Comment expliquez-vous la résistance des dictatures en Afrique centrale alors qu’en Afrique de l’ouest, il y a un bon début de démocratisation ?

L’Afrique centrale est un ensemble vaste et divers. Avec de vieilles dictatures notamment Biya (Cameroun), Sassou (Congo), Déby (Tchad), Nguema (Guinée Equatoriale), etc. Mais souvent, plus les états sont riches, plus ils sont soumis à des déstabilisations. Je crois donc qu’à cause des intérêts stratégiques et militaires, la France soutient des tyrans en Afrique centrale, et les laisse durer dans le temps. Il y a de quoi avoir peur que ces dictatures ne s’écrouent un jour et que le chaos s’installe. La France doit cesser de les soutenir, s’assurer que les projets de l’AFD (Agence française de développement)  ne profitent pas aux dictateurs au détriment des populations. Je crains que l’Afrique centrale ne couve le germe de sa propre destruction imminente.

Dans certains pays traditionnellement démocratiques comme le Sénégal, le Bénin, la Côte d’Ivoire, etc., on constate une régression de la démocratie. En Afrique centrale, les dictatures se renforcent, est-ce que l’Afrique est vraiment prête pour la démocratie ?

La démocratie à l’occidentale, libérale avec les codes importés ne convient pas forcément à l’Afrique qui doit trouver ses propres codes. On ne peut pas prendre des modèles et les imposer, il faut laisser l’Afrique valoriser ses propres modèles. La démocratie doit s’inspirer des spécificités locales, les chefs religieux et traditionnels avec pour seule base le respect des droits de l’homme. Mais il faut reconnaitre que la démocratie ne se construit pas en un jour et surtout que la démocratie en Afrique ne soit pas limitée aux élections tous les cinq ans. Il y a la vie entre deux élections. Il y a la liberté de la presse, les droits de l’homme etc. qu’il faille entretenir. Cela étant dit, je suis d’accord qu’il y a des retours en arrière qui sont inquiétants.

Nous allons finir avec les élections européennes qui sont les prochaines en France. L’un des principaux sujets sera l’immigration.  La France Insoumise dont vous êtes membre, reste floue sur la question, alors que l’immigration est aussi une question africaine.

Mélenchon en a déjà parlé. D’abord il ya une nécessité d’accueillir les pauvres gens qui prennent la mer, traversent la méditerranée. Il faut donc accueillir dignement les gens et leur donner l’espoir et leur chance. La France est un pays d’immigration. Il y a eu l’immigration du sud, avec les Portugais et les Italiens, celle des Polonais et l’immigration de l’Afrique du nord. On doit donc avoir ce devoir d’humanité propre à la gauche.  Ensuite, c’est comment prévenir les drames liés à l’immigration ? L’Europe mise tout sur le sécuritaire en donnant de l’argent à des gardes côtes qui sont parfois des trafiquants de migrants. On met de l’argent pour protéger les frontières au lieu d’aider les gens à migrer dans de bonnes conditions et surtout, les aider à rester chez eux, dans des conditions de vie viable. Enfin, l’Europe oblige des pays africains à signer des accords de partenariat économique qui cassent l’économie locale encore balbutiante, c’est scandaleux. La dernière lubie du président de la Commission Jean-Claude Juncker, c’est de faire une grande zone de libre échange Europe-Afrique, évitant de privilégier les questions de droit de l’homme et de bonne gouvernance. Pire encore, qui est à la tête des négociations ? C’est le Togo, une dictature.

Interview réalisée à Paris par

redaction@afrikastrategies.fr

 

 

 

 

 

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