Guerre d’Ukraine : le partenariat Afrique-Europe peut-il résister ?

Certains milieux continuent de penser, à tort, qu’un « partenariat de valeurs partagées » signifie que les 54 États membres de l’Union africaine (UA) et les 27 États membres de l’Union européenne (UE) devront adopter une position commune sur tous les sujets. Cette prise de position ignore à la fois les contextes historiques et les intérêts actuels de chaque membre de l’UA, ainsi que les réalités européennes. Les positions adoptées à l’égard des résolutions de l’ONU sont prises pour une myriade de motifs, allant souvent au-delà de la question en jeu.

Le vote des pays du Sud

Dans le cas présent, les récents coups d’État au Mali, le conflit prolongé en Éthiopie et la dépendance du Soudan au blé russe sont autant de raisons qui ont poussé chaque pays à s’abstenir ou à être absent du vote visant à condamner la Russie au sein des Nations unies. Plusieurs diplomates africains ont également fait référence aux mauvais traitements infligés par des gardes-frontières ukrainiens et polonais aux nombreux Africains fuyant le conflit.

Toutefois, afin de mieux évaluer l’impact mondial de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il est plus instructif et révélateur de regarder quels pays ont voté en faveur des sanctions contre Moscou. Là, un modèle plus clair se dessine. La quasi-totalité des pays du Sud, d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, d’Afrique et d’Asie, n’ont pas voté en faveur des sanctions et, bien qu’il existe des parallèles évidents avec le Mouvement des non-alignés de la guerre froide, trente années de mondialisation ont également accru l’interdépendance ayant échappé au regard d’une grande partie du Nord.

LE PROGRAMME ALIMENTAIRE MONDIAL DÉPEND DE L’UKRAINE POUR ENVIRON LA MOITIÉ DU BLÉ QU’IL DISTRIBUE EN CAS DE CRISE

Le poids de la Russie dans l’approvisionnement en produits de base mondiaux est largement connu, mais les exportations agricoles russes et ukrainiennes sont peut-être les plus cruciales pour l’Afrique. À eux deux, ces pays fournissent près d’un tiers du blé total importé sur le continent africain, et la Russie produit à elle seule plus de la moitié du blé importé par la Tanzanie, le Congo, Madagascar, le Soudan et le Bénin (ce dernier dépendant presque uniquement de Moscou pour ses céréales). Le blé ukrainien revêt une importance similaire en Afrique du Nord, où il représente près de 20 % des importations totales de cette céréale. Peut-être plus inquiétant encore, le Programme alimentaire mondial dépend de l’Ukraine pour environ la moitié du blé qu’il distribue en cas de crise.

Le tableau de l’énergie est tout aussi sombre, bien que la répartition soit légèrement différente. Si le carburant russe est important pour l’Afrique de l’Ouest, il l’est bien plus encore pour l’Europe. Moscou constitue la principale source de pétrole (27 %), de gaz (41 %) et de combustibles solides (47 %) de l’UE, pour un coût d’environ 600 millions de dollars par jour. Malgré le lancement du train de sanctions européennes, ces importations d’énergie se sont poursuivies, totalisant plus de 17 milliards d’euros depuis le début de l’invasion.

Bouleversements politiques

L’augmentation rapide du coût de la vie provoquée par la hausse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires peut avoir un effet boule-de-neige au-delà de la pression qu’ils exercent sur les salaires stagnants en Europe et sur le taux de chômage élevé des jeunes en Afrique. De la Révolution française aux Printemps arabe, les hausses rapides du coût de la vie sont associées à des périodes de bouleversements politiques. Les deux continents peuvent donc ajouter la guerre en Ukraine au changement climatique et à la pandémie sur la liste des crises mondiales qui mettront à l’épreuve le partenariat Afrique-Europe.

LA BAD A ANNONCÉ UN PLAN D’UN MILLIARD DE DOLLARS POUR STIMULER LA PRODUCTION DE BLÉ SUR LE CONTINENT

La nécessité de mettre en place des chaînes d’approvisionnement plus courtes et plus localisées dans des secteurs clés tels que les systèmes alimentaires et la production d’énergie revêt une grande importance stratégique pour répondre à ces trois crises. La Banque africaine de développement (BAD) a annoncé un plan d’un milliard de dollars pour stimuler la production de blé sur le continent africain, sur le modèle de l’Éthiopie, qui est en passe de devenir autosuffisante en la matière au cours des trois prochaines années. La BAD prévoit d’atteindre 40 millions d’agriculteurs, et ce nombre pourrait être encore plus important avec un soutien multilatéral accru de la Banque européenne d’investissement et d’autres partenaires.

En ce qui concerne l’énergie, la pression exercée pour se désengager des importations de gaz russe pourrait amener l’UE à reconsidérer sa position sur le financement de la production de gaz en Afrique. Le président français Emmanuel Macron a, par exemple, déjà annoncé une visite en Algérie pour discuter de la relance du projet de gazoduc transsaharien qui partirait du Nigeria pour arriver en Europe en passant par le Niger et l’Algérie.

Pour une plus grande autonomie stratégique

Le rôle du gaz est une question que le Women Leaders Network de l’AEF a désignée comme hautement prioritaire pour le déploiement immédiat de solutions de cuisson saine (clean cooking). Les pays africains exportateurs d’énergie pourraient profiter de la crise en cours pour obtenir les financements nécessaires à la transition vers l’énergie verte et acquérir une plus grande autonomie stratégique, tout en reconnaissant que la demande actuelle de gaz pourrait s’effondrer à long terme et les laisser avec des actifs inexploités.

Le monde d’aujourd’hui nous rappelle que les conflits sont rarement isolés et que, quelles que soient les stratégies de politique étrangère, les effets de la guerre se font ressentir avec acuité dans le monde entier. Si l’attention immédiate se porte bien sûr sur les victimes des conflits, il convient d’accorder une plus grande attention à leurs effets sur les pays en développement, en particulier en Afrique.

Nombre de ces conséquences négatives sont déjà facilement identifiables, notamment l’insécurité alimentaire et énergétique croissante sur les continents africain et européen, qui entraînent une forte hausse du coût de la vie et une pression sur les finances publiques. À la sortie du conflit, le partenariat Afrique-Europe devra s’assurer qu’il est en première ligne de la réorganisation de la diplomatie mondiale – mais, pour ce faire, les deux continents doivent s’assurer que le partenariat donne des résultats tangibles en temps de crise.

Afrika Stratégies France avec Jeune Afrique

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