Le Burkina Faso est l’un des pays les plus éprouvés par la pandémie du Covid-19 en Afrique en franchissant la barre de 300 cas confirmés dont 16 morts à ce vendredi. Le gouvernement a été éprouvé avec une demi-douzaine de malades dont le ministre des affaires étrangères. Une députée, vice présidente du parlement a perdu la vie alors que la conférence épiscopale a annoncé la contamination d’un évêque, celui émérite de Koupéla. Depuis, le Cardinal Ouédraogo, le très connu et respecté archevêque de Ouagadougou (la capitale) est testé positif au virus. Mise à l’épreuve par le terrorisme avec, jusqu’à récemment, des attaques contres les lieux de culte, l’Eglise catholique est au devant de la lutte contre la pandémie avec des mesures dont certaines sont inédites. A la veille de la semaine sainte qui précède la Pâques, principale fête catholique dans le monde, l’Eglise affronte le Coronavirus avec espérance et supplications tout en s’adaptant avec des messes à distance. Paul Dah revient sur la pandémie, l’implication de l’Eglise, les changements dans les pratiques religieuses et les défis notamment au Burkina Faso. Prêtre diocésain et directeur de la communication de la conférence conjointe des évêques du Burkina Faso et du Niger, il se confie à Afrika Stratégies France. Interview !
Père Paul Dah, directeur de la communication de la conférence épiscopale Burkina-Niger
Votre pays, le Burkina Faso est l’un des plus frappés par la pandémie du Coronavirus. L’Eglise faisait déjà face au terrorisme avec des églises régulièrement attaquées. Quelle est la situation exacte actuellement au Burkina Faso ?
Depuis le 9 mars, jusqu’à ce jour, les données officielles livrées par le gouvernement burkinabé, font état de 246 confirmés dont 78 femmes et 168 hommes. On déplore, hélas, 12 décès, même si on peut se réjouir de 23 guérisons.
Comment un prêtre vit-il une sorte de confinement ? La messe en privée, des séances de prières, de méditation ? Que fait un prêtre quand il ne peut se déplacer librement tout en restant dans son apostolat ? Bref, comment passez-vous vos journées ?
Etant au service de la relation particulière de chaque fidèle avec le Christ, pour le lui montrer à travers les évènements, tel Jean le Baptiste, confiné ou pas, le prêtre doit maintenir ce souci de faire en sorte que le Christ aille aux fidèles si ceux-ci ne peuvent plus venir jusqu’à Lui. En cela, même célébrant en privé, c’est en communion avec et pour le peuple de Dieu. Que ce soit en paroisse ou dans un service spécifique, il s’efforcera d’offrir aux uns et aux autres, quelques outils de lecture des signes du temps pour y déceler la présence de Dieu, ou du moins ce que le Seigneur veut pour chacun à travers tel ou tel évènement. Dans ce sens, les moyens de communication constituent un bel atout pour maintenir ce rôle. Ce faisant, même confiné, mes journées sont débordantes, au point qu’il me faut trouver du temps pour prier, au risque d’en manquer, parce que happé par les appareils de communication et le service auquel on est assigné, qui lui, continue malgré la situation de confinement. En somme, mes journées continuent d’être bien remplies, débordant parfois.
Est-ce que l’Eglise est particulièrement atteinte par le Coronavirus ? Des religieux, religieuses, prêtres, évêques et laïcs engagés ont-ils été contaminés ?
Vu que le virus se transmet sans distinction aucune, c’est sûr que l’Eglise n’y échappe pas. Mais, à ma connaissance, deux confrères prêtres et deux archevêques -l’archevêque émérite de Koupela et celui de Ouagadougou- ont été testés positifs. Du coup, les personnes de leurs contacts se sont mises en confinement particulier. Mais leur état de santé est jugé ‘‘stable et encourageant’’. C’est l’avenir qui nous précisera donc si notre Eglise est particulièrement atteinte par le Coronavirus.
Comment le prêtre peut-il à la fois rester prudent tout en étant au service de l’Evangile dans une situation aussi exceptionnelle ?
Plus que jamais, le prêtre est ramené d’abord à la prière comme facteur essentiel de son apostolat et source de fécondité de celui-ci. Comme dans une sorte de grande retraite, à l’instar de Jésus lui-même qui se confinait dans la prière avant toute mission importante de sa vie, le prêtre qui se doit d’être à la disposition de toutes les âmes, apprendra ainsi à mieux les porter au Seigneur, dans son confinement. Par le biais des moyens de communion et des réseaux sociaux, il lui est possible de proposer des formes de prières ou des fruits de ses méditations à ses contacts, pour les aider aussi dans leur confinement. Personnellement, j’en envoie chaque jour aux familles, groupes et individus.
Cette période est également un moment où beaucoup se posent des questions existentielles. C’est une occasion propice de les accompagner dans leur questionnement et de leur proposer Jésus-Christ. Et si un contact direct s’impose avec quelqu’un dans la nécessité, il n’y a pas à hésiter, toutes les mesures de prudence pour se protéger et protéger les autres, étant respectées.
Le Pape recommande des séances de pénitences collectives pour éviter le sacrement de confession. Qu’en est-il au Burkina Faso ?
A ce niveau, la question a été renvoyée à l’évêque pour qu’il en étudie les modalités, en fonction de son diocèse. Moi étant dans une mission spécifique, je ne saurais vraiment m’étendre là-dessus.
Pensez-vous que cette crise peut avoir quelque chose d’utile pour le chrétien ? Permet-elle, à défaut de pouvoir aller à la messe, de redécouvrir la prière individuelle et en famille ?
Comme je le disais tantôt, un des gains de cette crise sera de nous ramener tous à l’essentiel, en nous donnant de purifier nos rapports et relations tant avec les autres qu’avec le tout Autre. Au terme donc de cette crise, plus rien ne devrait plus être comme avant, à tous les niveaux. Mais d’ores et déjà, et dans l’attente de cet ‘‘après’’ que viendra nous transfigurer, la Pâques du Seigneur, la promesse du Ressuscité au moment de son retour vers le Père, tient plus que jamais, et doit nous tenir en confiance absolue et nous fortifier quand il nous semble que tout chavire : « Et moi je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps » comme le conclut si bien le dernier verset de l’évangile selon saint Mathieu. Une telle conscience, si elle est acquise, ce temps durant, ne peut que cultiver la faim de l’Eucharistie et en donner une dimension plus profonde et plus belle dès que les circonstances le permettront, pour tous, de nouveau.
Pensez-vous que l’Etat burkinabé fait-il face efficacement à cette crise?
C’est sans doute trop tôt pour apprécier la gestion de cette crise, initiée il y a moins d’un mois de cela, sans oublier que la crise du Covid-19, dont les Chinois seuls semblent avoir tiré leur épingle du jeu, de manières différentes, reste un casse-tête pour beaucoup de gouvernements, et, un double casse-tête pour l’Etat burkinabé, déjà confronté à la crise terroriste et djihadiste.
Les évêques du Burkina Faso ont pris, à travers diverses réactions, des décisions pour contrer la maladie. Quelles sont ces dispositions et comment sont-elles mises en pratique ?
Le 12 mars dernier, soit trois jours après l’apparition du COVID-19 au Burkina Faso, les évêques de ce pays ont donné, comme contribution individuelle et collective de l’Eglise pour lutter contre la propagation du Covid-19, des consignes aux fidèles en sus de six recommandations du gouvernement à l’ensemble des Burkinabé, dans le cadre de cette lutte. Voici ces règles de conduites spécifiques à l’Eglise catholique :
- S’abstenir du baiser de la paix à la messe et des poignées de mains et accolades à l’intérieur comme à l’extérieur des célébrations liturgiques et paraliturgiques ;
- Communier au corps du Christ uniquement en recevant l’hostie à la main ;
- Communier, pour les prêtres, au sang du Christ uniquement par intinction lors des concélébrations. Il revient au célébrant principal de consommer le reste du Précieux Sang et de purifier la coupe que l’on nettoiera soigneusement avant qu’elle serve dans une autre célébration. Là où c’est possible, on utilisera des calices et des purificatoires individuels ;
- Les fidèles infectés et affectés par le Covid-19 sont invités à suivre strictement les consignes du Ministère de la Santé et à s’abstenir de participer aux célébrations communautaires jusqu’à leur guérison ;
- Suspendre l’usage d’eau bénite dans les bénitiers aux portes des églises, et si l’on fait usage de l’eau bénite au cours d’une célébration, ce sera seulement par aspersion ; personne n’y trempera les doigts ;
- Utiliser du savon ou du gel désinfectant pour les ministres ordinaires et extraordinaires de l’Eucharistie qui se désinfecteront les mains avant et après la distribution de la communion, ainsi que pour ceux qui travaillent à la sacristie ;
- Eviter, sauf pour raison impérieuse, les voyages dans des pays significativement touchés par le Covid-19 (Cf. Directives du Ministère de la Santé IV, 4. 1).
- Suspendre ou renvoyer à une période favorable les activités comportant un grand rassemblement : les pèlerinages diocésains ou paroissiaux, les marches de carême, les chemins de croix, les retraites et les veillées de prière avec grand concours de fidèles, les campagnes d’évangélisation, les rencontres provinciales des jeunes et autres rencontres de même ampleur, tout autre rassemblement qui, au jugement de l’Ordinaire du lieu présente des risques de propagation du Covid-19.
Toutefois, l’évolution rapide de la pandémie dans le monde et sur place a rendu ces mesures épiscopales insuffisantes. Les évêques les ont donc complétées par ces six directives suivantes :
Les messes publiques (dominicales, de précepte et quotidiennes) sont suspendues.
Par conséquent, les fidèles sont dispensés du précepte du dimanche et des jours de fêtes, comme de la participation à la messe quotidienne. Ils pourront être aidés par des retransmissions de célébrations (messes, chemin de croix) à la radio ou à la télévision.
Les prêtres continueront à célébrer l’Eucharistie tous les jours dans les équipes ou dans les communautés religieuses en respectant toutes les consignes sanitaires indiquées par les autorités compétentes.
En outre les fidèles sont invités à la prière personnelle et en famille (méditation de la Parole de Dieu, Chapelet, chemin de croix et autres dévotions).
Enfin, les Ordinaires du lieu veilleront à ce que les églises restent ouvertes pendant la journée pour les dévotions individuelles.
- Sont également suspendus les cours de catéchèses, les stages de baptizandi et autres stages préparatoires aux sacrements.
- La célébration des obsèques devra respecter scrupuleusement les consignes de l’Etat. Dans un cadre plus familial très restreint, les prêtres pourront assurer l’absoute.
- Les Grands Séminaristes et leurs formateurs restent en confinement dans les Grands Séminaires respectifs. La participation aux offices par les fidèles venant de l’extérieur du Grand Séminaire est suspendue. Les Recteurs pourront prendre d’autres mesures nécessaires dans le cas spécifique d’une maison de formation sacerdotale.
- Les Supérieurs Majeurs sont invités à prendre des mesures similaires pour les maisons de formation qui relèvent de leur autorité.
- Dans les diocèses, des modalités devront être étudiées quant à l’administration de certains sacrements tels que la Pénitence et l’Onction des malades.
Les évêques du Burkina ont invité les fidèles à suivre « scrupuleusement ces mesures tout en intensifiant le jeûne, la prière et le partage pour que Dieu éloigne de nous ce fléau ».
Qu’est ce que l’Eglise catholique fait concrètement en ce moment pour aider le pays à faire face à cette crise ?
Devant une crise où la prévention demeure la meilleure arme à portée de tous, l’Eglise Catholique au Burkina, a vite fait de prendre des mesures et des directives, comme contribution individuelle et collective à la lutte contre le Covid-19, et, cela a eu un effet de boule de neige au niveau des autres confessions religieuses, pour limiter les rassemblements de masse aux fins de culte ou de dévotion. En plus, elle ne cesse de s’investir dans la sensibilisation des populations afin qu’elles adoptent les comportements appropriés pour barrer la propagation de cette maladie. Je passe outre les initiatives des diocèses ou des privés pour contribuer à cette lutte contre le Covid-19
Le nombre de malades s’augmente chaque jour un peu plus, quel message portez-vous, en tant que directeur de la communication de la conférence des évêques ?
Au terme de ce carême particulier, vécu ici là dans le confinement -extérieur- et assombri chaque jour par un nombre impressionnant de décès et de malades du Covid-19 dans le monde, peut-on donner un message autre que l’espérance de Pâques, « jour de victoire, jour de résurrection, jour de salut de l’Homme ». Et comme le Maître qui offre cette victoire nous garantit de sa présence à jamais, quel que soit le degré de cette épreuve que nous traversons, nous pouvons la vivre dans l’espérance de lendemains meilleurs, fort de cette garantie que nous donne le Christ lui-même : « Dans le monde, vous trouverez la détresse, mais ayez confiance : moi, je suis vainqueur du monde. » (Jn 16,33). Et comme nous le dit notre acte de foi, Dieu « ne peut ni se tromper ni nous tromper ». Alors, il ne nous reste plus qu’à lui demander de faire de notre confiance en Lui, la pierre d’angle de notre vie.
Propos recueillis par MAX-SAVI Carmel, Afrika Stratégies France