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Revue d'intelligence et d'Analyse

BENIN : Madougou, un an après, en silence, le martyre continue

Reckya Madougou, brillantissime femme politique béninoise est en prison depuis mars 2021. Les accusations à son encontre ont variés, du « trouble à l’ordre public » au « financement du terrorisme » sans convaincre ni opinion nationale, ni chancelleries occidentales. Un an après son arrestation, alors qu’elle n’a fait, en tant que candidate et principale challenger du président sortant, que dénonçer la récurrente dérive autocratique de Patrice Talon, elle vit toujours son martyre, silencieusement.

Au secours ! A-t-on envie de s’exclamer. S’il est vrai que la communauté internationale, notamment Paris et Washington ont exprimé leur soutien à la plus célèbre prisonnière béninoise en exigeant, diversement sa libération, il y a de quoi les appeler encore au secours. Et même si, consciente du risque qu’elle courrait en s’engageant comme candidat face à un lugubre despote dont les relents dictatoriaux ont mis hors d’état de compétir tous ses potentiels adversaires, Reckya Madougou est une femme, mère de deux enfants. En entamant son 13e mois de détention, cette femme de 48 ans à l’intelligence vive et aux compétences remarquées devrait être ailleurs qu’à la tristement célèbre prison de Missérété (45km de Cotonou) où croupissent opposants politiques et prisonniers d’opinion.

Pendant trois décennies, le Bénin, 13 millions d’habitants, s’est illustré comme un modèle démocratique, enchainant des alternances politiques par les urnes et surtout, pérennisant une tradition de consensus et de promotion de libertés fondamentales. La résistance de ses institutions, l’hyperactivité politique de ses populations, la pluralité de sa presse et la progressive consolidation du droit d’informer en ont fait un état de droit, envié et applaudi. Mais subitement, après son élection en 2016, Patrice Talon a entamé une rapide reddition de la classe politique, soumettant à ses ambitions ses principaux acteurs.  Conséquences, seules les formations politiques le soutenant sont représentées au parlement alors qu’il a le contrôle de la totalité des communes. Les rares maires qui ne sont pas de son obédience ont été écartés, comme celui de Parakou, 2e ville du pays, pour des motifs aussi farfelus les uns que les autres. D’ailleurs, Léhady Soglo qui était à la tête de Cotonou, la plus garde ville du pays a dû s’exiler ainsi que Sébastien Ajavon, arrivé en 2e position lors de la présidentielle de 2016 et grâce au soutien de qui Talon a été élu au second tour.

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Depuis, plusieurs vieux démons qu’on croyait écartés à jamais ont fait un retour en fracas dans la vie politique. Il s’agit notamment des arrestations de leaders d’opinion, d’incarcérations de journalistes, d’interdictions de manifestations publiques, d’éliminations de concurrents à l’occasion de joutes électorales, le recours à la justice pour écarter des adversaires etc… Patrice Talon est désormais l’unique maître du jeu, orchestrant depuis le Palais de la Marina le contrôle des institutions par des nominations népotiques d’hommes et de femmes qui lui sont entièrement acquis. Cette situation inquiète permanemment les Etats-Unis dont l’ambassadeur multiplie des rappels à l’ordre et fait sans cesse cas de sa « préoccupation ». Malheureusement, au fil du temps et à force de persister, la situation délétère des droits de l’homme, l’abolition criarde de la démocratie suivie de la mise en danger de ses acteurs ainsi que la récurrence de scrutins inéquitables sont devenues la norme. Laissant libre cours aux obsessions démagogiques du président et à ses humeurs tyranniques. La Nouvelle Tribune, la Radio Soleil Fm, Sikka Tv, des médias réputés proches de l’opposition, en ont fait les frais subissant une suspension définitive.

Entre temps, Reckya Madougou et Joël Aïvo qui étaient tous deux de sérieux concurrents de Talon pour la présidentielle de 2021 ont été arrêtés, dans la foulée du scrutin, et jetés en prison. L’une est condamnée à 20 ans de prison et l’autre à 10 ans par la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme, Criet, une cour de facto, spécialement créée pour faire la chasse aux opposants. Son palmarès est long de la chute de nombreux d’entre eux comme Batamoussi Essowé, l’un de ses juges a pris la clé des champs, dénonçant la manipulation et l’influence qu’il subit de la part du chef de l’Etat. Depuis, il est réfugié politique en France.

Il est donc temps que la communauté internationale s’intéresse de près à la situation qui prévaut au Bénin, d’atteinte ostentatoire aux principes élémentaires de l’état de droit et de menace permanente sur toute opposition. Sous pression, la société civile est réduite au service minimum, permettant ainsi au président, homme d’affaire dont les sociétés contrôlent les principaux segments de l’économie, de s’enrichir. En douce.

Reckya Madougou dont le crime est d’avoir été candidate face à Patrice Talon croupit silencieusement en prison, un martyre qu’elle a accepté courageusement mais auquel il est temps de mettre fin. Réélu à la tête de la France, Emmanuel Macron doit faire de cela une de ses priorités. Chaque jour que l’ancienne garde des sceaux passe en prison est un jour de trop, un enfer pour une innocente. Il est plus que jamais temps qu’elle soit libérée.

MAX-SAVI Carmel, Afrika Stratégies France

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