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CÔTE D’IVOIRE : Gbagbo libre de ses mouvements, qu’en sera-t-il de la prochaine présidentielle ?

17 017

Il est désormais libre de ses mouvements. Il peut, avec Charles Blé Goudé, se rendre où il veut dans le monde et même en Côte d’Ivoire. Mais à certaines conditions. Cette nouvelle annonce de la Cour pénale internationale (Cpi) lui permet-elle d’être candidat ? Quels impacts la nouvelle donne aura-t-elle sur la présidentielle, prévue fin octobre, en Côte d’Ivoire ? Et pourquoi le calendrier de la Cour dérange dans les capitales occidentales d’autant qu’elle avait libéré, dans un cas similaire, Jean-Pierre Bemba à quelques mois de la présidentielle en RDC en juin 2018. Décryptage.

Les conditions de mise en liberté de Laurent Gbagbo ont été assouplies. Elles lui permettent désormais de se rendre, s’il le souhaite, en Côte d’Ivoire et dans la plupart des pays de son choix, pour y être « accueilli » ou pour y résider s’il s’agit de la Côte d’Ivoire. Une bonne nouvelle pour l’ancien président et son ancien ministre, Charles Blé Goudé. Qu’est-ce que cette nouvelle situation change pour les deux hommes et quels impacts aura l’annonce sur la présidentielle d’octobre prochain dans son pays ? Quoiqu’il en soit, cette décision de la Cour pénale internationale ne permet pas, tout de suite, à l’ancien président d’être candidat à la succession plus qu’ouverte d’Alassane Ouattara dont le parti a désigné déjà un candidat en la personne d’Amadou Gon Coulibaly. Il va falloir qu’il puisse retourner dans son pays et qu’il remplisse les conditions pour postuler à la magistrature suprême. Plusieurs sources bien informées dans l’entourage de la présidence ivoirienne évoquent déjà le projet d’une « obligation de résidence » pour être candidat. Il ne faut pas non plus oublier que la justice ivoirienne a condamné l’ancien président à une peine de vingt ans pour braquage de la banque centrale. La Cour basée à La Haye a toutefois rejeté la demande de « liberté sans condition » présentée par l’ex-chef d’Etat ivoirien.

Une liberté au-delà de la région bruxelloise

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Il est resté très discret en Belgique où il a été accueilli depuis sa libération sous conditions depuis janvier 2019. Laurent Gbagbo qui était poursuivi par la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité avait rejoint, dans la capitale belge, sa seconde épouse qui y disposait d’un appartement. A 48 ans, Nady Bamba, mère d’un des enfants de Gbagbo y vivait. L’ancien président l’avait épousée selon les rituels musulmans et traditionnels depuis 2001 et elle avait même acquis la nationalité belge. Cela a facilité l’accueil de son mari. Depuis, Gbagbo a introduit deux requêtes de « liberté totale » et la seconde a trouvé échos auprès des juges de la Cour d’appel. Son adresse était tenue secrète et il avait interdiction de parler à la presse sur les faits dont il est accusé et de s’éloigner, sans autorisation préalable de la région bruxelloise. Il avait, dès son arrivée, bénéficié d’un visa touristique de type C, qui, en avril 2019, a été remplacé par un visa de type D, mention « visiteur ». Ce type de titre de séjour lui permet de vivre dans le pays comme tout résidant mais avec une interdiction de travailler. Les frais de ses soins étaient à la charge de la Cour pénale internationale et il n’avait pas accès à des prestations sociales classiques. Théoriquement, la Cpi prend en charge ses besoins. Il avait préalablement passé un peu plus de sept ans en détention avant d’être acquitté, un acquittement dont la procureure a fait appel. Mais avec la nouvelle décision de la Cour, Laurent Gbagbo peut se rendre partout, même en Côte d’Ivoire.

Peut-il se rendre en Côte d’Ivoire ?

A partir du moment où l’ancien président ivoirien est libre de ses mouvements, il devrait, s’il le souhaite, se rendre dans tout Etat qui accepte de l’accueillir ainsi qu’en Côte d’Ivoire. Mais il doit, selon l’énoncé, se maintenir à la disposition de la Cour pénale internationale. Aussi, à l’exception de la Côte d’Ivoire, l’unique pays dont il dispose de la citoyenneté, tout autre pays où il désire se rendre doit donner son accord et s’engager à coopérer avec la justice internationale. Car, le procès en appel n’a pas encore lieu. Sauf qu’en janvier 2018, l’ancien président et trois de ses ministres dont l’ancien Premier ministre Gilbert Aké N’gbo avaient été condamnés à 20 ans de prison et à 329 milliards d’amende pour le braquage de l’Agence nationale de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (Bceao) pendant les pillages post électoraux. Même si, à cause des appels au pardon et à la réconciliation, lancés par le président ivoirien, Ouattara et la loi amnistie qu’il a promulguée, Gbagbo pourrait échapper à la prison à son retour au pays, il doit au moins négocier les conditions de son retour.

Conséquences sur la prochaine présidentielle

Laurent Gbagbo est un homme politique de grande influence dans son pays, c’est certain, mais rien n’est encore joué quant à sa candidature à la présidentielle. Lors de la présidence de 2010, la dernière à laquelle il a pris part, il a obtenu 48% des voix face à son opposant, Alassane Ouattara qui l’a remportée avant d’être réélu en 2015. C’est la crise née de ce scrutin, alors que Laurent Gbagbo a refusé de céder le pouvoir, qui a abouti à son incarcération à La Haye pendant près de 8 ans. Mais rien n’est encore joué, il faut d’abord une négociation avec les autorités ivoiriennes pour que son retour soit acté. Le président de la frange du Front populaire ivoirien qui lui est loyale est sous le coup d’une condamnation à vingt ans de prison. D’autres enquêtes sont ouvertes à son encontre à Abidjan. Aussi, à la tête d’un parti fragilisé dont la frange reconnue est contrôlée par le modéré Pascal Affi N’guessan, Laurent Gbagbo ne dispose plus d’une machine qui lui permette d’aller à une présidentielle et de la gagner. Et à six mois du scrutin, des réformes sont en cours et devraient intégrer une limitation d’âge ainsi qu’une résidence d’au moins un an pour tout candidat à la présidentielle. Une disposition qui, si elle devient effective, écarterait l’ancien président ainsi que son ancien Premier ministre, Guillaume Soro, lui aussi en exil. Gbagbo pourrait, comme annoncé depuis quelques semaines, apporter son soutien à la candidature d’un autre ancien président, Henri Konan Bédié. Une hypothèse qui ne devrait que très peu impacter sur les chances de Amadou Gon Coulibaly, candidat de la majorité présidentielle qui devrait se rendre « dans les tous prochains jours » à Abidjan après des contrôles médicaux de routine à Paris.

En attendant, des questions se posent sur le calendrier des libérations ou assouplissements de liberté de la Cpi d’autant que dans un dossier similaire, en ce qui la République démocratique du Congo, Jean-Pierre Bemba avait été libéré peu avant la présidentielle en juin 2018. « Un suspect bis reptita« , s’agacent certaines capitales européennes qui espèrent que « Laurent Gbagbo ne contribuera pas à compromettre la paix déjà fragile dans son pays ».

 

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