Avec plus d’une centaine de milliers de manifestants réunis au Stade Félix Houphouët-Boigny à Abidjan hier, l’opposition a réussi à bouger les lignes. Malgré les efforts du Premier ministre ivoirien et un autre membre du gouvernement pour rassurer le président sortant, Paris s’inquiète de violences lors de la prochaine présidentielle. L’ambassade de France est en alerte maximale, Macron craint le pire et soupçonné d’être la main invisible de cette mobilisation, Soro, en exil en France sera surveillé comme de l’huile sur le feu.
« Elle n’a jamais été autant unie ! » se satisfaisait Henri Konan Bédié, parlant de l’opposition, en marge de la manifestation qui a réunit « pas moins de 100.000 personnes » selon l’organisation. « Sans compter des milliers de personnes retenues dans les rues autour du stade ou encore celles bloquées à Grand-Bassam (commune périphérique d’Abidjan, Ndlr) » a tenu à préciser Mamadou Koulibaly, ancien ministre et virulent opposant. Les principaux opposants au régime se sont succédé à la tribune pour dire tout le mal qu’ils pensaient du président Alassane Ouattara devant une foule en ébullition. Depuis Paris, Guillaume Soro, 48 ans et dont la candidature a été recalée par le Conseil constitutionnel a passé la journée au téléphone, entouré de ses proches insistant pour que son service de communication relaie les images les plus symboliques. L’heure est à la com dont cet ancien leader estudiantin maîtrise parfaitement les codes, se targuant, à raison d’être « l’homme politique ivoirien le plus suivi » sur les réseaux sociaux, « le président Ouattara compris » ricane-t-il en insistant sur la précision. La démonstration de force de l’opposition a dérangé aussi bien au Palais du Plateau qu’à l’Elysée d’autant que la France a récemment changé le statut de résidence de Soro et a nommé un nouvel ambassadeur « très expérimenté pour gérer une situation délicate ». La suite promet de ne pas être de tout repos, « il n’aura pas d’élection » a scandé Pascal Affi Nguessan à plusieurs reprises, dans la foulée de la manifestation.
Une opposition unie
L’opposition ivoirienne est apparue unie. Des caciques comme Mamadou Koulibly aux derniers dissidents tels Marcel Amon-Thanoh ou Toikeuse Mabri en passant par les anciens alliés du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (Rhdp). Personne n’a manqué au rendez-vous. Les pro-Gbagbo, les soutiens de Blé Goudé, tous deux dans les mailles de la justice internationale, des anciens ministres de Ouattara, une partie de la société civile et surtout, une population très politisée qui a répondu massivement à l’appel. Depuis Paris, Guillaume Soro suit tout de près. L’ancien chef rebelle a passé des jours à s’entretenir avec plusieurs leaders politiques, aidé par son avocate et proche Affoussiata Bamba Lamine. Si Mabri Toikeuse, ancien ministre de l’enseignement supérieur a été rétissant, celui qui était encore jusqu’à récemment ministre des affaires étrangères, Amon-Thanoh s’est jeté tout de suite à l’eau. Pendant ce temps, Charles Blé Goudé, ancien ministre et co-détenu de Laurent Gbagbo à Cour pénale internationale a tenté vainement de joindre le candidat Kouadio Konan Bertin, le seul à ne pas avoir appelé à la désobéissance civile et qui clame « l’urgence de cultiver la paix à la suite de Houphouët-Boigny ». La mobilisation a été surtout autour d’un patriarche de la politique ivoirienne, l’ancien président Bédié à qui, unanimement, les intervenants ont rendu hommage. Sauf que le cerveau de toute l’opération tirait les fils depuis la capitale française où, entouré de ses principaux acolytes, il a suivi toute la manifestation, de bout en bout.
Soro, le cœur du dispositif
Soro est le maître orchestre de toute cette mobilisation. Depuis plusieurs jours, après avoir tenté vainement de convaincre, par personnes interposées, Kouadio Konan Bertin (Kkb), l’ancien Premier ministre a réussi à rassembler toute l’opposition. La stratégie de Soro au départ, était aussi de tenter, grâce à son illimitée fortune, d’associer Kkb à la cause. Objectif, rendre caduque la tenue du scrutin d’autant que deux des quatre candidats, Bédié et Nguessan, ont déjà donné leur accord de principe pour un boycott. « Mais il ne servira à rien de faire la politique de la chaise vide pour que kkb soit 2e » prédit Henri Konan Bédié. L’ancien président craint que cette stratégie ne profite à son dissident devenu, contre son gré, candidat. Car, si Alassane Ouattara se retrouve seul en lice, le scrutin devrait être reporté et le processus repris au point de départ. Mais entre temps, Soro qui s’est opposé à l’idée de faire une demande d’asile a dû se régulariser en France, avec un coup de main du Quai d’Orsay. Son visa Schengen de type « C » de trois ans qui lui permettait des aller-retours en Europe ne lui permettait pas de rester plus de trois mois d’affilés en France. Finalement, un arrangement a permis une prorogation à la Préfecture de Police de Paris (Ppp). Depuis, celui qui dispose d’au moins « deux maisons » en France est sous le régime de carte de séjour. Et pourrait ainsi rester en France sans la contrainte d’une demande d’asile. Il profite bien de cet état de grâce pour s’en prendre aux autorités françaises notamment à Jean Yves Le Drian et pour organiser l’opposition contre la tenue du scrutin.
Que peut faire la France ?
Cette manifestation a eu un premier effet, attirer l’attention de la France qui, jusque là, « minimisait la force de frappe de l’opposition » selon l’un des anciens ministres de Ouattara qui s’est joint à la mobilisation au dernier moment. Depuis, Paris revoit sa carte. Franck Paris, conseiller Afrique de l’Elysée qui fut un soutien de taille au choix de Amadou Gon Coulibaly, Premier ministre défunt comme dauphin de Ouattara et qui, malgré ses séjours récurrents à Abidjan, n’était pas enthousiaste à l’idée du 3e mandat a du faire, par webcam, une séance de travail imprévue consacré à la Côte d’Ivoire. Le très chevronné diplomate Jean Christophe Belliard qui, à 61 ans, a été dépêché à Abidjan comme ambassadeur pour remplacer son prédécesseur « rappelé pour une enquête administrative » à Paris n’a pas encore présenté ses lettres de créances. Mais il a rejoint la capitale ivoirienne et pourrait, la semaine prochaine rallier rapidement Paris pour recevoir « des consignes » selon plusieurs sources concordantes. Lesquelles consignes devraient dépendre de l’évolution de la situation à Abidjan. Ce que Soro considère comme une victoire et la savoure si bien. La suite ne promet pas d’être facile pour le pouvoir ivoirien d’autant que l’Elysée craint devoir intervenir pour sécuriser des intérêts français et rapatrier des expatriés au besoin. En attendant, le Quai d’Orsay pourrait demander à celui qui a été condamné à vingt ans de prison à Abidjan pour « recel de détournement de deniers publics » de mettre de l’eau dans son vin. Pas sûr que l’ex rebelle tienne l’oreille attentive à ces injonctions.
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