COTE D’IVOIRE : Guillaume Soro à l’épreuve de son destin, l’étau se resserre, Gbagbo l’évite, Bédié s’en méfie

Malgré les mises en garde de quelques dirigeants africains, Soro n’entend pas cesser ses sorties intempestives. Alors que Bedié prend ses distances vis-à-vis de lui et que Gbagbo s’oppose à le recevoir à Bruxelles, il fait cavalier seul mais persiste. Forçant le réveil des vieux démons alors que le pays est résolument engagé sur la voie de la modernisation et de la croissance économique. Alexandre Benalla n’a pas pu lui obtenir les audiences souhaitées chez Sassou et Bongo. Mais en attente de l’issue du procès de putsch de Ouagadougou,  l’homme de Ferkessédougou est déjà à l’épreuve de son destin. Analyse !

Alexandre Benalla. Son nom prend tout son sens au cœur des affaires qui ont secoué ces derniers temps l’Élysée. C’est lui qui a essayé de rapprocher Guillaume Soro d’Emmanuel Macron sans y parvenir. « Le président français est très méfiant des personnages  sulfureux africains« , une manière sans doute pour l’énarque devenu chef d’Etat de ne pas se salir les mains. Benalla a tout de même réussi à faire inviter Soro à la convention de Lrem (La République en marche, parti au pouvoir) en juillet 2017. Mais depuis deux mois, cet ancien chargé de mission de l’Élysée tente le tout pour organiser une rencontre entre Denis Sassou Nguesso (Congo) et son ami Guillaume Soro, en vain. L’ancien chef rebelle ivoirien voudrait aussi profiter de la convalescence de Ali Bongo pour se rendre à Libreville, là encore, une fin de non-recevoir du président gabonais. En attendant, Soro n’a plus le choix, lui qui dit « éviter Abidjan et préférer la province » met en quarantaine sa mission de député pour continuer sa précampagne notamment dans le nord du pays, allant de village en village tel un touriste de luxe en safari politique. Mais la situation devient depuis peu, de plus en plus intenable. Isolé par les dirigeants africains, Bédié ne se bouscule point pour le recevoir alors que Gbagbo ne veut pas le rencontrer. Une situation qui n’arrange pas celui qui attendait un sursaut national autour de son projet présidentiel.

L’ex rebelle persiste et signe

Entamée depuis février, juste au lendemain de son départ précipité de la tête de l’assemblée nationale, la tournée de Guillaume Soro qui vient de prendre fin a duré trois mois. Chaque jour, dans un village perdu du septentrion ivoirien, il multiplie des rencontres, faisant des déclarations parfois incendiaires, souvent à la limite de la provocation. Quand ça lui prend, quelques révélations sur la rébellion qu’il a menée au nord du pays. En avril, il a dû déblatérer des contenus d’échanges qu’il aurait eus avec le secrétariat d’Etat américain sur ceci ou cela. Comme si affolé par sa perte de pouvoir et les privilèges y afférents, plus rien n’était interdit pour prendre sa revanche et surtout, crédibiliser son récit de ce que lui-même appelle « la guerre de libération« . Il devrait, à la prochaine rentrée politique (octobre-novembre), lancer un véritable parti politique auquel il travaille, pour disposer d’un instrument lui permettant de briguer la magistrature suprême. En attendant, il préside son « Comité politique » qu’il a lancé et peut compter sur le Rassemblement pour la Côte d’Ivoire qui regroupe ses amis et soutiens. En même temps, celui qui est bien tenté par une tournée vers la diaspora ivoirienne use de ses contacts pour s’assurer de ce qu’il « ne risque rien » en se rendant en Europe et en Amérique. Il craint, à raison, que ses démêlés avec la justice française ne le rattrapent. Pire, alors que sans doute pour des raisons de génération,  Soro entretenait de bonnes relations avec Charles Michel, l’ivoirien peine à renouer les contacts avec le belge. Le premier se réclamant d’une gauche vague et imprécise, le second étant président le Mouvement réformateur (Mr) une alliance de droite et de centre droit, les deux hommes partageaient des amis en commun. Depuis, silence radio du côté du Premier ministre de la Belgique. Mais tout cela ne décourage en rien Guillaume Soro, prêt, comme à son habitude, à des accords même contre-natures pour briguer la présidentielle d’octobre 2020.

Bédié s’en distancie, Gbagbo refuse de le recevoir

1er février dernier. Laurent Gbagbo, après près d’une décennie, a été libéré par la Cour pénale internationale (Cpi). En bon opportuniste, Guillaume Soro avait tout de suite saisi la bonne occasion. A peine l’ancien président ivoirien libre que son ex Premier ministre annonce publiquement vouloir le rencontrer. « Si Laurent Gbagbo le désire et j’en ai déjà fait l’appel, je le rencontrerai sans hésitation » a-t-il précisé, quelques jours après avoir perdu le perchoir de l’assemblée nationale. Depuis, au-delà de deux tentatives d’échanges téléphoniques qui ont échoué, Soro a fait parvenir au fondateur du Front populaire ivoirien (Fpi) à Bruxelles un message écrit pour une rencontre sans réponse. C’est sans compter avec le fait que, en contentieux avec la justice française, il est de moins en moins prudent pour Soro de s’aventurer en espace schengen où une interpellation est plus que plausible. Dissuadé par Charles Blé Goudé, l’ancien président veut éviter de s’afficher avec celui qu’il considère encore comme un traitre d’autant qu’il en avait fait aussi bien ministre de la défense que Premier ministre. Si, dans la foulée de son départ, le président du Comité politique (Cp), aléatoire mouvement qu’il a mis en place, a été accueilli pompeusement par Henri Konan Bédié, les relations entre les deux hommes se refroidissent. Non seulement le Sphinx de Daoukro n’entend pas soutenir celui qu’il appelait encore son fils pour la prochaine présidentielle, mais le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) ne veut pas franchir le Rubicon  avec Alassane Ouattara, de peur de perdre des privilèges à lui accordés par l’actuel chef d’Etat dont la résidence de Cocody à laquelle il tient tant.

Les dirigeants africains l’isolent

L’aventure Soro peine à avoir des soutiens, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Si plusieurs chefs d’Etat africains, que ce soit le roi Mohamed VI ou Ibrakim Boubacar Keïta ainsi que Rock Kaboré et Alpha Condé ont tous tenté vainement de le calmer, Faure Gnassingbé lui ne veut plus lui parler. Pourtant, les deux hommes avaient de bonnes relations. Au moment où l’ancien leader de la Fédération des étudiants et scolaire de la Côte d’Ivoire (Fesci) n’était qu’à la tête d’une rébellion, il a su en son temps compter sur le soutien habile et discret de Gnassingbé Eyadema, ancien président du Togo et père de l’actuel. A l’époque, Faure Gnassingbé qui était encore jeune député a entamé avec le gauchiste ivoirien des relations cordiales qui sont, au fil du temps  devenues amicales. Depuis, le téléphone sonne en l’air à Lomé II. Profitant du moment de convalescence de Ali Bongo, Soro a vainement tenté de le rencontrer. Le lobbying de Alexandre Benalla auprès de plusieurs palais tropicaux n’ont pas non plus porté leurs fruits. Alors que Guillaume Soro qui sait mieux que quiconque qu’une présidentielle se gagne aussi grâce au nerf de la guerre aura du mal à avoir le confort financier indispensable à une telle aventure. D’autant qu’à Abidjan, les services secrets le tiennent à l’œil.

Le Burkina, l’autre guêpier qui le guette

Le procès en cours à Ouagadougou pourrait finir de plomber le prince Senoufo. Son nom revient sans cesse. Il y a son échange téléphonique avec Djibril Bassolé, ancien ministre des affaires étrangères qui en dit long. Mais aussi d’autres déclarations concordantes dont celle de Chérif Sy accablent Guillaume Soro dans ce coup d’État manqué de septembre 2015 qui avait fait 14 morts et 270 blessés. L’ancien président du conseil national de transition confie que  Guillaume Soro avait lui-même reconnu l’authenticité de l’échange. Si Bassolé évite tout commentaire sur ce qui est apparu comme la pièce centrale du dossier, un concours apporté par la CIA confirme, dans un document à la disposition de la justice « la voix de Soro« . Néanmoins, si Hermann Künzel dit ne pas pouvoir « authentifier la source des écoutes incriminées, que la justice militaire lui avait remises » l’expert allemand en investigation acoustique conclut qu’il ne s’agit pas de son « truqué ou monté ». Ce qui, pour Soro, ajoute de l’eau sur de l’huile. Le procès connaît une trêve, mais il pourrait fragiliser très rapidement l’ancien ministre ivoirien de la défense. Soro semble y être très impliqué et l’issue du procès le mettra davantage en difficulté sur le plan international, mais aussi dans l’opinion nationale ivoirienne.

En attendant, Soro utilise ses derniers contacts au pays des hommes intègres pour minimiser son rôle dans ce putsch. Sauf que le contexte de menaces terroristes dans les pays côtières depuis que le Burkina Faso est débordé et le souci de maintenir la croissance économique de la Côte d‘Ivoire semblent éloigner de lui toute chance. Encore faudrait-il qu’il fédère du monde autour de son projet. Mais son instabilité et sa permanente duplicité peuvent aussi jouer contre celui qui a justifié il y a peu l’extradition de Gbagbo vers la Cpi avant de lui demander pardon récemment. Sans un éventuel rapprochement avec Bédié, Gbagbo ou Blé Goudé, Soro qui est parti en solitaire sans bousculer le Rhdp (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix), au pouvoir, ne sera que l’ombre de lui-même.

Afrika Stratégies France, Paris

 

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