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TUNISIE : Jean Jacques Mbiya, le pinceau des causes nobles

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Moins de trente ans, originaire de la République démocratique du Congo, c’est  à Tunis que, entre ses études et quelques expositions, Jean Jacques Mbiya peint.  Mais son pinceau, ce pasionné qui détient néanmoins un Bac arts le met au service des causes nobles, les libertés, la lutte contre les viols à l’Est de son pays et les valeurs qui ont marqué son enfance. Rencontre.

Dans son appartement du nord de Tunis, c’est un homme concentré et méticuleux qui tient sa plume cet après midi. Depuis quelques jours, il travaille sur une œuvre un peu spéciale. Denis Mukwege qu’il peint avec un stylo bleu. Le médecin et prix Nobel de la paix est une célébrité en République démocratique du Congo (Rdc) où, à l’Est, il « répare » les femmes victimes de viols. « Je suis sensible à son combat » concède-t-il, d’entrée de jeu et « il est l’une des rares personnalités de mon pays qui m’inspire respect et admiration » insiste-t-il. Mais Mbiya se passionne pour d’autres thèmes notamment la défense des libertés individuelles, la promotion des droits de l’homme et les valeurs d’intégrité et de vérité qui ont marqué son enfance. « Je suis un miroir pour la société mais aussi pour moi-même » conclut celui qui admet refléter une partie de son enfance. Mais en Tunisie, ses études en multi média l’occupent aussi et il multiplie, depuis son arrivée à Tunis, des formations professionnelles. « Je ne peux pas cesser d’apprendre » s’excuse-t-il, timidement, sans s’empêcher de sourire.

Parcours. C’est avant tout une histoire familiale. Son père était déjà dessinateur, « amateur« , tient-il à préciser. Mais c’est déjà, pour lui, une bonne base. Mbiya n’est pas qu’un passioné, il a fait un baccalauréat Arts à l’Institut des beaux arts et a étudié à l’académie des beaux Arts de Kinshasa. Et même s’il a choisi depuis sa tendre enfance la peinture, il entend « toucher à tout« . D’ailleurs, pour « créer de l’émotion« , il ne se donne pas de limite en ce qui concerne les matières à utiliser. Murs, toiles, bois, papiers, il peint sur tout. Son quotidien est rythmé par ces portraits qui lui sont commandés. Chaque semaine, il en fait quelques uns. « Pour un anniversaire, une histoire d’amour ou un souvenir spécial, les gens veulent immortaliser » des visages qui leur sont chers. Ce sont aussi de petits travaux qui lui permettent d’arrondir les fins de mois. Car, pour cet étudiant non boursier, « il faut vivre de son art« . Même si pour lui, peindre, c’est avant tout s’amuser. Une passion motivée davantage par l’envie de marquer son temps que celle d’amasser de l’argent. Mais il le reconnait, « l’art en Afrique est une affaire de riches« . Le prix moyen de ses tableaux, « 500 dinars à peu près« , soit 150 €, pas à la portée de tous quand cela équivaut, dans certains pays, à 4 mois de salaires minimums. Mais il lui arrive d’offrir des œuvres pour des causes humanitaires. Sa dernière exposition ? Décembre 2018, « trop loin« , je dois en préparer une dans les prochains mois. Mais plus que l’envie, il lui faut une motivation supplémentaire, « peut-être une cause sociale » fit-il, perplexe.

Nobles. Le racisme ? Il le banalise presque ou plutôt l’ignore. « C’est le fruit de l’ignorance et de la bêtise humaine » tranche-t-il, un brin de colère dans le coin de l’œil. Puis il bouge nerveusement dans le canapé gris. L’échange devient un peu tendu. Comme si quelques souvenirs lui remontent à l’esprit. « Il n’y a que le manque d’instruction pour l’expliquer » s’emporte celui qui affirme en avoir « été rarement victime« . Mais pour lui, c’est une dérive universelle de l’humanité. « Il en a partout et parfois, là où on s’y attend le moins » rappelle l’artiste qui, même dans son pays, en a été victime à cause de son lointain métissage dont sa peau éclaircie porte encore les vestiges. Pour la première fois, ce chrétien pudique et introverti éclate de rire. « On me prenait pour un métis et cela suscitait parfois des moqueries » minimise Jean Jacques Mbiya. Il a toujours été sensible à la situation de guerre qui prévaut à l’Est de la RDC et veut faire quelque chose. « Exprimer déjà ma colère par la peinture« , pourquoi pas ? La sincérité, la vérité, la rigueur et la fraternité reviennent sans cesse sans ses œuvres. Mais aussi l’amour. Une manière de rendre hommage, permanemment à ses parents et aux valeurs qui ont baigné son éducation. « Mes parents étaient intransigeants, parfois trop » rappelle Mbiya qui ne boit pas une goute d’alcool, « je ne fume pas non plus« , ajoute-t-il, « l’eau doit suffire, non ? » ironise le peintre en jetant un regard amusant sur la bouteille de vin, à moitié vide devant l’auteur de ces lignes.

Immigration. Comment être aux portes de l’Europe, de l’autre côté de la Méditerranée sans intégrer la problématique de l’immigration dans son art ? Il n’en fait pas une obsession mais il y pense. Comme un triste hommage permanent à ses hommes et femmes, souvent du Sud du Sahara qui ont tenté de traverser la « géante » pour l’Europe. Ici, la géante, tout le monde la connaît. La Méditerranée qui baigne de ses eaux Hamamet et Gammart, ces banlieues chics du nord de la capitale tunisienne. Dans ses expositions, Mbiya rappelle aussi qu’il n’y a pas de voie plus périlleuse que celle-là et sensibilise. Lui, veut bien sûr s’établir un jour en Europe, « par voie normale« . Mais l’immigration est récurrente dans ses thèmes, c’est aussi le sujet de discussion régulière dans la communauté subsaharienne à laquelle il appartient ici. Un thème « inépuisable » qui n’est pas que négatif. « Chaque immigré qui réussit est un ambassadeur pour l’Afrique » et surtout, met-il en garde, « nous n’allons pas tous partir, il faut des braves et des talents pour pousser l’Afrique » de l’avant.

En attendant, Mbiya s’impatiente entre deux coups d’œil sur son portable. Il attend la nuit, son moment privilégié pour se jeter sur cette dernière œuvre, magnifique visage d’une Afrique représentée par une femme belle, « une Afrique porteuse d’espoirs, de vrais espoirs » espère-t-il.

MAX-SAVI Carmel,  de retour de Tunis, Afrika Stratégies France

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