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Algérie : trois ans après la chute de Bouteflika, le pays a-t-il changé ?

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Théorisé par Abdelmadjid Tebboune au moment de son accession au pouvoir, le concept d’« Algérie nouvelle » devait marquer la rupture avec l’ancien régime. En cette année de 60e anniversaire de l’indépendance, la nation a-t-elle vraiment changé de visage ?

Alger, début février 2019. Le président Abdelaziz Bouteflika, installé au palais d’El-Mouradia depuis 1999, brigue un cinquième mandat en dépit d’une santé chancelante. Fratrie, ministres, oligarques, généraux : tous se mettent alors en ordre de bataille pour assurer à ce président valétudinaire son maintien au pouvoir, et permettre aux membres de ce clan de continuer à faire main basse sur les richesses du pays.

Tout, début février 2019, devait donc rester en l’état… et sous la coupe réglée du clan Bouteflika. Seulement voilà, tous ces plans, prévisions et scénarios ont été balayés par la révolution du 22-Février, qui a mis un terme à un régime vieillissant et changé le cours de l’histoire de l’Algérie sans doute pour deux ou trois décennies. 

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L’homme fort du pays

Trois ans après le Hirak révolutionnaire qui a ouvert la voie à l’arrivée au pouvoir Abdelmadjid Tebboune, comment va le pays ? Si les citoyens ont encore du mal à cerner les contours de cette « Algérie nouvelle » – concept inventé par le président pour définir son projet de société en opposition à celui du régime précédent –, la situation politique n’est plus ce qu’elle était à la chute de Bouteflika. 

La dynamique du Hirak – qui a drainé des centaines de milliers de personnes dans les rues – est étouffée. Éteinte. À cela deux raisons : la pandémie de Covid-19 bien sûr, mais aussi la répression qui s’est abattue sur les manifestants, ainsi que sur les principaux animateurs du mouvement. La fin du Hirak – du moins dans sa forme originelle – était d’autant plus inévitable que les autorités ont décrété qu’il n’avait plus lieu d’être dès lors que ses principales revendications étaient satisfaites ou en voie de l’être. 

L’extinction du Hirak – dont l’un des principaux leitmotivs était de remettre en question la légitimité d’Abdelaziz Bouteflika – a permis à Abdelmadjid Tebboune d’éliminer ce contre-pouvoir qui parasitait sa présidence. 

Contesté au début de son mandat, Tebboune est aujourd’hui l’homme fort du pays. Son autorité n’est plus contestée, et les bonnes relations qu’il entretient avec l’institution militaire – véritable colonne vertébrale du système – assoient encore davantage son pouvoir. 

 

Foule compacte de manifestants du Hirak battant le pavé dans les rues d’Alger, le 12 mars 2021.
Foule compacte de manifestants du Hirak battant le pavé dans les rues d’Alger, le 12 mars 2021.

 

Stature internationale et désert intérieur

Sur le plan international, la rupture avec l’ancien régime est manifeste. Après des années d’effacement, la diplomatie algérienne se redéploie en force, comme en témoigne son activisme en Afrique et au Moyen-Orient, qui tranche avec l’apathie qui caractérisait les dernières années de l’ère Bouteflika. 

Autre signe de ce renouveau diplomatique, la tenue à Alger, les 1er et 2 novembre 2022, du sommet de la Ligue arabe. L’occasion pour l’exécutif de marquer clairement ce changement. Et, de contrer l’influence du rival marocain, avec lequel les relations sont rompues depuis août 2021.

Le 60anniversaire de l’indépendance pourrait aussi permettre de lancer une véritable et sincère refondation des relations avec la France, en poursuivant et en renforçant le travail sur la mémoire et l’histoire communes des deux nations. Mais en matière de réconciliation, il y a loin de la coupe aux lèvres.

Toute-puissance sur le plan de la politique intérieure, retour en force sur la scène internationale… La mainmise du locataire d’ElMouradia est d’autant plus frappante que presque plus personne ne peut lui tenir tête. Les traditionnels partis d’opposition sont tous laminés. Quant aux figures du Hirak qui portaient la contestation, elles ont été réduites au silence ou se sont retirées de l’espace public, alors que la presse indépendante, hier critique et hostile, est aujourd’hui anesthésiée et en proie à de graves difficultés financières. C’est peu dire que la scène politique nationale est atone et insipide. 

L’ÉMERGENCE D’UNE NOUVELLE ÉLITE POLITIQUE DEVRA ENCORE ATTENDRE QUELQUES ANNÉES

Et c’est là que réside justement l’un des grands ratés des deux premières années du mandat de Tebboune, qui a brisé net l’élan initié par le mouvement populaire jusqu’à faire de la scène politique un désert. Ce que le Hirak a apporté – libération de la parole, ouverture de débats dans l’espace public, éclosion de nouveaux acteurs de la société civile susceptibles d’apporter le changement – a été progressivement balayé. Résultat : l’émergence d’une nouvelle élite politique devra encore attendre quelques années. 

Poigne de fer et paix sociale

On dit souvent que lorsque le pouvoir est en butte aux difficultés économiques et au marasme social, l’embellie des cours du pétrole arrive comme une bouée de sauvetage. Mais au début de la pandémie, c’est l’inverse qui s’est produit. Les hydrocarbures constituant la principale ressource en devises du pays, la chute des cours du baril ont mis à mal ses finances, faisant même planer le spectre du recours à des fonds extérieurs. Pour faire face à cette crise, les autorités ont dû se serrer la ceinture, et effectuer des arbitrages budgétaires. 

Dégradation du pouvoir d’achat des ménages, montée en flèche du chômage, détérioration du climat des affaires : les effets conjugués du virus et de la dégringolade du baril auraient pu mettre en péril la paix sociale. Mais la poigne de fer du pouvoir, la fermeture des espaces publics destinés à l’expression libre, ainsi que la répression qui sévit depuis deux ans ont découragé toute contestation sur le terrain. 

Puis est survenue la guerre en Ukraine, qui a entraîné la remontée spectaculaire des cours du pétrole et créé de nouvelles opportunités de débouchés pour le gaz algérien : deux paramètres qui constituent une formidable bouffée d’oxygène pour le pays, rappelant à quelques égards les années d’opulence de l’ère Bouteflika, quand le cours du baril frôlait les 120 dollars. Cette hausse a permis de renflouer les caisses de l’État et d’éloigner le spectre des déficits récurrents. Avant, peut-être, d’amorcer la relance économique tant attendue. 

Car il y a vraiment urgence, comme le souligne Mohamed Sami Agli, président de la Confédération algérienne du patronat citoyen (CAPC). « Nous avons subi de plein fouet les conséquences de la pandémie, comme tous les pays de la planète, mais nous avons également subi celles de la chute des cours du pétrole, explique-t-il. Tout cela a eu un impact sur la situation économique de l’Algérie et sur ses entreprises. » 

Les fondements de la relance que tout le monde appelle de ses vœux commenceront-ils à être posés en 2022, comme le soutient le gouvernement et comme le souhaitent les acteurs et les opérateurs économiques tant nationaux qu’étrangers ? L’avenir proche le dira. Mais beaucoup d’Algériens ne croient plus à ces professions de foi mille fois formulées par les pouvoirs successifs et jamais concrétisées… 

Afrika Stratégies France avec Jeune Afrique

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