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Revue d'intelligence et d'Analyse

Jean Jacques Lumumba : « La mauvaise gouvernance et la corruption restent les épines les plus importantes pour l’émergence de l’Afrique ! »

LoJea

A l’origine des Lumumba Papers, qui révèlent les transactions suspectes de la banque BGFI, son ex-employeur, en République démocratique du Congo (RDC), Jean Jacques Lumumba, petit-neveu du héros  de l’indépendance congolaise Patrice Lumumba, a fait de la lutte contre la corruption en Afrique le combat de sa vie. Le jeune cadre banquier de 34 ans, fondateur de l’association UNIS, une plateforme de lutte contre ce fléau qui mine le continent, effectue régulièrement des conférences sur cette question dans des universités, en France, où il s’est exilé. Interview d’un militant chevronné pour une Afrique plus juste.

 

A tout juste 34 ans, Jean Jacques Lumumba a l’apanage des sages que la vie a durement forgé et qui refusent de déroger à leurs principes. Son visage était inconnu du public avant l’éclatement des Lumumba papers, où il accuse son ancien employeur, la filiale de la BGFI, la banque gabonaise et française internationale, en République démocratique du Congo (RDC), d’avoir couvert des détournements de fonds publics au profit du clan Kabila. Le jeune homme discret, petit-neveu de Patrice Lumumba, leader historique de l’indépendance congolaise, dont il porte le patronyme par sa mère Louise, la nièce de ce dernier, avait en effet une situation professionnelle confortable en RDC en tant que cadre dirigeant de la branche crédit de la BGFI. Mais il a fait le choix de renoncer à tout cela pour défendre ses idéaux. Sa vie bascule en 2016. Année durant laquelle il découvre l’existence de plusieurs transactions suspectes de dizaines de millions de dollars entre la banque congolaise dirigée par des proches de la famille du président Joseph Kabila à l’époque et des sociétés elles aussi contrôlées par des proches de ce dernier. Le jeune homme qui refuse de se taire face à cette situation tente d’alerter en interne ses supérieurs. Menacé avec une arme à feu par le directeur général de la banque, Francis Selemani Mtwal, qui n’est autre que le frère adoptif du chef d’Etat, il décide de s’exiler en Europe et de révéler ce scandale financier. Marié à une congolaise depuis 10 ans, le père de quatre enfants (deux filles et deux garçons) est rejoint quelques temps après par sa famille, qui n’était aussi plus en sécurité en RDC, où il a fait l’essentiel de sa vie. Diplômé en Economie (option Finances et développement) de l’Université Catholique de son pays et détenteur d’un master 2 en Risque management et assurances de l’entreprise, décroché en France, il a neuf ans d’expérience dans le secteur bancaire et dans la gestion des risques de crédit. Actuellement, il occupe un poste de business consultant en management au sein d’une entreprise américaine, basée à la Défense. En parallèle, il est engagé pleinement dans la lutte contre la corruption pour que son pays devienne un Etat de droit. En mai 2019, il crée la plateforme panafricaine de lutte contre la corruption UNIS, qui fait partie de la coalition des ONG, le Congo n’est pas à vendre (CNPAV), œuvrant contre la corruption en RDC. Aujourd’hui, il effectue régulièrement des conférences dans les universités françaises ou encore au Parlement belge sur ce thème qu’il estime central pour l’essor de l’Afrique. En Décembre 2019, à Kigali, lors de la quatrième édition de l’ACE Award, il a reçu le Prix International Cheikh Tamim Bin Hamad Al Thani, « Anti-Corruption Excellence Award 2019 », dans la catégorie « Jeunesse, Créativité et Engagement » pour son engagement depuis 2016 dans la lutte contre la corruption. Le prix est décerné chaque année par le Centre pour l’Etat de droit et la lutte contre la corruption (ROLACC) depuis 2016 à l’occasion de la journée internationale de lutte contre la corruption, en coopération avec l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC), basé à Vienne. Pas étonnant qu’avec un tel parcours que les personnalités qui l’aient inspiré soient Nelson Mandela, Thomas Sankara, Simon Kimbangu et bien évidemment Patrice Lumumba.

 

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Qu’est-ce qui vous met particulièrement en colère?

Ce qui me met en colère c’est tout d’abord la misère de la population congolaise d’une part et de l’autre côté l’irresponsabilité criante et surtout la kléptocratie que j’ai constatée dans les opérations bancaires décrites dans les « Lumumba Papers » de la classe politique dirigeante représentée par le clan Kabila dont un membre de la fratrie était mon Directeur Général.

 

Pouvez-vous nous présenter le concept d’UNIS, votre association de lutte contre la corruption en Afrique?

UNIS a vu le jour le 30 mai 2019, à Bruxelles. On a initié cette nouvelle plateforme de lutte contre la corruption car il était temps pour l’Afrique de mettre en œuvre des mesures bien pensées, plus adaptées et, de ce fait, efficaces pour soutenir la bonne gouvernance dans le contexte africain. De cette manière, UNIS compte, non pas supplanter les organisations qui œuvrent dans ce domaine, mais plutôt apporter par son action, un peu plus de synergie. Pour y arriver, la structure s’est constituée d’une part comme centre de réflexion (Think tank) pour mieux analyser la question et d’autre part comme structure d’éducation, de communication et de plaidoyer sur les spécificités de la corruption en Afrique. En apportant sur la table une réflexion spécifique en termes de fondements social et de mécanismes de la corruption en Afrique, UNIS pense ainsi utilement s’articuler sur une chaîne de valeurs qui apporte plus d’analyses et de méthodes pour une meilleure efficacité globale aussi bien des enquêtes que des actions engagées dans le cadre de la lutte contre la corruption.

 

A qui vous adressez-vous exactement à travers cette plateforme ?

L’audience d’UNIS c’est d’abord le peuple africain, première victime meurtrie par le fléau de la corruption qui paralyse les institutions qui devraient œuvrer au bien-être collectif. Toutes les actions de terrain envisagées prévoient une initiative locale, sinon une appropriation complète. La seconde audience est faite de responsables des institutions à tous les niveaux. Le but ici est d’apporter l’autre volet de (de) ses missions, soutenir les réformes locales par des formules d’actions efficaces et adaptées au contexte. Plutôt que d’opter pour une position de dénonciation passive, UNIS dévoile un nouveau paradigme d’une force de proposition qui se veut co-responsable et partie prenante aux grandes questions qui minent l’avenir du continent. UNIS s’articule également avec les institutions gouvernementales et non gouvernementales qui œuvrent dans ce domaine pour permettre une bonne synergie. Ce type d’audience est aussi une voie d’échange mutuelle d’expérience et d’expertise pour une analyse plus efficace des questions de corruption et un plaidoyer plus porteur de résultats.

 

Vous avez fait de la lutte contre la corruption en Afrique votre cheval de bataille. Pourquoi cette question vous tient-elle particulièrement à cœur?

Aujourd’hui, l’Afrique comme le monde entier fait face à une crise sanitaire majeure avec de grandes implications économiques. Et la mauvaise gouvernance et la corruption restent les épines les plus importantes à coté des défis climatiques et sécuritaires pour l’émergence de l’Afrique. Nous avons fait de cette lutte contre la corruption notre cheval de bataille car nous avons compris que si ce fléau et cette kleptocratie ne sont pas combattus avec la plus grande détermination, le continent africain restera à la traîne pendant plusieurs années et deviendra un fardeau de la planète toute entière alors qu’il reste le continent le plus riche en ressources naturelles.

 

A quel moment de votre existence avez-vous décidé que ce serait le combat de votre vie?

Dès l’instant où j’ai été confronté au bouleversement dans ma vie privée en étant obligé de me protéger face aux différentes menaces des puissants, j’ai compris que je devais en faire le combat de toute ma vie et surtout de toute une génération qui se veut consciente.

 

Aujourd’hui, au niveau des Etats, quels sont les bons et mauvais élèves  de la corruption en Afrique?

En me référant au rapport Transparency International et à mon expérience personnelle, je peux citer comme bons élèves Les Iles Seychelles, le Botswana, le Cap vert, le Rwanda, l’île Maurice et la Namibie. Et comme mauvais élèves le Sud Soudan, le Soudan, la Guinée Equatoriale, La Lybie, la Guinée Bissau et la République Démocratique du Congo. Dans les pays les mieux classés comme la Namibie et le Rwanda que j’ai eu à visiter, l’implication des autorités politiques sur des questions de transparence est visible, des peines d’emprisonnement sont prévues pour des citoyens récalcitrants et qui se rendent coupables de fausses déclarations de revenus par exemples et pour les mauvais exemples dont mon pays, on ressent en étant dans ce pays que la corruption est devenue comme un mode de vie.

 

Quels sont d’après-vous les moyens concrets qui permettraient de réduire considérablement la corruption en Afrique?

La lutte contre la corruption en Afrique passera tout d’abord par la volonté politique et principalement par la reforme de la justice comme instrument principal de lutte contre l’impunité. La mise en place d’un régime de sanctions appropriées (positives et négatives) s’avère nécessaire. Avec ce préalable, d’un pays à un autre, il sera question d’implémenter des organes indépendants dédiés à cette politique de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption (Cour des comptes, Agence anticorruption, Parquets Financiers, Brigades financières et législations bancaires adaptées contre la corruption et le blanchiment des capitaux).

 

En Afrique, quand on évoque la corruption, on pense surtout aux Etats, gouvernements, dirigeants… Mais que dire aussi de la corruption pratiquée également par les populations… Finalement c’est tout le monde qui est concerné par ce fléau…

L’exemple vient d’en haut dit-on. Lorsque la grande corruption sera sérieusement réduite car c’est elle qui met les économies et les Etats africains en faillite, il sera plus aisé de combattre la petite corruption.

 

Pouvez-vous revenir sur l’affaire complexe des Lumumba papers? Où en est-on aujourd’hui?

Les Lumumba Papers révèlent les activités suspectes de la banque BGFI RDC, filiale de la Banque Gabonaise et Française Internationale (BGFI) en République démocratique du Congo, et son implication dans la corruption et le détournement de fonds publics largement basé sur des documents internes que nous avons révélé au journal Le Soir. L’affaire révèle également l’existence de transactions suspectes entre la BGFI et la Commission électorale nationale indépendante et certaines sociétés liées au clan Kabila. Aujourd’hui, nous avons porté plainte devant les juridictions françaises pour les préjudices subis et elles se sont déclarées compétentes. Bien que la partie adverse ait fait appel de la décision, nous restons confiants sur l’aboutissement heureux de ce procès.

 

Vous avez pris beaucoup de risques en tant que lanceur d’alerte dans l’éclatement de cette affaire. A-t-elle eu les retombées et l’impact que vous attendiez ? Qu’est-ce que les Lumumba papers ont réellement changé en RDC ?

Aujourd’hui la lutte contre la corruption est devenue un sujet phare en RDC aussi grâce à nos révélations. Le changement tant espéré est un processus et il sera porté par le peuple congolais dans son ensemble.

 

Depuis les Lumumba papers, vous avez été contraint de quitter la RDC. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur votre pays?

Le pays a connu des élections pseudo démocratiques et tronquées avec à la tête un nouveau Président de la République en la personne de Félix Antoine Tshisekedi (fils de l’opposant historique Etienne Tshisekedi) sans réelle marge de manœuvre sur le changement profond de la situation de la population car la majorité parlementaire acquise au Sénateur Joseph Kabila, qui a été rejeté par le peuple, se retrouve à nouveau homme fort alors que très impliqué dans différents crimes économiques et des droits humains, dont l’assassinat de deux experts des Nations Unies et plusieurs congolais massacrés et assassinés par son régime comme Thérèse Kapangala, Rossy Mukendi, Floribert Chebeya…La situation économique ne s’est pas améliorée et la population continue à vivre sous le seuil de  pauvreté. La corruption continue à battre son plein de même que l’impunité car le programme des 100 jours de l’actuel président fait l’objet des poursuites judiciaires dont nous attendons tous l’issue. Les scandales financiers de la période Kabila restent impunis et ne font l’objet d’aucune poursuite judiciaire dans le pays. Tous les généraux impliqués dans les exactions de droits de l’Homme comme Tango Four, Mundos et John Numbi occupent toujours des fonctions importantes au sein de l’armée. La seule lueur d’espoir donnée par le Président Tshisekedi demeure la gratuité de l’enseignement bien que beaucoup de préalables méritent d’être revus et corrigés.

 

Quelles sont d’après-vous les solutions pour que la RDC soit le pays qu’il devrait être, tant son potentiel et ses richesses sont immenses?

La principale solution pour la RDC c’est de relever le défi d’avoir les hommes qu’il faut aux places convenables. La gestion de la République et l’administration doivent être repensés et réadaptés. Il faut récréer l’Etat qui est en faillite généralisée.

 

En quoi le combat de Patrice Lumumba pour l’indépendance de la RDC vous a-t-il inspiré dans le votre contre la corruption?

J’ai été inspiré par sa détermination car tout au début de mon engagement, très peu de personnes ont cru à ce combat mais j’y ai mis toute mon énergie et mon cœur jusqu’à être reconnu par l’Office des Nations Unies contre le crime et la drogue en 2019. Il reste  et restera mon modèle dans la suite de ce périlleux combat.

 

Est-ce que vous estimez qu’aujourd’hui, à notre époque, son combat est toujours d’actualité?

Ce combat ne prendra fin que le jour où l’Afrique retrouvera sa dignité en devenant un continent émergent et puissant économiquement.

 

Quel regard portez-vous sur la jeunesse du continent qui, par ailleurs, a beaucoup de sympathie pour votre grand-oncle?

C’est aujourd’hui une jeunesse plus engagée et déterminée pour sa réelle autonomie et prise en charge de ses aspirations à l’instar de ce qu’a voulu Lumumba ou Sankara. Malheureusement, elle est dirigée par des hommes sans vision et égoïste prêts à se remplir les poches et ne jamais bâtir dans la durée et le vivre ensemble à l’exception de quelques pays. 

Assanatou Baldé, Afrika Stratégies France 

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