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BENIN/UE : Olivier Nette, raisons et dessous du départ d’un diplomate aux relents insupportables pour Talon

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Précédemment haut cadre au Service des instruments de politique étrangère  de l’Union européenne (Ue) à Bruxelles, Olivier Nette était en charge du pôle Unité-Public-Diplomatie et Observation électorale avant de rejoindre en mai 2017 Cotonou. Des relations tendues avec le nouveau pouvoir à cause de ses prises de positions « trop libres« , ses contacts réguliers avec l’opposition et ses rapports trop « hostiles » pour l’Ue sur les dernières législatives l’ont placé depuis un an dans les collimateurs du pouvoir. Son projet 2020 de renforcement de la société civile béninoise étant perçu par Talon comme « un soutien à l’opposition« , deux courriers sans suite ont été envoyés à Bruxelles par le ministre béninois des affaires étrangères. Nette était prévenu depuis mi-novembre de son départ imminent. L’ambassade de l’Allemagne était dans le secret.

Personna non grata. Terme latin à usage diplomatique, l’expression désignant  » une personne n’étant pas la bienvenue dans un pays » est une sorte de fatwa qu’un Etat d’accueil prononce à l’endroit d’un représentant de pays ou d’institutions tiers. Il a généralement 48 heures, à partir de la notification, pour quitter son poste. C’est ce qui est arrivé à l’ambassadeur de l’Union européenne à Cotonou, alors que depuis son arrivée au Bénin, au-delà des 29 milliards versés en appui budgétaire, soit 2,26% des dépenses prévues par le Bénin en 2018, l’Ue a multiplié des appuis sectoriels visant souvent des projets sociaux tout au long de l’année 2019. C’est en moyenne 40,8 milliards CFA qu’injecte chaque année l’Europe au Bénin sur la période cible 2014-2020. Le départ d’olivier Nette est surtout dû au fait qu’il n’a pas cessé ses récriminations sur le processus électoral qui a abouti à l’élection de 83 députés, tous membres de la majorité présidentielle. L’un des meilleurs experts électoraux de l’Ue, il avait de quoi ne pas se tenir tranquille. Pis encore, il met en place un projet à l’endroit de la société civile pour « préserver les acquis démocratiques et solidifier les institutions » avec une enveloppe conséquente dont nous n’avons pu connaître le montant exact. Au sein de la délégation de l’Ue, une source bien informée avance la somme de 12 milliards. Insupportable pour Patrice Talon dont la stratégie n’a été, depuis trois ans, que d’affaiblir son opposition par la prison et l’exil et de se mettre à solde la société civile. Contactée ce matin par Afrika Stratégies France, la Commission européenne refuse de faire des commentaires.

« Subversion active » et prise de positions « maladroites« 

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La nomination d’un ambassadeur suit des règles précises. Le pays qui veut nommer propose un nom, suivi d’un curriculum vitae bien détaillé et informe l’intéressé. Mais la nomination n’est effective que si le pays d’accueil l’approuve et selon la délicatesse des relations, cela peut prendre quelques mois, voire années. Dans le cas d’Olivier Nette, les choses sont allées très vite. Compte tenu des enjeux budgétaires et l’appui à divers projets en cours au Bénin et portés par l’Europe. Mais très vite, un premier couac. Le 4 octobre 2018, lors d’un déjeuner avec la presse locale en sa résidence à Cotonou, l’ambassadeur parle longuement politique. Il veut une coopération « moins structurelle » et « plus politique« . A peine Aurelien Agbenonci a le temps de lui demander des explications que l’ancien haut fonctionnaire écrit au ministère des affaires étrangères une lettre dont nous avons copie pour exprimer ses « craintes d’une fragilisation de la démocratie » préciser le lien « inséparable entre la consolidation de l’Etat de droit et la continuation des appuis de la Commission européenne« . Des propos vite perçus par les autorités béninoises comme une menace. Deux courriers ont précédé la décision du gouvernement béninois de le faire quitter le pays pour, se plaindre de ses relations « suspectes » avec l’opposition et son penchant permanent « à vouloir aller au-delà de la mission qui est la sienne« . Cotonou n’a reçu, à ces deux courriers, aucune réponse précise. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase est le lancement en vue d’un immense projet d’appui à la société civile et dont le budget a été jugé « excessif et suspect » qui y voit un appui à l’opposition. Très vite, mi novembre, la ministre des affaires étrangères a proposé, qu’il soit mis fin à sa mission. Patrice Talon a tout de suite donné son accord. Depuis le 19 novembre, le diplomate était informé par ses tuyaux et l’ambassadeur de l’Allemagne au Bénin, Troster Achim était dans le secret. Raison officielle « subversion active« .

La méthode Nette

Le diplomate allemand  fait partie de ces personnes qui connaissent bien l’Afrique à travers le prisme des élections. Dirigeant le pôle qui avait en charge l’observation des scrutins sur le continent, Olivier Nette en maitrisait tous les contours avant d’être envoyé à Cotonou où, un an plus tard, il devrait faire face à un processus électoral très vite compliqué par la volonté de Patrice Talon de revoir toutes les règles, en faveur de ses deux grands regroupements politiques qui d’ailleurs, seront les seuls à avoir des députés dans l’actuel parlement béninois. Tout au long du processus électoral, Nette a multiplié des contacts avec Patrice Talon et son ministre des affaires étrangères et a même proposé une médiation pour que le scrutin soit inclusif. Finalement, le diplomate allemand s’est tourné vers l’Ue et a demandé que la pression monte sur Cotonou. Il finira par obtenir que l’observation électorale de l’Ue soit suspendue, à la veille du scrutin. Bien que jusqu’au dernier moment, Federica Mogherini, ministre européenne des affaires étrangères voulait maintenir l’Ue dans le processus.  Un échec pour la diplomatie béninoise dont le patron, Aurelien  Agbénonci n’a pas caché son agacement à l’égard de Nette. Depuis, son départ a été évoqué pour la première fois. Olivier Nette n’a jamais caché son agacement face à l’écartement de l’opposition et s’en est souvent expliqué avec le chef de la diplomatie béninoise. Mais en ne prenant aucune sanction contre Cotonou, l’Ue a ainsi calmé le jeu. La méthode de Nette est restée la même, garder des liens réguliers avec les opposants, recevoir régulièrement des membres de la société civile, notamment les plus hostiles au pouvoir. Social watch Bénin, considéré comme  anti-Talon par le régime bénéficie de plusieurs soutiens de l’Union européenne dont le dernier date du mois dernier. Un projet de lutte contre la corruption et l’impunité, mené par Transparency international et Social watch Bénin et soutenu par l’Ue. Nette veut renforcer les organisations solides de la société civile pour, selon plusieurs témoignage dans son entourage « sauver la démocratie ». Il en paiera le prix fort.

L’Union européenne, projets sociaux et aides budgétaires

Sur la période 2014-2020, l’Ue a annoncé une enveloppe globale de 245 milliards CFA à peu près pour le Bénin. Elle devrait être, avec le budget 2020, revue à la hausse. Si 70% de l’aide va en appui au budget, plusieurs projets de base pour le renforcement de la démocratie et l’Etat de droit existent. L’Union européenne apporte aussi des aides substantielles aux communes du Bénin, pour le renforcement de la décentralisation et intervient aussi dans les domaines de l’éducation. Elle travaille aussi beaucoup à l’intercommunalité dont les pays de l’union ont une grande expérience.  De plus en plus intéressée par le secteur agricole, l’Ue a lancé le 19 dernier le Projet d’appui au renforcement des Aacteurs du secteur privé (Parasep) au secours de l’aviculture et de la filière ananas d’un montant de près de 7 milliards. Le 13 novembre dernier encore, trois conventions de financement avaient été signées, à Cotonou, entre le Bénin et l’Union européenne, l’une des dernières sorties d’Olivier Nette dont la rencontre avec le ministre des finances à l’occasion était déjà très froide. Romuald Wadagni, très proche de Talon, était déjà dans le secret.

De retour à Bruxelles, Olivier Nette restera quelques semaines à la Commission avant de rejoindre un autre poste si Cotonou ne revient pas à de meilleurs sentiments. Il est peu probable que le diplomate ne prenne un poste d’ambassadeur avant d’avoir passé quelques mois dans la haute administration européenne dont il est reconnu comme un cadre « rigoureux, honnête et compétent ». C’est aussi un coup pour l’image du Bénin dont le président, malgré les fausses mains tendues, s’enferme dans sa tour de dérive dictatoriale.

MAX-SAVI Carmel, Paris, Afrika Stratégies France

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