COTE D’IVOIRE : Soro, sa mafia, ses sulfureux amis et ses demandes de médiation

Devenu infréquentable chez des dirigeants d’Afrique auprès de qui son poste de président du parlement ivoirien lui ouvrait des portes, Soro doit trouver les moyens de financer sa campagne. Entre temps, des défections s’enchaînent dans son camp et le président de Comité politique (Cp) qui a sollicité la médiation de Macky Sall et du cardinal   Jean-Pierre Kutwa pour « calmer le jeu » peut encore compter sur quelques sulfureuses amitiés, Alexandre Benalla, Vincent Miclet, Moustapha Chafi, Isaac Zida ou encore le très inconnu Cem Kürşad Hasanoğlu. En attendant, il orchestre quelques shows grotesques, entre un Crush party en Espagne et une démêlée surréaliste avec Interpol. La crampe de la désillusion commence-t-elle pour celui qui a échoué, juque-là, à se faire le candidat consensuel de l’opposition ? Voici le 2e des 6 articles de notre Special Côte d’Ivoire à Afrika Stratégies.

Du retour d’une tournée en Europe après celle, très longue à l’intérieur de la Côte d ‘Ivoire, l’ex chef rebelle avait annoncé les couleurs. Il s’est dit « prêt à demander pardon à Ouattara… ». Sauf que dans la foulée, volant de contradictions en contradictions, il s’en est pris au chef de l’Etat ivoirien à maintes reprises. « Très impulsif, Soro dit tout et n’importe quoi quand il s’emporte » murmure-t-on dans son entourage. Ces dernières semaines, même s’il nie avoir demandé grâce auprès de Ouattara ou avoir sollicité une quelconque audience, Soro a essayé, comme le peut un  tribun, de faire profil bas. Avant d’être rattrapé par ses vieux démons entre véhémentes attaques au Crush party de Valencia et une surréaliste tentative d’interpellation de l’Interpol. Sa tournée européenne ne lui a ni permis de rencontrer Gbagbo, ni même Blé Goudé et sa candidature est de plus en plus hypothétique depuis que le Fpi et le Pdci Rda ont fait un meeting commun. A 85 ans et obsédé par le retour au pouvoir, Henri Konan Bédié ne veut faire aucune concession au point d’écraser dans son entourage toute envie de candidature autre que la sienne. Gbagbo préférant se rapprocher du patriarche de Daoukro, à qui il reproche moins de conflits et trahisons que Soro, l’ancien président de l’assemblée nationale risque de faire cavalier seul. S’il peut compter sur sa bouillante mafia pour mobiliser une partie de l’argent indispensable pour une campagne, rien n’est gagné avec ses soutiens de seconde main. D’autant que les services secrets ivoiriens traqueraient toutes les traces des milliards qu’il a emportés, que ce soit grâce aux magouilles  que lui facilitait son poste ou dans le casse d’une agence septentrionale de la Banque centrale des états de l’Afrique de l’ouest (Bceao). Ou encore, les divers obscurs trafics dans lesquels plusieurs chancelleries occidentales le citent avec son ami de tous les temps, Moustapha Chafi dont la très sulfureuse renommée n’est plus que secret de polichinelle.

Gueuses tentatives

S’il n’a pas pu rencontrer, comme il l’a voulu Macky Sall, Guillaume Soro a réussi à lui faire parvenir un message. « Soro n’écarte pas un retour au Rhpd, si les discussions le permettent et est prêt à rester simple député si cela convient au président Ouattara« . C’est la substance du message. Le président sénégalais profite d’un  entretien, mi-septembre, en marge du sommet de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) pour intercéder auprès de son homologue ivoirien. Alassane Ouattara qui ne croit plus en la sincérité de son ancien bras droit a juré « revenir sur le sujet » avec Sall. Une habille manière pour cet animal politique de 78 ans de dire « passons à autres choses« . Macron, à qui Alexandre Benalla a fait passer, sans suite, plusieurs sms, a aussi évité, soigneusement lors de sa dernière rencontre avec Ouattara, d’évoquer le sujet. Le président français ne répond d’ailleurs plus aux messages de son ex chargé de missions qui a alimenté le plus grand scandale de son quinquennat. Mahamadu Issoufou, qui a toujours été réticent par rapport à Soro et son obsession à créer une proximité avec lui a été l’un des rares chefs d’Etat à avoir donné suite aux sollicitations de Guillaume Soro, « refusant d’intervenir« . D’autant que Soro entretenait de cordiales relations avec Hassoumi Massoudou. L’ancien ministre des finances du Niger était, tout comme son ami ivoirien, impatient d’être le dauphin de Issoufou au point où le chef de l’Etat a dû se séparer de lui en début d’année. Pour faire investir Mohamed Bazoum, son ministre de l’intérieur et désormais candidat du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (Pnds, au pouvoir).

Aux dernières nouvelles, l’archevêque d’Abidjan aura été sollicité pour calmer le jeu. Il ne s’agit plus d’une médiation pour rapprocher le président ivoirien de l’ancien séminariste que fut Soro mais une intervention, en tant que personnalité religieuse, pour « calmer le jeu« . Une manière pour l’enfant prodigue de s’accorder un répit ? Toujours est-il que le cardinal   Jean-Pierre Kutwa n’a donné aucune suite. A 73 ans, ce prélat grand compositeur de musique devant l’éternel préfère, loin de tumultueuses médiations politiques, savourer les dernières chansons à la Vierge Marie de son stimulant répertoire.

Creuse tournée

Creuse tournée ? Pas vraiment. La Crush party est plus ou moins un succès. Et en enchaînant pareilles rendez-vous (il l’avait fait à Paris en août), Soro suscite un certain engouement au sein de la diaspora. Sauf que jusque-là, il n’a pu voir ni Charles Blé Goudé, ni Laurent Gbagbo, se contentant, comme il sait le faire depuis sa descente aux enfers, de quelques boulets de militants.  Deux mois hors du pays, entre le Maroc, la Turquie, la France, la Belgique sans aucun soutien consistance. C’était entre mai et début juillet. En août, il y est retourné à paris d’où il a annoncé que « d’ici septembre, quelque chose se passerait en Côte d’Ivoire« . Des menaces à peine voilées qui, plusieurs jours après septembre, restent sans suite. Ce grand joueur de jeu d’échec est aussi un metteur en scène hors pair, mieux que quiconque, entre le chaud et froid. Il préfère, entre la France la Belgique, la Hollande, la Grande Bretagne, passer au vitriol son ancienne famille politique, remerciant sur les réseaux sociaux, ironie de la mise en scène, des taupes du Rhdp qui l’informeraient. Mais répartie entre le Fpi et le Rhdp, la diaspora ivoirienne est en grande partie hostile à Soro à cause de son instabilité et sa triste duplicité. Pire, aucun dirigeant européen ne veut le recevoir. Charles Michel, dont il fut pourtant proche rechigne à lui accorder une interview. Même l’International socialiste se méfie de ce politique qui se réclame de gauche, après avoir été un baron du ouattarisme, courant plutôt libéral. Mais il devrait, avant la présidentielle, être reçu par Olivier Faure qui ne veut pas précipiter une audience. Des contacts de lobbying du député sénoufo négocie aussi avec Jean Luc Mélenchon. Une manière d’affirmer sa supposée sensibilité de gauche. En attendant, le plus grand défi est de garder ses derniers amis et surtout, que ses soutiens lui apportent, d’ici 2020, quelques issues. Rien n’est moins incertain.

Sulfureuses amitiés

Si son aventure présidentielle est strangulée par des démissions en cascade de son camp, l’ancien président de l’assemblée nationale tient le coup. Guillaume Soro peut compter sur plusieurs amis qui, quoique peu fréquentables, disposent tout de même de quelques retours.  Idriss déby a déjà assuré à Benalla qu’il « ne peut pas apporter grand-chose à la campagne de Soro« . Deux raisons à cela, le président tchadien ne veut pas se fâcher avec son ami Alassane Ouattara. Et son pays traverse une importante crise financière qui l’a obligé à solliciter aides et prêts auprès de Paris pour continuer à payer les salaires. Mais Benalla n’est pas pour autant découragé. Il sollicite d’autres pays dont la Guinée Equatoriale mais aussi les deux Congo ou encore l’Angola. Sans succès pour le moment. Cem Kürşad Hasanoğlu, homme d’affaire et maire d’une moyenne ville de 700.000 habitants au nord ouest de la Turquie dispose de quelques millions d’euros comme fortune et entend mettre une partie au service de son ami ivoirien. Quant à Recep Tayyip Erdogan, il  a évité de recevoir Soro pendant son long séjour en Turquie et a donné les consignes pour qu’il ne voit aucune personnalité de haut niveau. Même Mustafa Şentop qui connaissait l’ancien président du parlement ivoirien et dirige actuellement l’assemblée nationale turque n’a pas daigné le recevoir. Il a appelé ses adjoints à faire de même. Mais le milliardaire Vincent Miclet a déjà versé une tranche de soutien financier et devrait, tant que Benalla le lui demandera, continuer à le faire, notamment en période électorale. Idem pour Moustafa Chafi, non moins sulfureux ami et à qui plusieurs pays occidentaux reprochent des soutiens au terrorisme. Washington le suspecte d’ailleurs de colossaux blanchiments d’argent, ce qu’il nie avec la dernière rigueur. Si, exilé au Canada, Isaac Zida, peu fortuné, ne peut soutenir son ami, il a promis faire du lobbying auprès de la diaspora nord américaine du Burkina Faso dont il se dit « proche« . Mais Soro, c’est aussi quelques réseaux de diamants au Libéria et des trafiquants d’armes siéra-léonais dont il ne cache pas l’amitié.

Incertaine issue

Les portes se ferment, l’issue devient presqu’incertaine. Sans soutiens de taille, Soro doit faire face à de récurrentes défections dans son propre camp. Le Rassemblement des houphouêtistes pour le développement et la paix (Rhpd) débauche, discrètement, l’un après l’autre des proches de ses adversaires, « c’est de bonnes guerres » s’en amuse un pilier du parti. Dans une telle situation, la candidature de Guillaume Soro est de moins en moins crédible d’autant que la Commission électorale indépendante qu’il conteste a été installée et a élu son président. Comme si le processus électoral se préoccupe peu  des querelles de chapelle. Mais Soro ne sera pas qu’isolé face à son aventure, il aurait du mal à mobiliser de l’argent, le nerf de la guerre. Une situation qui ne décourage pas Alexandre Benalla qui a déjà promis, à défaut du Tchad, solliciter d’autres pays de l’Afrique centrale, pour financer le président de Comité politique (Cp).

Le premier tour de la présidentielle ivoirienne est prévue au 20 octobre 2020. Dans un an. Alassane Ouattara, sortant, n’a pas encore écarté sa possible candidature, la constitution lui garantissant encore deux mandats. Mais son parti pourrait se choisir un autre candidat début mai. Pour l’instant, l’opposition peine à se trouver un candidat unique alors que la commission électorale, qui s’est doté d’un nouveau président,  est plus que tournée vers 2020.

MAX-SAVI Carme, Envoyé spécial, Afrika Stratégies France

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