Afrika Strategies
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Coopération : Faure Gnassingbé et Recep Tayyip Erdogan rapprochent Lomé et Ankara

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Dans le cadre de sa tournée africaine cette semaine qui l’a conduit en Angola, au Togo et au Nigeria, l’étape de la capitale togolaise aura été la plus marquante. Parce qu’elle a abrité une importante rencontre avec d’autres chefs d’État de la sous-région, notamment George Weah du Liberia et Roch Marc Kaboré du Burkina Faso. Au menu des échanges, les questions sécuritaires.

En résumé, les deux chefs d’État togolais et turc ont affiché un même satisfecit quant au renforcement de leur partenariat. « À l’occasion de cette visite, de nombreux accords ont été signés et nous nous sommes mis d’accord sur les domaines de coopération […] En fait avec le Togo, nous avons des opinions et des approches qui se concordent sur de nombreux sujets. Dans les domaines politiques, économiques, commerciaux et militaires, nous souhaitons développer davantage notre coopération. »

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Le président turc s’extasiait d’autant plus qu’il a le soutien indéfectible du Togo sur le dossier des écoles Gülen. « Le Togo mérite vraiment des éloges dans le cadre du soutien qu’il nous a apporté dans la lutte contre l’organisation terroriste Fethullah. Avec l’instruction du président togolais, le Togo nous a soutenus pour la fermeture des écoles affiliées à Fethullah au Togo et pour le transfert de ces écoles à notre fondation Mariif, et je tiens à remercier le président togolais pour sa droiture déterminée », a confié Recep Tayyip Erdogan.

Commerce, investissement, enjeux militaires…

Cette visite est à la fois l’aboutissement d’une série de contacts, mais également un point de départ, un défi pour le renforcement du niveau de coopération entre Lomé et Ankara. « Aujourd’hui, à travers notre PND, Programme national de développement, nous avons mis en œuvre un certain nombre de réformes qui permettent de jouir d’un climat des affaires plutôt favorable et nous connaissons la force, la qualité et l’ingéniosité des investisseurs turcs […] Le président Recep Tayyip Erdogan s’est beaucoup investi pour le développement, le raffermissement et l’approfondissement des relations entre notre continent et son pays […] Les investissements turcs sont reconnus pour leur qualité. Ceux qui ont eu la possibilité de visiter le centre des conférences au Sénégal ou Convention Center à Kigali ont pu voir que cette coopération est active et fructueuse », a loué le chef de l’État togolais Faure Gnassingbé.

« Entre 2017 et 2020, le Togo a importé pour 184 millions dollars, essentiellement du textile, de l’agroalimentaire et d’autres produits manufacturés. Au même moment, le Togo exportait des matières premières brutes pour 13 millions de dollars », indiquait le site officiel d’information du Togo, republicoftogo.com. Toujours de sources officielles, les échanges commerciaux entre la Turquie et le Togo ont connu en 2020 un boom, s’établissant à 148 millions de dollars (sur 25 milliards de dollars entre cette puissance et l’Afrique). Le solde commercial bilatéral entre le Togo et la Turquie est déficitaire et largement en défaveur du pays de Faure Gnassingbé. Avec cette visite de Recep Tayyip Erdogan, Lomé envisage d’amorcer un rééquilibrage progressif, en appâtant les investissements turcs – les Turcs sont déjà assez présents au Togo dans la construction, le vestimentaire… – ou en favorisant une implantation locale. Et le Togo compte aussi sur ses atouts : position géographique stratégique en Afrique, avantages du Port autonome de Lomé, présence d’importantes institutions financières, réformes du climat des affaires. Il entend être une porte d’entrée naturelle pour le commerce et les investissements de la Turquie en Afrique, un hub des opérations économiques et commerciales de ce géant occidental en Afrique de l’Ouest, s’ouvrir davantage aux investisseurs turcs.

Ankara s’active sur le plan militaire

Sur le plan militaire, l’on ignore tout du contenu des accords signés, mais ils sont sans doute hautement stratégiques. S’agissant du Nigeria, par exemple, un diplomate occidental en poste à Lomé évoque la vente de drones militaires d’attaque de fabrication turque Beraktar pour « aider le pays en matière de sécurité ». Le Togo met le focus sur la lutte contre le terrorisme. Le ministre togolais des Affaires étrangères, de l’Intégration régionale et des Togolais de l’extérieur ne s’en est d’ailleurs jamais caché. « La Turquie a fait l’expérience du terrorisme dans les années passées et elle l’a vaincu ou est en train de le vaincre. Ce sera une expérience importante en termes de partage de renseignements et de formation de nos services de police et de sécurité. De toute façon, nous considérons que nous n’avons pas d’autre choix que de diversifier nos partenaires », a déclaré Robert Dussey. Le Togo compte manifestement profiter de ce rapprochement et de l’expérience turque pour rendre plus performantes les forces armées togolaises. « Le Togo s’est doté d’une loi de programmation militaire avec une vision claire des menaces. Nous connaissons les capacités militaires de la Turquie et nous nous sommes rapprochés d’elle », a indiqué le chef de l’État Faure Gnassingbé.

L’éducation n’aura pas été oubliée au cours de cette visite. La première dame Emine Erdogan a inauguré mardi une école turque à Lomé, l’École internationale Maarif. « Cette école va grandement contribuer à la coopération stratégique avec le Togo. C’est une expérience très précieuse d’offrir une éducation de qualité. Notre objectif est de pouvoir former des individus vertueux dotés de compétences », a-t-elle déclaré. « La Turquie a doté le Togo d’une institution de formation qui a fait ses preuves dans le monde. C’est donc un moment de fierté et de reconnaissance pour la jeunesse togolaise heureuse de bénéficier des valeurs du système d’enseignement turc », s’est réjouie Mme Yawa Tsegan, la présidente de l’Assemblée nationale du Togo. La Fondation Maarif crée ou gère des établissements allant du préscolaire à l’enseignement supérieur, des laboratoires, des centres de recherche, des dortoirs et résidences étudiantes, publie des contenus pédagogiques et accorde des bourses.

La société civile moins enthousiaste

Dans les milieux intellectuels, on ne veut pas s’enflammer sur cette visite de Recep Tayyip Erdogan et les déclamations de renforcement de la coopération. Océanographe et enseignant à l’université de Lomé, Prof Adoté Blivi soupçonne, depuis l’annonce de cette visite, une simple réplique de la stratégie chinoise en Afrique, à savoir mettre en avant le renforcement des relations commerciales et économiques pour cacher des enjeux militaires. « Le président turc […] va réunir à Lomé le Burkinabé, le Libérien et le Togolais, ils parleront du commerce, la face première des relations plus tard stratégiques, comme ce fut le cas avec la Chine, puis ce seront les armes. On peut se demander pour quel profit ? Pour le Togo qui tient déjà une collaboration militaire forte avec la France ? Est-ce que Lomé, par son aéroport, peut servir d’escale à Turkish Airlines de Luanda à Istanbul via Lomé, comme hub de transport des commerçants de l’Afrique de l’Ouest transportés déjà par Asky sur Lomé ? » L’universitaire doute que Lomé puisse être à même d’être « un carré militaire vers le Sahel dans la vision du Turc », mais reconnaît que « le Togo peut aller acheter des équipements de sécurité publique pour la police ».

Dans la société civile togolaise de façon générale, la prudence est de mise. Coordonnateur de plusieurs organisations, dont le Front citoyen Togo Debout (FCTD) et les Universités sociales du Togo (UST), David Ekoue Dosseh n’est pas plus enthousiaste. « Il est clair que l’Afrique intéresse le reste du monde parce que disposant de ressources importantes et aussi parce que constituant un marché intéressant. La Turquie l’a compris et mène depuis plus de 15 ans une vraie offensive à travers ses représentations diplomatiques qui se multiplient en Afrique et sa compagnie Turkish Airlines. Aujourd’hui, le montant des échanges commerciaux s’accélère, mais est plutôt en défaveur de l’Afrique », concède-t-il, regrettant que pour ce qui concerne le Togo, l’opinion n’ait pas de « visibilité sur le contenu de ces échanges » et s’interrogeant sur ce que les populations togolaises peuvent vraiment attendre de ce rapprochement entre Lomé et Ankara, « au-delà des annonces ». Tout en croyant fermement que « le Togo a besoin de transfert de compétences et d’accroître son industrialisation », ce porte-voix de la société civile au Togo espère qu’« une vision nouvelle va accompagner ce partenariat avec la Turquie et que les intérêts du Togo ne seront pas bradés, comme c’est souvent le cas malheureusement ».

L’annonce de la venue à Lomé du leader turc avait déjà crispé l’opinion et fait monter un tantinet la tension, le régime d’Ankara n’étant pas réputé en matière de démocratie et de respect de ses principes régaliens, dont les droits de l’homme, les libertés… Pasteur Edoh Komi, président du Mouvement Martin Luther King (MMLK), une organisation engagée dans la défense des droits des opprimés, prévoyait d’organiser une manifestation pour dénoncer le meurtre, en Turquie, dans la nuit du 7 au 8 septembre 2021, d’un ressortissant togolais, Elande Eya Ekuka. Mais elle n’a finalement pas eu lieu. « Je ne suis pas contre les relations entre la Turquie et le Togo, mais ce que je souhaite, c’est que lorsque ces cas de meurtres arrivent, que les autorités turques s’en occupent. Nous sommes après tout des pays amis, il faudrait que les droits humains dans nos deux pays soient respectés afin de sauvegarder les bonnes relations entre nos deux États », se lamente Elande Amevi, la grande sœur de la victime, et de réclamer justice pour son frère dont le rapatriement du corps s’est opéré aux frais de la famille malgré les sollicitations lancées à l’endroit des autorités togolaises.

Les milieux d’affaires regardent l’avenir

Dans les milieux d’affaires, c’est un tout autre son de cloche. « Le rapprochement du Togo et de la Turquie est normal en ce moment où tous les États cherchent à diversifier leurs partenaires. Le Togo possède le seul port en eau profonde de la côte ouest-africaine pouvant accueillir les grands navires de dernière génération. La Turquie aura besoin des services du port de Lomé pour atteindre les pays de l’hinterland. Dans la sous-région, le Togo bénéficie d’une stabilité et d’une sécurité qui rassurent les investisseurs turcs », confie Albert Akakpovi, un homme d’affaires togolais, directeur d’une société dans le domaine de la logistique. Dans le monde du business au Togo, on espère beaucoup que ce rapprochement ouvrira des portes. La page de cette toute première visite historique de Recep Tayyip Erdogan est refermée et, tout comme cet opérateur économique, le commun des Togolais espère que les bonnes intentions déclamées laisseront place à des actions concrètes.

Afrika Stratégies France avec Le Point Afrique
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