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France : Voyage de Macron au Bénin, le choix de l’égarement et de l’inconstance

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Emmanuel Macron qui est à Yaoundé depuis lundi devrait passer deux jours à Cotonou avant une courte escale à Bissau. C’est sa première visite en Afrique depuis sa réélection en avril dernier. Le choix du Cameroun que dirige un despote nonagénaire depuis quatre décennies et du Bénin où Talon procède à l’abolition méthodique de la démocratie interpelle. Alors que la jeunesse africaine a signé un chèque en blanc à Macron en 2017, le président français se fourvoie entre égarement et inconstance.

L’image est pathétique et humiliante pour la France. En marge de la rencontre entre Paul Biya et Emmanuel Macron, le président camerounais, 92 ans, inaudible et balbutiant, promet informer l’opinion à la fin du mandat en cours (en 2025) de ce qu’il sera ou non candidat à sa propre succession. A deux mètres, le président français esquisse un sourire. La scène aura été irréaliste partout dans le monde sauf en Afrique francophone. Après le Cameroun, Macron se rendra à Cotonou, pour avaler les approximations arrogantes et baveuses de Patrice Talon. Au pouvoir depuis 6 ans, l’homme d’affaire béninois s’est métamorphosé en dictateur illuminé que hantent ses vieilles folies. Il a réussi en si peu de temps à briser le modèle démocratique que constituait son pays, le Bénin, en matière d’état de droit. Il a exilé la quasi-totalité de ses opposants, mis en prison ceux qui n’ont pas pu partir, réduit la presse à un troupeau de griots qui rapportent sa propagande et chantent sa gloire. C’est dans cette situation où, sa principale opposante lors de la présidentielle de 2021, Reckya Madougou est jetée sans raison en prison que Macron foule le sol béninois. Nauséeux et condescendant colon des temps modernes qui s’invite sous la tente de ses despotes d’amis tropicaux.

Lointain discours de Ouagadougou

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Il y a pourtant cinq petites années, sa première visite en Afrique a déchainé beaucoup d’espoirs. Emmanuel Macron promettait démocratie et état de droit à la jeunesse et aux sociétés civiles. Son âge à l’époque, 39 ans, militait en sa faveur et son candide regard dégageait de la bonne foi. Aujourd’hui, les espérances se sont éteintes, les espoirs dissipés, la désillusion en vogue. Les pays francophones du continent africain n’ont jamais été autant menacés par la dictature et le retour aux mandats illimités. Au pouvoir depuis 2005, Faure Gnassingbé (Togo) pourrait s’y maintenir jusqu’en 2030. Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire) a sauté le verrou de la limitation de mandat, s’arrogeant un 3e quinquennat. Macky Sall (Sénégal) se bat pour aller au-delà des deux mandats auxquels il a droit. La Guinée Conakry, le Mali et le Burkina Faso sont dirigés de mains de fer par des juntes militaires sans boussole ni bonne volonté qui repoussent chaque jour le rendez-vous démocratique d’une éventuelle élection présidentielle. Au Bénin, le narcissique et pathologique dictateur Patrice Talon, entre vandalisme d’état et mépris, multiplie des coups fatals contre la démocratie, étouffant méthodiquement les institutions, castrant son opposition et exilant tout résistant. C’est dans ce contexte que Macron effectue le premier voyage africain de son second mandat. Et en choisissant deux dictatures, le Cameroun et le Bénin, il impose une douche froide aux opinions nationales et assèche jusqu’à la lie des derniers espoirs que plaçaient encore en lui quelque jeunesse africaine. Loin de son prometteur discours de Ouagadougou en 2017.

Talon, dictateur, moi non plus

Ce mardi, il est attendu pour deux jours au Bénin. Macron sera reçu par Talon. Triste image pour ces centaines de milliers de béninois partis en exil, en grande partie reçus en France. Lugubre image pour ce pays qui, trente ans durant fut une démocratie exemplaire et enviée, adulée du monde entier. Depuis, les sombres pages ont pris le dessus. L’opposition est partie en vrille, ses leaders contraints à quitter le pays. Les institutions ont été, l’une après l’autre, désarticulées et vidées. L’inoxydable cour constitutionnelle qui fut une légende sous-régionale est sous les bottes du président dont elle fait le jeu, éliminant au passage les partis d’opposition lors des élections intermédiaires. Aux législatives, Patrice Talon s’est attribué les 91 sièges de députés. Aux municipales, avec les Forces cauris pour un Bénin émergeant (Fcbe), un complice de la majorité présidentielle, Talon a placé ses hommes à la tête des 77 communes du pays. Pour la présidentielle de l’an dernier, il n’a pas trouvé mieux que de jeter en prison sa principale rivale, Reckya Madougou, prétextant de complots dont la justice n’a apporté aucune preuve. Désormais, ce pays de 12 millions d’habitants, habitué aux débats politiques et confrontations d’idées est réduit au silence. Celui que lui impose les revanches d’un fallacieux homme d’affaire vite devenu président. Pour la première fois en trente ans, lors des dernières législatives (2018), le Bénin a enregistré des morts lors d’une élection, plongeant le pays dans un indescriptible chaos qui a réduit le taux réel de participation à moins de 10%. Quel déshonneur pour ce pays où depuis 1990, chaque scrutin est une fête publique et populaire au bout de laquelle les meilleurs ont toujours gagné ?

Macron et l’Afrique, le cafouillage de l’illuminé

Alors que la France, ancienne puissance coloniale apparaissait comme l’ultime recours pour mettre la pression sur le dictateur béninois, Macron vient lui lécher les bottes. La stratégie Talon a marché. Pendant qu’il a entamé une grande politique d’infrastructures tous azimuts, il a systématiquement mis de côté les entreprises françaises. En préférant Ebomaf, une sulfureuse entreprise burkinabé à Satom, la légende française pour les routes ; en écartant les français vivendi notamment de la construction du nouvel aéroport à Glo-Djigbé, 30 km de Cotonou ; en taillant les herbes sous les pieds de Vincent Bolloré qui convoitait le chemin de fer Cotonou-Niamey ; en choisissant des sociétés béninoises, souvent proches de sa famille pour la sûreté des documents et titres officiels (cartes d’identités, passeports, etc…), il a attiré l’attention de Macron. Le président français ayant, sur l’Afrique, manqué de courage et surtout de vision claire, après avoir été mené en bateau par son corrompu ministre des affaires étrangères, Jean Yves Le Drian, n’a plus que le choix de la courbette. Il plie l’échine devant l’autocrate béninois, sacrifiant sur l’autel des intérêts toutes les valeurs que portait la France. Triste option pour un dirigeant dont les contradictions ont créé de nombreuses crises sociales et politiques dans son propre pays. Triste fin pour celui qu’on passait pour le brillantissime énarque et qui s’apparente, en Afrique, à un rabougri illuminé. Triste sort pour ce bonapartiste qui grelotte en forêt tropicale, aux pieds de deux dictateurs, Biya et Talon. Et quels pieds encore ? Pieds d’argile…

MAX-SAVI Carmel*

*MAX-SAVI Carmel est journaliste d’origine béninoise et vivant en France où il dirige la rédaction de Afrika Stratégies France.

 

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