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PUTSCH : Comprendre ce qui se passe au Niger en quelques questions-réponses

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Ce mercredi matin très tôt, le président du Niger a été empêché par une partie de sa garde de se rendre dans ses bureaux alors que quelques dizaines d’hommes, prétextant d’un mouvement d’humeur, ont pris fait et cause pour Omar Tchiani. Le chef de la garde présidentielle et le président négocierait en ce moment, alors que l’Elysée a mis en alerte la force Barkhane, 4000 hommes au moins, dispersés dans tout le Niger.

A Abuja, le nouveau président élu, Bola Tinubu, qui préside la Communauté économique des états de l’Afrique de l’ouest, Cedeao, est ferme, « si Niamey tombe, toute la sous-région est menacée« . Dans le camp des chefs d’état ouest-africains, la fébrilité gagne d’autres dirigeants notamment Adama Barow (Gambie), et Oumaro Sissoco Embalo (Guinée-Bissau) dont les armées instables et poreuses peuvent s’inspirer du Niger. Si au Togo et au Bénin, Faure Gnassingbé peut compter sur une armée « acquise » et Patrice Talon sur des forces de l’ordre imbues d’une longue tradition démocratique, nul ne sera à l’abri après la chute de Mohamed Bazoum. D’autant qu’en Côte d’Ivoire où Alassane Ouattara fait face à d’énormes tensions politiques et à une armée qui sort d’une longue guerre civile. La position des grandes puissances, en occurrence la France pour ce qui concerne le Niger et la posture de la Cedeao qui pourrait recourir à une intervention militaire portée par la force Barkhane, sera déterminante. La légitimité trop aléatoire des régimes en Afrique de l’ouest ne leur garantit en rien une résistance populaire. Et les opinions nationales, si elles s’agacent de dirigeants mal élus, ne sont pas non plus prêtes à faire le saut dans l’inconnu putschisant….

Bazoum peut-il tomber ? Et après

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Jusqu’ l’heure où nous mettons sous presse cet article, les discussions continuent, à la résidence officielle du président nigérien. Il refuse l’idée de démission et demande au général Omar Tchiani et ses hommes de mettre fin à leur tentative. Omar Tchiani est l’homme de main et de confiance de Mahamadou Issouffou. Lors de la passation de charges entre l’ancien chef d’état et son successeur, Issouffou a proposé à son ex ministre de l’intérieur de garder ce tribun colérique et versatile à la tête de la garde présidentielle. La tentative qu’il mène n’a apparemment le soutien que d’une partie de ses propres hommes et l’armée régulière reste loyale au pouvoir en place. Bazoum peut tomber, comme tous les présidents africains qui ont privilégié leur pouvoir au détriment d’institutions solides et qui ont unanimement cherché à esclavagiser l’armée au lieu de la républicaniser. Mais l’après Bazoum sera une vertigineuse chute vers les incertitudes d’autant qu’ailleurs, les militaires ont du mal restaurer la démocratie. La société civile nigérienne est suffisamment réaliste pour comprendre qu’un coup d’état est un saut dans l’inconnu. L’opinion nigérienne, si elle est hostile à la présence militaire française, n’est pas non plus favorable à une remise en cause de son acquis institutionnel, rudement et récemment obtenu, qu’est l’alternance.

L’ère des putschistes…

L’instabilité va gagner toute la sous-région à la chute de Mohamed Bazoum. D’abord parce les trois pays sous emprises de putschistes notamment la Guinée, le Mali et le Burkina Faso ne s’en sortent pas dans le processus de retour à l’ordre constitutionnel. Le Colonel Doumbouya (Guinée) a oublié ses promesses d’une courte transition et s’enlise dans le show militaro-politique avec sa famille plutôt bling-bling, escamotant l’essentiel. Assimi Goïta (Mali) a imposé une constitution controversée et renforce sans cesse son pouvoir personnel pour lequel, il semble prêt à tous les accords contre nature. Ibrahima Traoré ne comprend presque rien du pouvoir, multiplie des sorties populistes sans aucune clarté sur son plan de sortie de crise. Pendant ce temps, les terroristes mènent de stratégiques actions. Si le Niger tombe aux mains des putschistes, plus aucun pays ne sera épargné. En tout pas, pas à l’abri. A l’heure actuelle, aucune manifestation de foules n’est observée à Niamey. Les nigériens doivent soutenir leur président pour ne pas retomber dans l’instabilité dont profiteraient les organisations terroristes qui n’attendent que ça.

Et la Cedeao dans tout ça ?

La Communauté économique des états de l’Afrique de l’ouest a une chance, elle n’est plus aux mains du président bissau-guinéen. A la tête d’un régime éclectique et périlleux, il faisait des déclarations à tout vent alors qu’il est l’un des chefs d’état les plus fragiles, de par la poudrière et le capharnaüm de trafics tous azimuts que constitue son pays. Le nouveau chef d’état nigérian est arrivé à la tête de l’institution au bon moment. Bola Tinubu est foncièrement contre les coups d’état et l’a fait savoir lors de son élection à la tête de l’institution régionale. Dans les diverses interventions militaires de la Cedeao, son pays a fourni le contingent le plus important, le plus efficace et le mieux armé. On se souvient des Comores dans les années 1990 mais plus récemment de la Gambie. Son pays partage près de 1500 km de frontière avec le Niger et l’armée nigériane est la plus techniquement apte à intervenir dans la sous-région. Sa parole et sa posture sont capitales. Il faut qu’unanimement, les chefs d’état se lèvent contre ce retour de coups d’état militaires mais surtout qu’ils soient fermes et n’écartent aucun moyen de pression, encore moins l’intervention militaire pour neutraliser Omar Tchiani si nécessaire.

Que peut faire la France ?

Des réunions de crise se multiplient à l’ambassade de France à Niamey, boulevard Mali Bero. Sylvain Itté, l’actuel ambassadeur est un diplomate chevronné, direct et sans langue de bois, au point de paraître parfois si peu diplomatique. Il est personnellement favorable à une intervention militaire et ce, d’autant qu’il a toujours été prudent vis-à-vis d’Omar Tchiani qui ne se cache d’ailleurs pas de ses positions anti-françaises. Pour éviter que les édifices français jouissant de l’extraterritorialité ne soient attaqués, un contingent de Barkhane est déjà à Niamey, avec pour principale mission de protéger les ressortissants français. Eric Beullet, attaché de défense et en charge de la sécurité des français est un homme qui a de très bons contacts dans l’armée nigérienne et qui dispose de tactiques de renseignements humains efficace. Mais au-delà de la protection des français et des étrangers, Paris ne peut pas laisser la garde présidentielle faire chuter Bazoum. D’abord, ça serait la fin de la force Barkhane dont la présence ne jouit pas de grande popularité dans l’opinion nationale. Ensuite, une fois au pouvoir, Omar Tchiani sera plus hostile à la France et à l’Occident ne l’est la junte malienne dont curieusement le ministre de la défense, Sadio Camara détient tout de même un passeport français ainsi qu’une partie de sa famille. Enfin, la chute de Bazoum sera le début d’une déstabilisation généralisée de la sous-région où parfois avec le soutien malveillant de l’Elysée, des mal élus ont pu s’imposer. Macron doit, en lien avec la Cedeao, permettre à Barkhane de protéger le pouvoir nigérien et ne rien écarter, même une intervention militaire. C’est vital pour que demain, un sous-officier mal réveillé ne s’en prenne à Talon (Bénin), à Gnassingbé (Togo), à Ouattara (Côte d’Ivoire) ou à Sall (Sénégal). Car un mal élu vaut mieux qu’un soldat errant…

MAX-SAVI Carmel, pour Afrika Stratégies France

 

 

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