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BENIN : Entre Talon et l’opposition, une rencontre de dupe ce lundi

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La crise engendrée par les élections législatives du 28 avril au Bénin n’en finit point. Après l’épisode des violences, s’ouvre l’ère du dialogue. C’est dans cette perspective que Patrice Talon a convoqué les partis de l’opposition pour une rencontre de sortie de crise le 15 juillet 2019 au Palais de la Marina à Cotonou. Sauf qu’à la sincérité  de cette rencontre,  à part le chef de l’État, personne n’y croit.

Les élections législatives du 28 avril 2109 sont intervenues dans un contexte particulier, marqué par une rupture de consensus qui  a conduit à la non-participation des partis politiques de l’opposition pour la première fois au pays. Cet état de choses résulte de l’application de nouvelles dispositions d’une inique loi de septembre 2018,  portant charte des partis accompagné  d’un complexe code électoral. Il a fallu même aux députés qui ont volté la loi, quelques mois plus tard, des interprétations de la commission électorale pour s’en imprégner. Parmi les changements, figurent notamment, la multiplication par vingt de la caution pour participer à des législatives et l’imposition d’un  seuil électoral de 10% des suffrages au niveau national. L’opposition, dans sa majorité a vu dans ces lois, une volonté délibérée de l’écarter surtout avec l’apparition de documents, notamment le certificat de conformité qui ne figure pas dans la loi et inscrite tardivement sur la liste des pièces à fournir et à solliciter auprès de Sacca Lafia. Cacique de la majorité, le ministre de l’intérieur est accusé d’avoir, exprès, empêché les partis d’opposition de disposer du fameux certificat. Résultat, malgré les interventions de plusieurs organisations internationales et de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao), l’opposition n’a pu prendre part aux législatives d’avril dernier, offrant au président de la République la totalité des 83 députés sur un plateau d’or. Depuis, entre violences et tensions, ce pays de 11 millions d’habitants, modèle de démocratie peine à retrouver ses repères.

Des pressions pour une sortie de crise

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Suite aux échauffourées des 1er 2 mai 2019 qui ont fait entre 6 et 10 morts selon diverses sources, Yayi Boni est resté confiné dans son domicile à Cadjèhoun, Cotonou pendant plus de 50 jours. Il s’en est  suivi une pression internationale pour la libération de l’ancien chef de l’Etat et pour des initiatives devant permettre de sortir de la crise. Le président de la République de Côte d’Ivoire Alassane Ouatara a exprimé sa préoccupation par le biais de ses émissaires dépêchés à Cotonou, par rapport à « une crise qui ne garantit pas la paix et la stabilité » du Bénin. Des interventions fermes sont également notées de la part des anciens présidents du Nigéria et du Ghana. Olusegun Obansanjo et John Kuffor ont dénoncé la régression démocratique et  exigé la libération de Yayi Boni. Le sujet a été aussi évoqué au sommet de la Cedao tenu le 29 juin 2019 à Abuja au Nigéria. La  Commission  de  la  Cedeao a  publié  un  communiqué dans lequel  elle  se  dit  vivement  préoccupée  par  l’évolution  de  la  crise  postélectorale  et  a  appelé tous  les  acteurs  politiques  béninois  à  faire  en  sorte  que  tout  contentieux  lié  aux  élections  soit  traité de  manière  collective,  inclusive,  légale  et  pacifique  afin  de  promouvoir  leur  réconciliation  et  de maintenir  la stabilité  nationale et régionale et pérenniser  la  culture  démocratique  enviable  qui  fait  la  réputation  du  pays  en  relevant  les défis politiques actuels. Mieux le président du Nigéria, Muhammadu Buhari s’est impliqué résolument dans la recherche de solution pour la crise, mettant directement et discrètement la pression sur les autorités du Bénin, pays voisin et dépendant économiquement du géant d’Afrique. Que ce soit Macky Sall, Marc Christian Koboré ou encore Issoufou du Niger, ils sont tous intervenus auprès de Patrice Talon.  Si Yayi Boni, après des soins intensifs a subi à Paris une check up de routine et va mieux, la trêve semble bien fragile d’autant que dans plusieurs localités du centre du pays favorables à l’ancien président, la tension reste palpable. Talon n’a pas le choix que de calmer, par tous les moyens, la situation d’où la rencontre prévu lundi.

La main tendue de Talon

Depuis que le chef de l’Etat a annoncé sa main tendue pour un règlement définitif de la crise née des élections, la classe politique attendait qu’il en donne le contenu. Le mystère reste entier sur ce que souhaite Patrice Talon avec ses opposants demain. Pire, aucune annonce de décrispation n’a été enregistrée ces derniers jours où des proches de Yayi ont été arrêtés en banlieue de Cotonou, la capitale. Certains partis politiques ont déjà reçu leur invitation. Mais les préalables de l’opposition sont bien connus : la reprise des élections législatives, le retour des exilés politiques, la libération  des personnes emprisonnées, soit pour leurs opinions, soit pour avoir été soupçonnées de participer aux manifestations du 1er et 2 mai, entre autres et la restitution des corps des personnes abattues lors de ces manifestations. Pour sa part, l’ancien premier ministre du gouvernement Yayi s’est fendu d’un texte sur sa page twitter, vendredi dernier. Lionel Zinsou propose la formation d’un gouvernement d’union nationale. « Si le gouvernement est représentatif, le travail législatif peut être légitime », mentionne l’ancien premier ministre  du Bénin. Cet économiste hors pairs revint sur la nécessité de « rétablir la confiance des pays voisins et revenir aux libertés publiques ». Il insiste pour que le gouvernement soit représentatif. Pas évident que Talon écoute cet ancien adversaire politique pour qui il voue une haine à la hauteur de ces manigances pour ramener sur la scène publique une affaire qui l’oppose à un homme d’affaire burkinabè qui a été poussé à saisir la justice béninoise. Cette rencontre se veut être celle de tous les espoirs, vu l’enlisement de la crise. Talon acceptera-t-il de reprendre les élections alors que l’Assemblée nationale est installée ? « Peu probable » prévient un proche. Mais si l’opposition ne fléchit pas légèrement sa position, la crise aura des lendemains meilleurs devant elle.

En attendant, Patrice Talon qui est revenu sur sa promesse de mandat unique prépare déjà les prochaines municipales. En gagnant les communes, il pourra compter sur la base pour reconquérir l’électorat en 2021 où la présidentielle sera le plus grand test pour celui qui se définit, « à tort » selon ses détracteurs, comme un compétiteur né.

Thomas Azanmasso, Cotonou, Afrika Stratégies France

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