SENEGAL : Une présidentielle en cinq profils

Le 24 février, ils seront cinq à briguer la magistrature suprême au Sénégal. Une élection inédite qui assurera à Macky Sall, candidat, une succession à la tête du pays. Si les profils sont divers, le président sortant aura tout de même réussi à s’éviter deux colossaux adversaires, Karim Wade et Khalifa Sall. Issa Sall, Idrissa Seck, Ousmane Sonko et Madické Niang feront tout pour empêcher un second mandat au chef de l’Etat. Portraits !

La campagne électorale s’ouvre officiellement ce dimanche à minuit. Cinq candidats en tout dont le président sortant sont en lice, loin des 80 attendus au départ. Pour cause, le système des parrainages imposé par la majorité présidentielle et qui a recalé plus d’un. Annoncé comme principal challenger, Karim Wade, lui, sera écarté par la cour constitutionnelle ainsi que Khalifa Sall, maire de Dakar. Finalement, cinq candidats, tous des hommes croiseront leur destin avec celui du peuple sénégalais. A trois semaines du premier tour et à la veille de l’ouverture de la campagne, Afrika Stratégies France vous propose le portrait de chacun des cinq candidats. Et vous le verrez, ils sont si différents les uns des autres. L’ordre sera celui alphabétique, par les patronymes.

Madické Niang

Jusqu’à’ récemment, il était un fidèle de l’ex président Abdoulaye Wade. L’annonce de sa candidature sous la bannière du Pds lui a attiré la foudre du pape du sopi, coincé dans sa logique de « Karim ou personne d’autre ». Ministre de la Justice dans maints gouvernements, puis des Affaires étrangères entre 2009 et 2012, Madické Niang est une personnalité consensuelle. Il dit clairement que sa candidature est une «alternative» pour éviter que le Pds n’ait pas de représentant. Porté par la coalition Madické 2019, la candidature de l’avocat de 65 ans, apparaît tout de même comme une candidature de témoignage. Peu favori, il aura eu le mérite d’avoir osé défier le père Wade, qui se considère comme la « seule constante» du Pds, misant sur les autres comme «des variables ». Très introduit dans le milieu maraboutique mouride de Touba, ses liens avec Wade sont tels que depuis 2012, c’est dans l’une de ses villas au quartier huppé Fann Résidence de Dakar que vit l’ancien président. Avocat réputé, député de la 13è législature, il doit son immense fortune à sa carrière d’avocat plus qu’à la politique. Ce qui lui confère une image d’intègre qu’il aime brandir en tout temps. La confiance de ses coreligionnaires mourides, influents au Sénégal, l’ont placé sur de gros dossiers face aux tribunaux au Sénégal. Alors que le Pds part en lambeau, ce scrutin aura valeur de test pour Madické Niang et va peut-être déterminer l’avenir, voire la survie du parti démocratique sénégalais qu’il pourra conduire. Mais partir en solo, tout en revendiquant son affiliation au père fondateur du Pds va lui réussir ?

Ousmane Sonko

Il sera probablement à la tête de l’opposition après la présidentielle. A 44 ans, cet inspecteur des impôts aux positions tranchées devrait facilement se retrouver en deuxième position, après le président sortant, selon plusieurs sondages. Mais l’intention de vote qui lui est attribuée, à peine 15% pourrait ne pas lui permettre d’aller au second tour si le président sortant l’emporte dès le premier. Sonko pourra aussi compter sur une partie des 15% dont est crédité Karim Wade avant d’être écarté de la course. La force de Ousmane Sonko n’est pas que sa jeunesse mais surtout la mobilisation dont il a bénéficié à l’intérieur du pays mais surtout à l’étranger. Elu député grâce aux votes de la diaspora, il est sans aucun doute le candidat préféré des Sénégalais vivant hors de leur pays. Eloquent et précis notamment sur les questions économiques, il entend rompre avec le Cfa, monnaie coloniale et privilégier les intérêts du Sénégal. Une position qui le place à droite, presqu’à l’extrême si ce n’est son programme flexible et abondamment sociale. La renégociation des contrats pétroliers est au cœur de sa campagne, ce qui l’éloigne de soutiens financiers de grandes entreprises. A défaut, pour sa campagne, ce musulman modéré veut compter sur les collectes de fonds et entend s’en prendre, dès l’ouverture de la campagne, au bilan de Macky Sall. Il qualifie de « précipitées et budgétivores » les grandes infrastructures construites en quelques années lors du mandat en cours et n’en démord pas de ce que la mise en circulation de TER (Train express régional) au Dakar ne rentre pas dans un plan cohérent de développement.

Macky Sall

Imperturbable, le président sortant ne doute pas de sa victoire. Affublé de 40% de suffrage par deux sondages commandités par la présidence, il n’a plus qu’une seule obsession, gagner au premier tour. Vétéran de la politique sénégalaise, il veut centrer sa campagne sur les grandes œuvres. Né en 1961 à Fatick, fief qu’il partage avec Issa, l’autre Sall et lui aussi candidat, le président sortant a multiplié des inaugurations quasi électoralistes ces derniers jours. Le Train express régional (TER), le pont de Farafaigné, reliant la Gambie et le Sénégal, il ne manquera aucune occasion de se présenter comme l’homme du développement. Maoïste au lycée puis marxiste léniniste à l’université, il ralliera au début des années 1980 le Parti démocratique sénégalais d’Abdoulaye Wade. Premier ministre (2004-2007) et président de l’assemblée nationale pendant 16 mois jusqu’à fin 2008, ce pur produit du Wadisme prendra ses distances avec celui qui aura fait de lui ministre de l’Energie et de l’Intérieur, chaque fois avec le rang honorifique de ministre d’Etat. Depuis, à la tête du Sénégal avec le soutien des socialistes (son père aura été membre du parti socialiste sénégalais, mais jamais lui), il a réussi à écraser le clan Wade qui l’a fait. Passionné des grands travaux, se comparant en privé à François Mitterrand dont il a lu à plusieurs reprises la biographie, sa folie en cours, Diamniadio, une gigantesque ville moderne près de Dakar. Ni le coût faramineux du projet, ni les critiques de l’opposition et de la société civile qui y voit un nid à corruption, ne décourageront le président sortant. Macky Sall qui égratigne chaque fois un peu plus les libertés publiques n’entend pas s’arrêter. S’il gagne la présidentielle, son prochain mandat sera celui de la continuité des grands travaux.

Issa Sall

A 63 ans, ce fervent croyant, membre d’une branche rigoriste des Tidianes, aura été pendant de longues années socialiste avant de virer lentement vers le centre et d’apparaître aujourd’hui comme un conservateur et traditionnaliste de droite. Universitaire, sa parole s’est faite rare pendant ses près de deux années au parlement au point où il n’a accordé que très peu d’interviews. Premier docteur en informatique du Sénégal en 1995, il crée, deux ans plus tard, l’Université du Sahel qu’il préside. Député, depuis 2017 du Parti de l’Unité et du rassemblement qui porte sa candidature pour la présidentielle, cet homme réservé et pudique n’a, sauf miracle, aucune chance d’être au second tour. Mais il restera la surprise de cette élection et pourrait surprendre par son score. Car, pour lui, de petits groupes menés par des leaders religieux se sont constitués dans tout le pays. C’est grâce à leur discrète mobilisation qu’il a rassemblée, à la surprise générale, le parrainage nécessaire pour valider sa candidature. Il a déjà promis de faire la meilleure campagne, véritable défi pour cet universitaire qui aura tout de même eu l’habitude des campagnes électorale depuis 30 ans où, en 1990, il a été élu vice-président de la région de Fatick, à l’Ouest du Sénégal. Outre lui, son parti qui est arrivé en troisième position avec un peu plus de 4% lors des dernières législatives compte deux autres députés. La société civile laïque craint que son élection ne soit du pain béni pour les religieux extrémistes, ce que l’intéressé conteste de toute sa force, « le Sénégal est laïc et le restera » assure El Hadj Issa Sall.

Idrissa Seck

Leader du Parti Rewmi, Idrissa Seck est un fin politicien, son atout c’est non seulement d’avoir eu l’expérience gouvernementale en tant qu’ancien Premier ministre, mais aussi l’expérience d’élections présidentielles. Très jeune, il sera  directeur de campagne du président Wade en 2000, avant d’être candidat lui-même en 2007 et en 2012. A toutes ces deux échéances, il a été battu. Devenir un jour président pour Idrissa Seck est presque une obsession, jugent certains chancelleries et médias à Dakar. Ancien fils spirituel du président Abdoulaye Wade qui l’a nourri de la sève libérale, Idy (comme on l’appelle affectueusement) fut le tout-puissant numéro 2 du Parti démocratique sénégalais (Pds), parti auquel il a adhéré en 1975 à l’âge de 15 ans. Brillant étudiant et bel orateur, son intelligence et son sourire espiègle ont contribué à son succès. Idy répond rarement aux sollicitations des médias, c’est lui qui détermine son agenda en la matière. Très sûr de lui, les Sénégalais lui reprochent d’avoir un ego «surdimensionné, d’être froid et distant» vis-à-vis de l’altérité. Très cultivé, quand cet homme au teint noir ébène parle, il cite avec aisance des versets bibliques comme coraniques. Ses intrigues politiques avec Wade après leur divorce avaient fini par agacer les Sénégalais. Polyglotte, Idrissa Seck manie avec adresse le français, l’anglais, le wolof et l’arabe. Membre de la coalition Benno Bokk Yaakar qui a porté Macky Sall en 2012 au second tour contre Abdoulaye Wade, il l’a très tôt quittée pour devenir depuis lors, très acerbe à l’endroit du pouvoir. Son désir ardent d’être président va-t-il se réaliser cette année ?  Pas si sûr, clament les médias locaux.

Dès le 25 février, les premiers résultats seront connus. Si aucun candidat ne remporte plus de 50% des voix, un second tour aura lieu mi-mars et opposera les deux premiers candidats, probablement « Macky Sall et Ousmane Sonko » prévient déjà la presse locale.

MAX-SAVI Carmel, Paris, Afrika Stratégie France

Frédéric Nacère, Dakar, Correspondant régional, Afrika Stratégies France,

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