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RDC : les tensions couvent entre la Cenco et Tshisekedi

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Principale actrice de l’alternance lors de la présidentielle de 2018, la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) est sur le qui-vive. Après l’imposition par Félix Tshisekedi de Denis Kadima à la tête de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) et malgré la brève médiation de Sassou N’guesso, président du Congo voisin, les tensions couvent entre le cardinal Ambongo et le pouvoir. Et malgré l’annonce de la visite prochaine du pape François à Kinshasa, sociétés civiles et chancelleries craignent une dégradation à l’approche de la présidentielle de 2023.

1er février, dans ses bureaux du centre interdiocésain à Gombé, quartier administratif de Kinshasa, Mgr Donatien N’Sholé reçoit Afrika Stratégies France. Quelques semaines plus tôt, le secrétaire général de la puissante conférence des évêques a été fait chapelain du pontife romain, « un geste d’attention et de soutien » à l’action de l’Eglise catholique au Congo, explique l’intéressé. « L’Eglise n’arrêtera pas mission prophétique« , plutôt très politique, avertit le prélat alors qu’en octobre dernier, le chef de l’état a driblé la Cenco en s’associant aux églises de réveil pour imposer Denis Kadima à la tête de la commission électorale. Félix Tshisekedi qui sait combien l’institution confessionnelle est influente « craint que sa prochaine implication dans l’observation électorale » ne l’empêche d’être réélu alors que la présidentielle de 2023 est dans tous les esprits. Malgré la brève médiation de Denis Sassou N’guesso, président du Congo voisin et bien que Tshisekedi ait reçu, en novembre dernier, le président de la conférence épiscopale, les tensions s’accumulent et pourraient impacter le scrutin, très sensible car depuis l’indépendance en 1960, il a fallu attendre 58 ans pour que l’ex Zaïre ne connaisse son premier changement de régime par les urnes. Alors que le pays a connu plusieurs guerres, rebellions et coups d’état, les congolais espèrent que « les deux parties mettront de l’eau dans leur vin » comme le souhaite Charly Katanga, étudiant en sciences politiques.

Une majorité qui fourmille d’ambitions

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Fin janvier, Moïse Katumbi a insisté pour que ses services communiquent largement autour de l’événement. L’homme le plus riche de la République démocratique du Congo reçoit, dans son fief, les ambassadeurs de la Norvège et de la Hollande. Jon-Ange Oyslebo et Jolke Oppewal évoquent « une tournée classique et de routine » sans convaincre le chef de l’Etat. Félix Tsisekedi croit de moins en moins « en la loyauté de son partenaire » qui a intégré la majorité présidentielle après avoir soutenu, lors de l’élection de 2018, l’opposant Martin Fayulu. Idem pour Jean Pierre Bemba, l’ancien prisonnier de la Cour pénale internationale prépare son état-major pour 2023. Notons que le président congolais s’est mis à dos le camp Kabila en violant un mystérieux accord conjoint dans le cadre duquel son prédécesseur lui a cédé le pouvoir avec  Fayulu largement en tête, 62% selon l’Eglise catholique, il est de moins en moins serein. Ce, d’autant qu’à l’occasion de ses trois années de pouvoir, le bilan est plutôt mitigé, « une litanie de promesses et un manque de charisme » dénonce la presse locale. A cette allure et face à une opinion nationale largement défavorable, « plus rien n’est sûr pour le président » prévient Yufustan Uyirwoth Atido. Le président de la Nouvelle Dynamique de la Société civile pour la ville de Kinshasa se dit déçu par l’actuel chef de l’état, « rien n’a vraiment changé » déplore celui qui représente la plateforme « Tournons la Page » dans la capitale congolaise. Dans l’opinion, la nostalgie du règne Kabila fit surface et à travers son cardinal, l’Eglise catholique surfe bien sur cette fibre. Le prochain défi pour Tshisekedi sera de pouvoir s’imposer comme l’unique candidat de sa propre majorité et tout porte à croire qu’il n’est pas gagné. Au-delà de Katumbi et de Bemba, il devrait compter avec les déçus du camp Kabila qui jurent « vouloir lui régler les comptes« .

L’Eglise distribue les cartes

Début février, Fridolin Ambongo qui reçoit diplomates et hommes politiques dans ses bureaux de Lindonge depuis son entrevue avec Sassou Nguesso fin octobre s’est rendue dans la ferme de Joseph Kabila. Il a été pompeusement reçu par Olive Lembe, l’épouse, de confession catholique de l’ancien chef d’Etat qui est d’obédience protestante. Chancelleries, sociétés civiles, hommes politiques, le cardinal reçoit de plus en plus d’opposants au régime. Si Mgr Fridolin Ambongo est taxé d’être plus virulent que son prédécesseur, il n’y a pas de doute que les quatre cardinaux qui se sont succédés à la tête de l’archidiocèse de Kinshasa se sont illustrés tous comme des adversaires de la dictature. A côté, la stratégie des catholiques est de se rallier aux protestants, regroupés au sein de l’Eglise du Christ au Congo (ECC) pour être plus fort. « Il n’est d’ailleurs pas écarté de procéder à l’observation électorale ensemble » avoue Mgr N’Sholé à Afrika Stratégies France. La Cenco peut compter sur son immense réseau international mais aussi sur la mobilisation interne des fidèles. Très active dans les principaux secteurs sociaux et éducationnels, elle a le contrôle de 70% des hôpitaux et écoles et est le principal employeur du pays derrière l’état. Elle a surtout compris que si elle s’est battue pour faire partir Joseph Kabila, elle peut tout de même compter sur l’ancien chef d’état pour contrer les dérives et obsessions de Tshisekedi. Ne dit-on pas en Afrique que « l’ennemi de ton ennemi est ton ami » ? L’Eglise ira jusqu’au bout de son « combat pour le peuple de Dieu » met en garde l’abbé Freddy Kiauzitu. Le vice-chancelier du diocèse de Kinshasa n’a pas de doute, « l’engagement du cardinal Fridolin Ambongo est pour la transparence » et quoiqu’il arrive, « le restera » selon le jeune prêtre lors d’un court entretien à l’archevêché de Kinshasa.

Le défi de la transparence

La présidentielle de 2018 n’a pas été transparente. En tout cas, la Cenco ne reconnaît pas la victoire de Félix Antoine Tshisekedi dont elle « a pris acte« . Le défunt cardinal Monsengwo avait dénoncé « des résultats truqués » et « arrangés« . Si malgré ses 41.000 observateurs du dernier scrutin, les manigances ont pris le dessus, l’Eglise entend être plus efficace. « Nous allons sans doute travailler avec les protestants » a livré Mgr N’Sholé pour qui, « cela contribuera à l’efficacité« . Alors que l’actuel chef de l’état manipule à merveille les églises dites du réveil, les protestants traditionnels sont restés du côté des catholiques, devenant ainsi les adversaires de premier plan du pouvoir pour la prochaine présidentielle. Le contrôle de la Ceni par l’imposition de son président n’est pas un signe qui joue en faveur de la transparence, « ça commence mal » déplore Marie-Reine N’zébé. Journaliste à la télévision nationale, cette actrice de la société civile s’impatiente des changements et comme la grande majorité des kinois, « commence à douter« . Et si le défi de la transparence n’est pas gagné d’avance, la visite annoncée du pape peut être une pression supplémentaire. Par deux fois, François avait reporté des séjours prévus en République démocratique du Congo pour « laisser avancer le processus démocratique« . La visite du chef de l’Eglise aura finalement lieu du 02 au 05 juillet. « Une manière de mettre la pression sur le gouvernement » selon Mgr N’Sholé qui espère, comme la grande majorité des congolais, que « cette visite aura lieu« .

La visite papale comme une pression supplémentaire

 Interrompues à cause de la pandémie de Covid19, les visites pontificales ont repris et le souverain argentin s’impatiente à rattraper le temps perdu. Il se rendra début juillet à Kinshasa et Goma. Une visite longtemps attendue par les autorités publiques et plusieurs fois repoussée par le Vatican. Mais depuis le départ de Joseph Kabila qui peinait à laisser le pouvoir après son second et ultime mandat, la relation bilatérale s’est détendue entre les deux états. Le souverain pontife a d’ailleurs reçu en janvier 2020 Félix Tshisekedi à Rome. Mais en décidant de se rendre en RDC, François « apporte son appui à la lutte de l’Eglise locale » déduit Mgr N’Sholé. Une autre manière pour le vicaire du Christ de maintenir la pression sur le pouvoir public pour que le cap de la démocratie et de l’état de droit soit maintenu. Une certitude du côté de la Conférence épiscopale, « tant que la démocratie n’est pas une réalité, l’Eglise ne se taira pas » prévient le secrétaire général des évêques. En attendant, le cardinal Ambongo qui s’est révélé plus virulent que son prédécesseur, consulte et rencontres discrètement les principaux acteurs de l’espace public. Une accalmie qui dissipe les tensions qui couvent entre Tshisekedi et la Cenco, mais pour combien de temps encore ?

MAX-SAVI Carmel, Envoyé spécial à Kinshasa, Afrika Stratégies France

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