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Présidentielle en Côte d’Ivoire : l’opposition en appelle à une transition civile

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Samedi 31 octobre, 7,5 millions d’électeurs étaient appelés aux urnes pour les élections présidentielles. Boycottant le 1er tour, les poids lourds de l’opposition ont annoncé qu’ils rejetteraient les résultats de la CEI avant d’en appeler à une transition civile jusqu’à de nouvelles élections. Dans l’attente des résultats définitifs qui devraient tomber dans la journée, la Côte d’Ivoire retient son souffle.

Le 1er tour des élections présidentielles ivoiriennes a été ponctué par des troubles violents, faisant suite à la trentaine de victimes déjà répertoriées depuis le mois d’août dernier, date à laquelle Alassane Ouattara avait annoncé sa volonté de briguer un troisième mandat (le premier de la nouvelle Constitution). Le président Ouattara a justifié cette décision sous forme de rétropédalage contrôlé, par les circonstances (le décès inopiné de son dauphin, Amadou Gon Coulibaly, le 8 juillet dernier), soulignant par ailleurs, face à la presse internationale dépêchée en nombre sur le terrain pendant ces élections à haut risque, que les critiques des Occidentaux ne l’affectaient guère, partant du principe que les dirigeants africains étaient « suffisamment majeurs pour gérer -leurs- pays », et n’hésitant pas à comparer sa longévité avec celle de la chancelière allemande, Angela Merkel « qui est en train de faire son quatrième mandat ».

Apostrophant les journalistes internationaux au sortir de l’isoloir, il lança : « Pourquoi vous n’en faites pas un problème ? ».Jusqu’au « Jour J », le climat pré-électoral avait été relativement tendu, faisant craindre un report du scrutin, sur la dernière ligne droite, mais il n’en fut rien et in fine, ils étaient 4 candidats à briguer la magistrature suprême, samedi dernier. Premièrement, Alassane Dramane Ouattara du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), qui a promis de poursuivre les réformes engagées en Côte d’Ivoire, en cas de réélection.

Face à lui, Henri Konan Bédié (président de la Côte d’Ivoire de 1993 à 1999), le leader du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et Pascal Affi Nguessan, l’ancien Premier ministre de Laurent Gbagbo, du Front populaire ivoirien (FPI), avaient tous deux appelé au boycott du scrutin ainsi qu’à la désobéissance civile, dénonçant la candidature du président Ouattara pour un troisième mandat. Enfin, Kouadio Konan Bertin qui concourait comme « indépendant » faisait figure de challenger, mais aussi de junior (en l’absence de Guillaume Soro, en exil à Paris et sous le coup d’une condamnation judiciaire en Côte d’Ivoire).

L’abstention ou la clé de l’élection ?

Peu avant le 1er tour, les appels à la désobéissance civile avaient compliqué la distribution des cartes électorales au point où, selon la Commission électorale indépendante (CEI), nombre d’entre elles n’avaient pu été distribuées. Cette situation avait fait monter la tension d’un cran. Le jour de l’élection, l’appel au boycott du scrutin par les leaders de l’opposition – qui n’avaient toutefois pas retiré leur candidature – a été partiellement suivi, notamment dans les grandes villes, où nombreux étaient ceux qui s’étaient fait porter pâle ou avaient tout bonnement pris la poudre d’escampette pour rejoindre les villages, par crainte de nouveaux troubles sanglants – comme ce fut le cas en 2010-2011 où près de 3 000 personnes avaient perdu la vie-.

Ces dernières 48 heures, les constats des uns se sont opposés aux observations des autres. « Les dégâts sont minimes […] entre 30 et 40 bureaux de vote sur 22 381, ont été saccagés », relativisait Ibrahima Kuibiert Coulibaly, président de la CEI samedi, à la mi-journée. Autre son de cloche le lendemain du côté de l’ONG Indigo Côte d’Ivoire qui a conduit, via le Groupe de Plaidoyer du PTI, une mission d’observation en déployant 120 observateurs départementaux sur le territoire, depuis mars 2020. Elle a indiqué en conférence de presse que 23% des bureaux de vote étaient restés fermés tout au long de la journée, soit près d’un sur quatre. « Il y a eu une ferveur, un vote massif […] la majorité qui a le sens des responsabilités s’est exprimée », estimait pour sa part, Adama Bictogo, le directeur exécutif du RHDP, pendant que Pascal Affi Nguessan, le chef de file du FPI considérait que « dans l’ensemble […], le mot d’ordre de désobéissance civile -avait- été suivi par la grande majorité de nos concitoyens » à l’occasion d’un point presse qui s’est tenu samedi, à la résidence d’Henri Konan Bédié, le leader du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI).

Des heurts sanglants entachent le 1er tour

« Malheureusement, nous déplorons encore une fois des morts là où il y a eu des affrontements. Une douzaine de morts à l’heure actuelle dont 4 dans le Goh et 2 dans la sous-préfecture de Niablé » déclarait Pascal Affi Nguessan au soir du premier tour, un chiffre qui n’a pas été confirmé. A cette heure, 4 personnes seraient décédées à Tiébissou, situé à 40 kilomètres au nord de Yamoussoukro, selon Germain N’Dri Koffi, le maire de la commune. De source sécuritaire, 2 victimes seraient à déplorer (ndr : l’une à Oumé situé à 260 km au nord-ouest d’Abidjan et la seconde à Tiébissou). Plusieurs incidents violents ont émaillé cette journée électorale en particulier dans les fiefs de l’opposition, poussant Alassane Ouattara tout juste sorti de l’isoloir, à en appeler à la paix, exhortant les « jeunes de ne pas se laisser manipuler ».

Dès dimanche après-midi, les conférences de presse se sont multipliées. L’opposition par la voix de Pascal Affi Nguessan  a dénoncé un « simulacre d’élection » dont elle ne reconnaîtra pas les résultats, quoi qu’il arrive, précisant par ailleurs que le taux de participation ne serait que de 10% selon leurs évaluations. Dès lors, l’opposition a réclamé la formation d’un gouvernement de transition civile qui serait chargé « de créer les conditions d’une élection présidentielle juste, transparente et inclusive ».

Après la fin des dépouillements dimanche matin, les résultats ont été acheminés vers la CEI qui disposait de 5 jours pour rendre publics les résultats du 1er tour. C’est finalement dimanche en fin de journée que les premiers résultats sont tombés au compte-gouttes. A l’heure de la rédaction de cet article, l’intégralité des résultats se fait toujours attendre. Ils devraient être annoncés dans la journée.Quel sera le poids de l’abstention ? Alassane Ouattara s’imposera-t-il par un « coup K.O » comme l’espèrent ses supporters ? Alors que les leaders de l’opposition ont d’ores et déjà annoncé qu’ils rejetteraient en bloc les résultats de la CEI, Guillaume Soro de Générations & Peuples solidaires (GPS) appelait ses partisans à « chasser le président Alassane Ouattara du pouvoir » depuis son compte Twitter, dès le 31 octobre. Les Ivoiriens suivront-ils ces appels de l’opposition au risque de plonger de nouveau la Côte d’Ivoire dans une crise profonde et durable ? En attendant le verdict, entre calme et incertitudes, le pays du cacao retient son souffle.

Afrika Stratégies France avec La Tribune Afrique

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