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Patrimoine africain : l’Allemagne sur le chemin des restitutions

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Le rapport Sarr-Savoy sur la restitution du patrimoine culturel africain a produit des effets à travers toute l’Europe. Des centaines d’objets conservés en Allemagne devraient ainsi faire leur retour en Afrique dès 2022.

En bronze, en laiton et en ivoire, ces sculptures, bas-reliefs et objets proviennent du palais royal de l’ancien royaume du Bénin, situé dans l’actuel Nigeria. L’Allemagne possède environ 1 100 objets béninois – la plupart pillés par les troupes britanniques en 1897 – dans une vingtaine de musées allemands, dont près de la moitié au musée ethnologique de l’Humboldt Forum de Berlin. Les quelque 600 pièces restantes sont conservées à Stuttgart, Hambourg, Cologne et Dresde.

La plupart devraient faire leur retour en Afrique prochainement. Un accord a été signé à l’automne 2021 par des représentants des deux parties à Lagos, prévoyant le transfert des droits de propriété au Nigeria : « Le gouvernement et le peuple allemands ont pris une mesure audacieuse en acceptant de restituer les artefacts volontairement, et sans trop de pression de la part du Nigeria », a alors déclaré le ministre nigérian de l’Information et de la Culture, Alhaji Lai Mohammed.

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Vue d’architecte du futur Musée Edo d’art ouest-africain, en projet à Benin City, au Nigeria. © Adjaye Associates
Vue d’architecte du futur Musée Edo d’art ouest-africain, en projet à Benin City, au Nigeria. © Adjaye Associates

« Retours substantiels »

Le processus conduisant aux retours effectifs devrait commencer au deuxième trimestre de l’année 2022, avec le transfert de propriété de quelques objets. Des « retours substantiels » sont prévus dans la foulée, sans qu’aucun détail pratique n’ait été encore indiqué. Selon certaines sources, une bonne partie des bronzes devrait être remise au Nigeria avant que le Edo Museum of West African Art (Emowaa), le nouveau musée de Benin City, prévu pour 2024, ne soit achevé. « Nous sommes heureux de cette évolution, a déclaré Yusuf Tuggar, ambassadeur du Nigeria à Berlin, fin 2021. Pour la première fois en 124 ans, une génération de jeunes Nigérians pourra physiquement voir et s’inspirer de tels chefs-d’œuvre. L’Allemagne fait ce qu’il faut. »

CERTAINS DES BRONZES NIGÉRIANS RESTERONT DANS LES MUSÉES ALLEMANDS SOUS FORME DE PRÊTS

Les deux pays sont tombés d’accord pour que certains des bronzes actuellement visibles dans les musées allemands y restent sous forme de prêts. « Nous discuterons avec la partie nigériane pour savoir si et comment les bronzes béninois peuvent également être exposés en Allemagne dans le cadre du patrimoine culturel de l’humanité », a affirmé l’ancienne ministre d’État pour la Culture et les Médias Monika Grütters.

Liste numérisée

En attendant, une liste numérisée de tous les bronzes béninois que possèdent actuellement les établissements allemands doit être établie. Connaître le musée dans lequel se trouvait les objets s’apparentait jusque là à un jeu de devinettes pour les pays les réclamant, car seulement une fraction d’entre eux était exposée. Pour que la restitution ait lieu, la demande de retour doit être envoyée sous la forme diplomatique d’une « note verbale », un document utilisé pour la communication entre ambassades ou ministères, comprenant des informations sur les objets réquisitionnés et les motivations de la requête.

Pour permettre le transfert de propriété prévu d’ici l’été, le consentement du gouvernement fédéral, des États fédéraux (les Länder) et des communes est nécessaire. Le gouvernement fédéral s’est déjà engagé envers les musées de Berlin, tout comme la ville de Cologne et les gouvernements des Länder de Hambourg et du Bade-Wurtemberg. Ce dernier fait partie de ce ceux qui souhaitent mettre en place les premiers retours dès 2022. En cas de retard fédéral, « nous nous réservons le droit d’agir nous-mêmes », explique Teresia Bauer, la ministre des Sciences, de la Recherche et de l’Art de ce Land. C’est en effet dans cette région que se trouve le musée de Linden, à Stuttgart, un des plus grands musées ethnologiques d’Allemagne, qui a récupéré une partie des collections de l’ancien musée colonial de Berlin, en 1917.

Épinglés par le rapport Sarr-Savoy

En mai 2019, la croix en pierre Cape Cross – un objet du XVe siècle qui guidait les explorateurs portugais – est passée du Musée historique allemand de Berlin à la Namibie. Et deux mois auparavant, le Bade-Wurtemberg avait rendu la Bible et le fouet du héros national namibien Hendrik Witbooi [leader du peuple Nama, victime d’un génocide perpétré par les troupes coloniales allemandes] qui se trouvaient dans la collection du musée de Linden. Mais jusqu’à présent, la restitution des biens culturels reste l’exception en Allemagne.

LE FORUM HUMBOLDT, QUI A OUVERT SES PORTES EN JUILLET 2021, ÉTAIT AU CENTRE DES CRITIQUES

La publication explosive fin 2018 du Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle, commandé à la Française Bénédicte Savoy et au Sénégalais Felwine Sarr par le président français Emmanuel Macron, fait néanmoins bouger les lignes. Le Forum Humboldt, à l’époque encore en chantier mais qui a ouvert ses portes en juillet 2021, s’y trouvait au centre des critiques. Les deux auteurs lui reprochaient son manque de recherches quant à la provenance de ses collections non européennes, avec des centaines de pièces d’origine douteuse.

L’historienne de l’art Bénédicte Savoy, qui enseigne à Berlin et qui était jusqu’en 2017 membre du Conseil consultatif d’experts du Forum Humboldt, se bat depuis des années pour le retour des pièces spoliées conservées en France et en Allemagne. En octobre dernier, la France a restitué au Bénin 26 œuvres pillées au palais d’Abomey au XIXe siècle qui se trouvaient dans les collections du musée du Quai Branly – Jacques Chirac. Un retour rendu possible grâce à une loi spécifique votée en 2020 dérogeant au principe d’inaliénabilité des biens conservés dans des établissements publics français.

Programme TheMuseumsLab

L’ouverture du Forum Humboldt et les discussions en cours sur les restitutions en Europe, et notamment en France, ont fortement alimenté le débat sur le sujet en Allemagne – et changé les mentalités. Selon les experts, le nombre d’objets issus de l’époque coloniale dans les nombreux musées ethnologiques allemands est très important. La collection du musée ethnologue de la Fondation du patrimoine culturel prussien (Stiftung Preußischer Kulturbesitz) compte à elle seule environ un demi-million de pièces. Cependant, toutes ces œuvres n’ont pas nécessairement été volées ou pillées, tient à préciser le président de la Fondation, Hermann Parzinger : « Il y a un nombre incroyable d’objets du quotidien qui n’ont ni une signification sacrée ni une valeur artistique et que des chercheurs ont collecté pour en savoir plus sur ces cultures. »

THEMUSEUMSLAB EST UNE ÉTAPE IMPORTANTE VERS LA CRÉATION D’UNE AGENCE DE COOPÉRATION INTERNATIONALE DES MUSÉES.

Dans ce contexte, l’Allemagne a lancé en mai 2021 TheMuseumsLab, un programme facilitant l’échange et la formation continue pour de jeunes experts muséaux et pour des gestionnaires africains et allemands. Financé par le ministère des Affaires étrangères en étroite collaboration avec le ministère de la Coopération économique et du Développement, ainsi que par le commissariat à la Culture et aux Médias du gouvernement fédéral, il est destiné à devenir une plateforme qui permettra à la fois une formation conjointe et la transmission des compétences à des individus et à des institutions.

TheMuseumsLab est une étape importante vers la création d’une agence de coopération internationale des musées. Suivant le modèle de l’Agence France Muséums créée en 2007, l’Allemagne veut aider les musées allemands à être mieux représentés à l’étranger. Objectifs ? Promouvoir le développement d’une marque commune pour les musées allemands, soutenir de grandes coopérations internationales d’exposition et former des experts des musées en encourageant les « échanges » de conservateurs et d’œuvres – notamment avec le Nigeria et l’Afrique en général.

Au Bénin, l’Allemagne veut soutenir activement la construction du Emowaa. « Ce faisant, nous ne poursuivons rien de moins qu’un objectif que nous nous sommes déjà fixés dans l’accord de coalition : progresser dans l’acceptation de notre histoire coloniale par l’échange culturel », avait affirmé Heiko Maas, ministre allemand des Affaires étrangères entre 2018 et 2021. « Nous avons besoin de concepts muséaux innovants dans notre monde postcolonial et globalement interconnecté ! » renchérit Carola Lentz, présidente du Goethe-Institut.

Afrika Stratégies France avec Jeune Afrique

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