BENIN/COVID-19 : Patrice Talon annonce sa stratégie de riposte qui laisse perplexe

Longtemps attendu sur la question, Patrice Talon s’est enfin prononcé dimanche fin mars 2020, sur sa stratégie de lutte contre le coronavirus. Contrairement à plusieurs autres chefs d’États africains et à la surprise des experts et observateurs, le président béninois  a écarté le « confinement » sans annoncer des mesures sociales importantes. L’homme d’affaire qui semble plus préoccupé de l’économie que de la santé joue avec le feu.

 Cotonou. Les rues grouillent de monde comme d’habitude. Les taxis moto, ici appelés Zémidjan ont pris d’assaut les rues de leur uniforme jaune si bien connu. Autour du Stade de l’amitié et au quartier administratif de Ganhi, les maquis battent le plein, comme si de rien n’était. Pourtant, le bilan du coronavirus en Afrique ne cesse  de s’alourdir suscitant inquiétudes et désarroi au sein de la population. A ce jour, l’on dénombre de un peu plus de 5500 cas confirmés dans 49 pays. Avec environ 150 décès en tout, l’Afrique entame des moments incertains avec en tête l’Egypte, le Burkina Faso, la Tunisie le Ghana ou encore le Sénégal. Plusieurs autres pays africains sont touchés à des degrés divers, suscitant l’intervention des chefs d’État pour annoncer des mesures restrictives pour les uns et/ou d’accompagnement pour les autres. Au Bénin, Patrice Talon a accordé un entretien à la télévision nationale sur la question. Si dans ses propos, le chef de l’État béninois est conscient de la menace que constitue le Covid-19 pour la population, il n’a cependant pas fait de grandes annonces pour faire face la pandémie. Patrice Talon voudrait compter sur « le sens de responsabilité des Béninois et leur volonté de consentir chacun un peu de sacrifice« , tout en  respectant les mesures  et prescriptions, qui ont fait leurs preuves par ailleurs. Stratégie risquée, clament experts et médias.

Pas de confinement pour les Béninois

L’une des mesures idoines adoptées dans les pays touchés par le coronavirus pour prévenir le mal reste le confinement. Au Bénin, malgré la découverte de cas avérés de contamination, le gouvernement, ne s’est pas empressé d’en faire une option. En dehors des recommandations sommaires pour éviter la contamination, le Bénin a annoncé l’établissement d’un cordon sanitaire autour de certaines communes du Sud. Si cette mesure limite la mobilité des populations au-delà dudit cordon, elle n’entraîne cependant pas le confinement. Dans son entretien du dimanche 29 mars, Patrice Talon ne l’a pas non plus évoqué. Pour le président de la République, les pays riches qui adoptent cette mesure,  débloquent des sommes faramineuses et certains ont même recours à des solutions monétaires à peine déguisées, voire la planche à billets. Des moyens colossaux dont le Bénin, a l’instar de la plupart des pays d’Afrique ne dispose pas selon Patrice Talon. Il n’entend donc pas entraîner le Bénin dans « un chaos qui remettrait même en cause le minimum impératif de la lutte ». Les mesures qui affament tout le monde à la fois et trop longtemps, finiront très vite par être bravées et bafouées sans avoir permis d’atteindre les objectifs, a souligné le chef de l’Etat Béninois. Il justifie ses propos par le fait que contrairement aux citoyens des pays développés d’Amérique, d’Europe et d’Asie, la grande majorité des Béninois ont un revenu non salarial qui ne peut leur permettre de vivre sans travailler pendant deux, trois ou quatre semaines. Patrice Talon s’en tient donc au minimum en vue d’empêcher la propagation du virus à l’intérieur du pays, tout en préservant l’activité économique dans une partie du territoire, et en réduisant seulement la mobilité de certains acteurs dans la zone critique.

Pas de mesures sociales phares

Les Béninois qui attendent de Patrice Talon, des mesures sociales et d’accompagnement économique et stratégique des entreprises pour faire face à la cessation d’activités due à l’expansion du coronavirus sont restés sur leur faim. Le chef de l’Etat béninois n’entend pas engager le pays dans des mesures qui ne sont pas soutenables trop longtemps. Dans presque tous les pays africains, un accompagnement social lié aux suspensions des factures d’eau, d’électricité, de loyer et autres taxes et impôts pour particuliers et entreprises ont été annoncés. Pour atténuer la souffrance des populations dans le cadre de la lutte contre la pandémie du Coronavirus en effet, plusieurs chefs d’Etats africains ont annoncé des mesures fortes en faveur des couches les plus défavorisées. En Côte-d’Ivoire, pour accompagner le fonds spécial mis en place par le chef de l’Etat, les élus parlementaires ont décidé unanimement de céder à l’Etat ivoirien, 5% de leurs indemnités du mois de mars 2020.  L’Etat nigérien a pour sa part décidé de la prise en charge pour les mois d’avril et mai prochains, des factures d’électricité et d’eau pour les tranches sociales, le renforcement du plan de soutien annuel pour soutenir les personnes vulnérables (distribution gratuite, vente à prix modéré, etc..), et la remise gracieuse de peines en faveur de 1.540 détenus. Au Sénégal un fonds de solidarité contre les effets du Covid-19 doté de 1000 milliards FCfa a été mis en place et une enveloppe de 50 milliards de francs Cfa est consacrée à l’achat de vivres pour l’aide alimentaire d’urgence. L’état d’urgence et le couvre-feu sont déclarés sur toute l’étendue du territoire sénégalais. Au Ghana, il a été créé un fonds spécial d’aide  aux personnes vulnérables et aux personnes les plus touchées par la pandémie. Mais Patrice talon, lui, ne l’entend pas de cette oreille. A l’en croire, certaines mesures n’ont pas le même degré de pertinence partout. Certain de gagner le combat, le locataire du palais de la Marina veut combattre le mal et le vaincre, mais sans compromettre la survie après victoire et surtout, sans pousser l’Etat dans des dépenses sociales peu efficaces selon lui.

Point de la situation au Bénin

A la date du mercredi 1er avril 2020, le Bénin compte officiellement un peu moins d’une quinzaine de cas (13 exactement) cas confirmés de Coronavirus, un cas guéri et zéro décès. Testé positif au Coronavirus au Togo, un citoyen béninois venu d’Europe, a fui le pays pour rejoindre sa terre natale en vue de sa prise en charge.  Pour le traitement de ces patients, le Bénin a opté pour l’utilisation de la Chloroquine et d’une autre molécule en essai. A ce titre, le Bénin a mis en place un centre d’isolement et de prise en charge des patients du coronavirus. Installé dans l’enceinte de l’école de Police de Cotonou, il est composé de deux salles polyvalentes pour les patients suspectés de Coronavirus et d’une salle d’accueil et de traitement des cas confirmés. Au titre des mesures prises par le Bénin pour contrer la maladie, figurent outre le cordon sanitaire autour des communes les plus exposées à cette pandémie que sont : Cotonou, Abomey-Calavi, Allada, Ouidah, Tori, Zè, Sèmè-Podji, Porto-Novo, Akpro-Missérété et Adjarra, Aguégués et Sô Ava, le gouvernement béninois a pris d’autres mesures restrictives limitant entre autres la mobilité des personnes et interdisant des regroupements de plus de dix (10) personnes. Les congés de Pâques sont anticipés et démarrent officiellement le lundi 30 mars 2020. Le ministre de la santé a par ailleurs annoncé la commande d’au moins 200 appareils d’assistance respiratoire, en dehors des autres consommables et intrants indispensables pour la prise en charge des malades. D’aucuns avancent que trouver par ces temps qui courent 200 appareils d’assistance respiratoire disponibles dans l’immédiat sur le marché est illusoire.  Mais Benjamin Hounkpatin a rassuré de l’effectivité de la commande dont la livraison serait en cours. Dans cette lutte pour contrer la pandémie, le Bénin a bénéficié des soutiens, dont celui du Groupe Sunu Assurances Bénin qui a fait un don composé d’assistants respiratoires, de gels hydroalcooliques, de gants et  de masques à l’Etat, d’une valeur de 20 millions de FCfa et celui de la fondation du milliardaire chinois Jack Ma,  composé de 20.000 kits de dépistage, 100.000 masques faciaux et 1000 uniformes médicaux de protection avec écrans faciaux.

En dépit de l’intervention très attendue de Patrice Talon, l’inquiétude des Béninois demeure, notamment en ce qui concerne les mesures d’accompagnement. Pour le commun des Béninois, le pays ne manque pas de moyens à cet effet. Ils  en appellent à la volonté politique des dirigeants pour passer en toute quiétude, ce temps d’épreuves au lendemain encore incertain. Mais pragmatique et attaché à l’économie, l’homme d’affaire devenu chef d’Etat en avril 2016 ne veut pas, selon un de ses conseillers, « ouvrir la vague des cadeaux fiscaux et humanitaires ». L’heure  n’est pas à la charité d’Etat, maugrée Talon qui semble préoccupé par les municipales de mai 2020 qui devraient préparer la présidentielle de 2021 pour laquelle, tout porte à croire qu’il sera candidat à sa succession.

Thomas AZANMASSO, Afrika Stratégies France, Cotonou

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