IRAK : L’Iran inflige un camouflet aux États-Unis

En dépit de la volonté américaine, la République islamique a obtenu la tête du Premier ministre sortant et pu imposer son candidat à la tête du Parlement.

Les deux meilleurs ennemis du monde avaient, un temps, enterré la hache de guerre. Dans le cadre de la lutte contre Daech en Irak, les États-Unis et l’Iran étaient même devenus des alliés objectifs. Dans le contexte du rapprochement initié entre les deux pays à l’occasion de la signature de l’accord sur le nucléaire iranien en juillet 2015, les Américains assuraient la majorité des bombardements aériens de la coalition internationale contre les djihadistes, tandis que des « conseillers » iraniens, membres du corps des Gardiens de la révolution islamique, encadraient sur le terrain les milliers de combattants de la Mobilisation populaire, des miliciens irakiens de confession chiite engagés dans une lutte à mort contre les djihadistes de l’État islamique (excepté pour la bataille de Mossoul, où cette mission a été intégralement été confiée à l’armée irakienne).

Mais cette alliance de circonstance entre Washington et Téhéran a fait long feu, en même temps que l’accord sur le nucléaire iranien. Après la victoire sur l’État islamique, les États-Unis de Donald Trump ont de nouveau un ennemi principal, la République islamique d’Iran, « principal pourvoyeur du terrorisme dans le monde » selon le président américain. Déterminés à mettre fin aux ingérences iraniennes dans la région, qui menacent ses intérêts et ceux de leurs deux principaux alliés – Israël et l’Arabie saoudite –, les États-Unis sont prêts à tout pour briser l’arc perse chiite au Moyen-Orient – Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth.

Al-Abadi, candidat de l’Occident

Tandis que Bachar el-Assad, grand allié de l’Iran dans la région, est sur le point de reprendre le contrôle de la totalité de la Syrie, et que le Hezbollah libanais (armé et financé par Téhéran) sort renforcé des premières élections législatives organisées en neuf ans, seul l’Irak post-djihadiste paraissait pouvoir prendre ses distances avec la République islamique. Jusqu’ici, le pouvoir en Irak demeurait entre les mains de proches de Téhéran, l’intervention américaine en 2003 ayant abouti au renversement du dictateur sunnite Saddam Hussein en faveur de la majorité chiite.

Tout auréolé de sa victoire sur Daech, le Premier ministre irakien sortant, Haider al-Abadi, un technocrate certes chiite, mais qui bénéficie des faveurs de l’Europe et des États-Unis, faisait partie des favoris à sa propre succession à l’occasion des élections législatives, qui se sont tenues en mai dernier. Sa liste, Alliance pour la victoire n’étant arrivée que troisième du scrutin, ses chances d’être maintenues à son poste restaient néanmoins réelles. Les élections irakiennes étant organisées à la proportionnelle, le choix du Premier ministre est le fruit d’un accord entre listes concurrentes formant une coalition. Ainsi, en fin politicien, Haider al-Abadi s’était allié à la liste arrivée en tête, La marche pour les réformes, celle du religieux nationaliste Moqtada al-Sadr, juste devant l’Alliance de la conquête, une coalition de miliciens chiites pro-Téhéran.

L’abandon des Kurdes

Pour s’assurer de la reconduction de Haider al-Abadi à son poste, les États-Unis ont en parallèle pressé le Kurde Massoud Barzani, ancien président du Kurdistan irakien et chef du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de soutenir sa liste. Allié à ses rivaux kurdes de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), et à l’Axe de l’alliance, le plus grand bloc sunnite, Massoud Barzani disposerait de 60 à 90 sièges dans la future assemblée (sur 329), ce qui lui donne un rôle de faiseur de rois. D’après le site de la revue américaine Foreign Policy , le secrétaire d’État américain Mike Pompeo, un faucon vigoureusement opposé à la République islamique, aurait ainsi appelé au mois d’août le leader kurde, allié des États-Unis dans la lutte contre l’État islamique, pour lui demander de rejoindre l’alliance du Premier ministre sortant.

C’est oublier que les États-Unis, une fois Mossoul repris, ont quelque peu abandonné leurs alliés kurdes. Comme le souligne Peter W. Galbraith, un ancien ambassadeur américain, auteur de l’article de Foreign Policy, « le problème, pour le président américain Donald Trump, est que Barzani ne pense plus pouvoir faire confiance aux États-Unis ». En juin 2014, alors que l’État islamique s’apprête à déclarer son califat à cheval sur la Syrie et l’Irak, l’ancien président du Kurdistan irakien souhaite proclamer l’indépendance de sa région sur le reste de l’Irak.

En visite à l’époque à Erbil, l’ancien secrétaire d’État américain John Kerry, exhorte Massoud Barzani à reporter à plus tard son annonce pour se consacrer entièrement à la lutte contre Daech, qui menace alors de s’emparer de Mossoul. Trois ans plus tard, alors que les Kurdes célèbrent la victoire contre Daech, le leader kurde annonce l’organisation d’un référendum sur l’indépendance du Kurdistan irakien. Or, l’administration américaine, désormais entre les mains de Donald Trump, s’y oppose également, de peur d’affaiblir l’État central irakien et de créer un précédent. L’ancien secrétaire d’État Rex Tillerson lui propose, une nouvelle fois, de reporter le vote en échange de la résolution par Washington des sujets de contentieux avec Bagdad, notamment l’épineuse question de l’exploitation du pétrole kurde. Massoud Barzani refuse. Le 25 septembre 2017, le « oui » à l’indépendance du Kurdistan l’emporte. La réponse de Bagdad sera cinglante.

Une improbable alliance

Avec l’aval tacite des États-Unis, le Premier ministre Haider al-Abadi décide de couper le Kurdistan du reste du monde. L’homme fort de Bagdad bloque l’espace aérien du Kurdistan, coupe son système bancaire et donne son accord à une intervention militaire des milices chiites irakiennes, dirigées par l’Iran, pour reprendre aux Kurdes la ville pétrolière de Kirkouk, dont ils s’étaient emparés à la faveur de la lutte contre Daech. Selon l’ancien diplomate Peter W. Galbraith, les Américains vont jusqu’à permettre aux forces pro-Téhéran d’utiliser des chars américains Abrams contre les soldats peshmergas. Or, l’offensive est planifiée par le chef de la force extérieure des Gardiens de la révolution, le général Qassem Soleymani, bête noire de Washington, et demeure conduite au sol par Abu Mahdi al-Muhandis, commandant adjoint de la Mobilisation populaire (les milices chiites, NDLR), un homme qui figure sur la liste des terroristes aux États-Unis pour son rôle dans les attentats de 1983 contre les ambassades des États-Unis et de France à Koweït City. « Cet épisode a bouleversé Barzani et les Kurdes, et les a mis en colère », souligne dans son article Peter W. Galbraith. « La plupart de cette colère était, et reste, dirigée contre Abadi. »

Un an plus tard, voici le général Qassem Soleymani, bourreau des Kurdes à Kirkouk et de nouveau ennemi numéro un des États-Unis, dépêché à Erbil pour convaincre Massoud Barzani de ne pas accéder à la demande américaine. L’homme le plus fort de Téhéran au Moyen-Orient a également passé une bonne partie de l’été à s’entretenir avec les partis chiites irakiens, notamment le religieux nationaliste Moqtada al-Sadr, pour les exhorter à ne pas soutenir Haider al-Abadi et ainsi contrer les desseins américains. Il est aidé en ce sens par un autre événement qui secoue l’Irak depuis cet été.

Contestation populaire

Début juillet, des manifestations, parfois violentes, éclatent dans la ville de Bassora (sud), exacerbée par une année de sécheresse qui a profondément nui à la production agricole. Dénonçant la corruption qui frappe le pays, le chômage ainsi que la déliquescence des services publics (pénurie d’eau et coupures d’électricité depuis des années) dans une région pourtant richissime en pétrole, les contestataires sont sévèrement réprimés par les forces de l’ordre. 27 personnes perdent la vie dans le sud de l’Irak, dont 12 la semaine dernière à Bassora.

Pas de quoi néanmoins affaiblir le mouvement de contestation. Fustigeant l’incurie du gouvernement, mais aussi l’ingérence des puissances étrangères, des milliers de jeunes manifestants, en majorité chiites, s’en sont pris aux symboles du pouvoir à Bassora, aux sièges des milices chiites, mais aussi aux représentations des deux meilleurs ennemis de la planète, le consulat américain, ciblé par des attaques, et celui d’Iran, qui a été incendié. Étonnamment, les États-Unis ont pointé du doigt la République islamique et ses milices chiites, accusées de ne « rien avoir fait pour arrêter ces attaques » contre son consulat, alors que ni l’Iran, ni les groupes armés, n’ont pu faire quoi que ce soit pour protéger leur bâtiment.

« Coup de grâce pour le plan américain »

S’il a tenté d’éteindre l’incendie de la révolte en annonçant des travaux publics immédiats pour régler la crise, le Premier ministre sortant al-Abadi a peiné à convaincre, si bien que son principal allié, Moqtada al-Sadr, qui a fait campagne sur la lutte contre la corruption et le rejet du système, a annoncé le 8 septembre dernier qu’il lui retirait son soutien pour rejoindre l’Alliance de la conquête, la liste pro-Téhéran. Dans la foulée, l’ancien chef du gouvernement irakien a annoncé qu’il renonçait à se présenter pour un second mandat. « C’est le coup de grâce pour le plan américain », s’est aussitôt félicité Qaïs al-Khazali, chef de la puissante milice chiite Assaïd Ahl al-Haq, et l’un des leaders du bloc pro-Téhéran.

Sans surprise, les deux blocs se sont mis d’accord sur la nomination à la tête du nouveau Parlement de Mohammed al-Halboussi, sunnite soutenu par la liste pro-Iran, ouvrant la voie à la nomination d’un Premier ministre lui aussi favorable à la République islamique. D’après la Constitution irakienne depuis la chute de Saddam Hussein, le chef du Parlement doit être sunnite, le président kurde, et le Premier ministre chiite (il doit en pratique faire l’objet d’un accord tacite entre Washington et Téhéran, NDLR). « Il est exagéré de dire que toutes les forces politiques chiites en Irak sont contrôlées par l’Iran, se défend un haut diplomate moyen-oriental. Aucune force n’a de relation de dépendance avec nous, mais il existe des intérêts communs que nous définissons. »

La réaction de Téhéran à la nomination de Mohammed al-Halboussi et donc à la mise à l’écart du « pro-occidental » Haider al-Abadi illustre pourtant la satisfaction de la République islamique. « L’Iran a toujours soutenu la démocratie, l’intégrité territoriale et la souveraineté du pays, a souligné le ministère iranien des Affaires étrangères. Il soutient les choix des représentants élus du peuple irakien. »

lepoint.fr

 

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