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Revue d'intelligence et d'Analyse

BENIN/AJAVONGATE : Ce que vous n’en saviez pas

En quittant tout début octobre Cotonou, le président du patronat béninois n’aurait jamais pensé à un voyage sans retour. La justice, « manipulée par Talon » selon lui  aura accéléré son sort. Mais si sa demande d’asile est rejetée par la France, Sébastien Ajavon a plus d’un tour dans sa sacoche, la Grande Bretagne dont il a acquis la citoyenneté depuis peu pourrait être son dernier retranchement.

Tout commence un matin du 28 octobre 2016. La gendarmerie béninoise déclare à la presse avoir trouvé dans l’un des conteneurs destinés à la société Cajaf Comon SA, propriété de Sébastien Ajavon, «environ 18 kg de cocaïne pure d’une valeur estimée à environ 9 milliards de francs CFA». A l’annonce de la nouvelle, Sébastien Ajavon le milliardaire, spécialisé dans l’importation et la commercialisation de produits congelés, convoque une conférence de presse. Il y fait une mise au point rapide, dénonce un complot contre sa personne et relève quelques irrégularités sur les scellés du conteneur indexé. Deux ans après, la relaxe prononcée par le Tribunal de première instance de Cotonou n’y fera rien. La Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) créé en août dernier n’aura pour principale mission que de rouvrir le dossier après un appel « clandestin » du procureur. Depuis, Sébastien Ajavon a demandé l’asile dans l’hexagone où, avec ses ramifications avec la droite française, il devrait avoir gain de cause. Si aucun règlement à l’amiable n’est trouvé au différend qui l’oppose au président béninois, l’ex candidat à la présidentielle ne devrait pas retourner dans son pays avant… 2021.

Entorses juridiques

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Fidèle à sa ligne de la théorie du complot, Ajavon parle de «méthodes de voyou» et met au défi les autorités douanières de trouver les auteurs et/ou les commanditaires. Sans citer de nom, l’allusion au pouvoir en place est claire. Plusieurs entorses aux principes du droit ont été répertoriées par les avocats de la défense. Ils brandissent la relaxe dont leur client a bénéficié il y a un peu plus d’un an. « Dans le droit, une relaxe ne peut en aucun cas donner lieu à un procès » s’emporte Me Marc Bensimon. Les avocats d’Ajavon dénoncent aussi « un refus de se constituer ». Lors du procès qui aura lieu le 18 octobre, ils  n’auront pas droit à la parole. Me Issiaka, un autre avocat de Ajavon énumère de multiples irrégularités. « Nous n’avons pas eu accès au dossier, ce qui est inadmissible pour un procès équitable », selon l’avocat béninois qui dénonce « une cour d’exception et procès purement politique« . Les avocats de la défense indexent « une complicité entre le ministère public et la Criet ». Sinon, « comment comprendre que le ministre de la Justice organise une conférence de presse pour appuyer les décisions d’une juridiction ? », se demandent-ils, contestant la compétence de la Criet à « connaitre une affaire qui est antérieure à sa création ». La précipitation de la cour et son envie d’en finir en quelques jours avec une affaire aussi « sérieuse » selon les avocats de la défense, est la preuve d’une pression externe. Les malheurs de l’homme d’affaire n’auront pas été que judiciaires. En août 2017, Sébastien Ajavon est accusé de « faux en écriture publique, complicité de faux en écriture publique, usage de faux et escroquerie» dans une affaire d’exportations par la direction des impôts en 2009 qui a déposé une plainte. Le «roi du poulet» fait l’objet d’un redressement fiscal de 167 milliards de francs CFA portant sur des évasions fiscales effectuées par plusieurs de ses sociétés sur trois années consécutives : 2014, 2015 et 2016. C’est la preuve selon sa défense « qu’on veut l’atteindre par tous les moyens« .

La guerre des rois

Pour mémoire, Patrice Talon et Sébastien Ajavon étaient tous engagés dans la présidentielle de 2016. Le premier a obtenu 23,52 % des suffrages et le second 22,07, ce qui les place respectivement 2è et 3è derrière l’ancien Premier ministre, Lionel Zinsou, dauphin de l’ancien président, Thomas Boni Yayi, au premier tour. Au second tour contre M. Zinsou, Sébastien Ajavon appelle à voter pour Patrice Talon. Ce qui permet à ce dernier de remporter nettement l’élection avec 65,39% des voix contre 34,61% pour son adversaire Lionel Zinsou. Mais c’est au moment même de la formation du gouvernement que le président élu a égratigné Sébastien Ajavon en revoyant ses ambitions à la baisse. En effet Ajavon attendait 6 postes ministériels pour son parti, mais il n’en obtiendra que 3. Ainsi, sur proposition d’Ajavon, Delphin Kouzandé sera nommé ministre de l’Agriculture, Lucien Kokou, ministre de l’Enseignement secondaire et Rafiatou Monrou, ministre de l’Economie numérique et de la Communication. Tous les deux Ajavon et Talon ont la particularité de ne pas être des acteurs politiques connus. Mais quelques mois après leur entrée au gouvernement, l’affaire de la cocaïne éclate au grand jour. Ajavon répondant au «Monde Afrique» quant à l’avenir de ses ministres au gouvernement dans un tel contexte dit qu’il laisse les concernés décider de leur sort. Pour sûr, lors du remaniement ministériel du 27 octobre 2017, Patrice Talon se débarrassera des 3 ministres d’Ajavon. Il était donc en pleine tourmente dans cette affaire de trafic de drogue. Les relations entre les deux hommes ont ainsi changé. La guerre entre le roi du coton et celui des poulets est ouvertement déclarée.

L’asile, une stratégie ?

Profitant d’une facilité que lui offrent ses investissements en Grande Bretagne, plus de « 89 milliards de cfa » selon plusieurs sources concordantes, Sébastien Ajavon qui jouit d’une citoyenneté britannique pourrait s’établir au pays d’Elisabeth II. L’idée, née sous Tony Blair, est d’accorder la nationalité aux investisseurs étrangers en fonction de l’importance de leurs investissements sur le sol britannique. Cela étant, il aurait suffi pour le « Roi de poulet » comme l’appellent ses compatriotes, d’être en Grande Bretagne pour échapper à toute extradition et bien au contraire, être protégé. Mais il a préféré, sur les conseils, murmure-t-on du bouillant avocat Eric Dupont-Moretti, se prévaloir de sa nationalité béninoise et demander asile en France. Une manière de montrer que son destin se joue au Bénin. Cette stratégie donne un retentissement fort à l’affaire alors que Cotonou s’est beaucoup rapproché de Paris ces derniers mois. Le président d’honneur de l’Usl ne perd pas non plus de vue que Paris a servi de base arrière pour Patrice Talon dans sa conquête du pouvoir alors qu’il était, ironie du sort, recherché par la même justice béninoise sous son prédécesseur, Yayi Boni. Au Quai d’Orsay où le dossier est suivi de près, une « extradition n’est pas envisageable« , la France n’extradant personne dans un pays où « ses droits de défense ne sont pas garantis« . Les mêmes arguments avaient été utilisés par Paris pour ne pas remettre Talon à la justice de son pays pendant ses trois années d’exil. Le mandat d’arrêt international émis par la justice béninoise et notifié à l’Interpol à Lyon n’a pas fait objet d’une mise en alerte automatique comme le veut la pratique. Une commission en étudie « l’opportunité ». Et en attendant, tant qu’il n’essaie pas de quitter le territoire français où une partie de sa famille l’a rejoint début octobre en provenance de Lagos, Ajavon n’a rien à craindre et surtout pas une arrestation, encore moins, une extradition.

La Criet, une béninoiserie bien « wolof »

Les juristes s’émeuvent de ce que la Criet n’ait pas jugé en première instance et qu’elle juge en appel. Décriée par les hommes de droit, cette CRIET rappelle étrangement la CREI au Sénégal, la Cour de répression de l’enrichissement illicite que le président Macky Sall a utilisé pour juger Karim Wade et le contraindre à l’exil. Ici Karim Wade n’était certainement pas irréprochable. Mais il se trouve que la CREI aussi a choisi l’opposant qui fait le plus peur.  C’était 25 personnalités qui étaient censées se présenter devant cette cour d’exception. Mais depuis que le dossier de Karim est traité et ce dernier mis hors d’état de nuire, la CREI est toujours au chômage. Finalement que valent ces juridictions d’exception dans nos pays ? Que valent les belles intentions de lutte contre la corruption quand elle se transforment en une volonté du prince de neutraliser les opposants qui prennent trop d’importance dans l’arène politique ?

redaction@afrikastrategies.fr

 

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