COMORES : ça dégénère après le coup d’Etat constitutionnel

Depuis le 15 octobre, l’île d’Anjouan aux Comores est en ébullition. La tension monte entre Azali Assoumani et les élus d’Anjouan qui avaient appelé pour le lundi 15 à une « journée île morte pacifiste avec des barricades sur les routes ». Des armes ont circulé. Trois personnes ont été tuées mardi. L’armée est intervenue. L’Union de l’opposition « exprime son soutien total à la population anjouanaise dans ce soulèvement spontané pour manifester son refus des emprisonnements arbitraires, du musellement de la presse, de la confiscation de toutes les libertés, de l’instrumentalisation de la justice, du bafouement de l’autonomie des îles, du piétinement de toutes les institutions de la république ». Elle affirme que « la dictature appelle la résistance ».

Cela rappelle étrangement l’instabilité de l’archipel entre 1989 et 2001. Depuis 2006, le pays a connu douze années de régime démocratique relativement paisible. Inquiètes, l’Onu, l’Union africaine, l’Union européenne et la France appellent maintenant au calme et au dialogue. Mais un nouvel état africain en démocratie retourne en arrière dans son processus de démocratisation, dans une dé-démocratisation et plus exactement une dictatorisation relativement organisée. La cause est une nouvelle fois une modification de constitution en l’absence de consensus et pour un intérêt personnel. Le journaliste et chercheur Régis Marzin analyse la crise née du détournement du processus électoral du référendum constitutionnel et alerte sur les conséquences logiques de ce coup de force, qui commence à apparaitre au grand jours.

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COMORES : ça dégénère après le coup d’Etat constitutionnel

L’archipel des Comores propose aux regards des observateurs une confrontation et relation inédites en Afrique entre élections et évolution de régime politique. Un mouvement rapide vers un régime dictatorial y apparaît au travers du mensonge officiel sur la participation au référendum constitutionnel du 29 juillet 2018.

De manière originale, le chef de l’Etat, Azali Assoumani, a mené une sorte d’inversion du résultat d’une consultation de la population lors d’un référendum constitutionnel, un type de scrutin en général peu conflictuel. Le mensonge officiel propagé internationalement et dans les media, malgré une certaine remise en cause, est essentiellement celui d’un taux de participation fictif de 62,71%, cachant la réalité du boycott visible sur le terrain, alors que la contestation touche tout autant le pourcentage officiel de oui à 92,43%.

Après avoir appelé au boycott en constatant les conditions d’organisation, l’opposition autour des partis Juwa et Union pour le développement des Comores (Updc) ou du mouvement «Amani ya Comores» des 5 partis Cran, Mdc, Mouroua, Psn et Undc, a dénoncé une élection digne d’une dictature le jour du vote et à la compilation des résultats. La conférence de presse des seuls observateurs présents, ceux de la Force en attente de la région Afrique de l’Est (EASF) a été annulée et ces observateurs ont été poussés à quitter le pays. Ils ont signalé que « les représentants des partis n’avaient pas été autorisés à signer les procès-verbaux ». Des fonctionnaires participant au recueil des résultats ont dit avoir été menacés de licenciement s’ils ne rapportaient pas des résultats allant dans le sens d’un oui massif.

En réalité, le taux de participation est a priori très bas. Dès le 31 juillet, le gouvernorat de l’île d’Anjouan (Gouvernorat de l’île autonome de Ndzuwani) a annoncé un taux de participation de moins de 6% à Anjouan. L’île compte à peu près 31% de la population de l’archipel. Les villages qui ont votés seraient surtout ceux des dirigeants. Un témoin repris par RFI indique « Il y a une seule personne de notre localité qui s’était présentée pour voter, le maire de notre commune et c’est le seul. Or on a vu un chiffre de 200 personnes qui ont voté, je suis étonné ». Les militaires se sont affichés anormalement et le gouvernorat de l’île d’Anjouan a dénoncé « un état de siège de fait de la part des forces armées ». Soit des urnes ont été bourrées, soit les procès-verbaux ont été corrigés.

L’étrangeté réside dans le fait que le président n’est pas arrivé au pouvoir par une méthode de dictateur mais par une élection dans un fonctionnement démocratique en 2016. Entre 2006 et 2017, l’archipel des Comores pouvait être classé dans les démocraties d’Afrique connaissant des processus électoraux corrects ou presque. L’espèce d’inversion de résultat du référendum marquera sans doute bientôt le retour à l’instabilité constitutionnelle et politique des années 1990-2005, qui correspondait à une impossibilité de réaliser correctement une transition vers la démocratie.

Cette inversion de logique du résultat est aussi une sorte de « coup d’Etat constitutionnel » dénoncé, entre autres, par le Collectif de la troisième voie aux Comores. Azali Assoumani a pu trouver un modèle récent au Congo Brazzaville, où Denis Sassou Nguesso s’est permis de réaliser lui aussi un coup d’Etat constitutionnel le 25 octobre 2015, en inventant après un boycott évident des résultats fantaisistes, une participation 72,44% et un pourcentage de oui de 92,2%. Azali Assoumani a repris le chiffre de 92%.

Si Azali Assoumani était revenu au pouvoir démocratiquement élu en 2016, il n’y était pas arrivé de la même manière en 1999, puisqu’alors colonel, il avait réalisé un coup d’Etat militaire le 30 avril 1999. Le 17 février 2001, l’accord-cadre de réconciliation nationale, dit « Accord de Fomboni » était signé. Cet accord a mis fin à la sécession depuis 1997 d’Anjouan et de Mohéli. Ensuite, le référendum constitutionnel du 23 décembre 2001, a, par une victoire du oui à la nouvelle constitution à 76,99%, mis en place une présidence tournante.

En 2018, le débat sur la modification de la constitution a été mené sans le consensus nécessaire, comme le souligne l’Union européenne en parlant le 31 juillet du besoin de « consultation inclusive sur les changements constitutionnels ». Une mission de l’Union africaine a échoué fin juin à relancer le débat après une polémique sur un rapport censuré de l’Ua.

La liberté de la presse a été remise en cause avant et après le jour du vote. Le 8 août, Reporters sans frontières (RSF) a « dénoncé une multiplication inédite des atteintes à la liberté de la presse ces dernières semaines aux Comores ». Des manifestations ont été réprimées, en particulier à la suite de la suspension de la Cour constitutionnelle fin avril. Des politiques ont été arrêtés, dont le secrétaire général du parti Juwa, Ahmed Hassane El-Barwane. L’ancien président Ahmed Abdallah Sambi a été placé le 19 mai en résidence surveillée et l’est resté jusqu’à ce jour.

La réversibilité du processus de démocratisation a commencé à apparaître à partir de 2016. Après sa victoire, le président a dissous en 2016 la Commission nationale de prévention et de lutte contre la corruption (Cnplc) puis en 2017, la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés (Cndhl). En amont du référendum, le chef de l’état et son gouvernement ont fait pression sur la société civile. De la corruption de politiques et de magistrats a sans doute aussi été employée.

Le référendum de 2018 supprime la présidence tournante par île et le vote réservé au premier tour aux électeurs de l’île concernée. En cela, la nouvelle constitution trahit l’« Accord de Fomboni », dans l’objectif affiché de simplifier la structure de gouvernement et de limiter les coûts. Un anjouanais devait prendre la présidence en 2021. La nouvelle constitution pourrait surtout relancer l’instabilité, avec les anjouanais en particulier, en les poussant de nouveau à la sécession. Son gouvernorat considère le référendum comme « illégal », « nul et non avenu ». C’est pourquoi, l’Ue, le 31 juillet a « appelé au respect de l’accord de Fomboni».

La nouvelle constitution supprime la limitation à un mandat de 4 ans, unique en Afrique, associée à cette présidence tournante. Azali Assoumani décide unilatéralement de remettre à zéro son compteur de mandats, ce qui pourrait lui permettre de rester au pouvoir jusqu’en 2029 au lieu de 2021. Les Comores passent à la norme africaine de 2 fois 5 ans, une norme positive pour la démocratisation de l’Afrique, mais y arrivent dans des conditions de recul de la démocratie. La nouvelle constitution enlève également les trois postes de vice-président et la Cour constitutionnelle, un contre-pouvoir essentiel jusqu’à présent, et introduit l’islam ‘sunnite’ comme ‘religion d’État’.

Ainsi, la perspective d’un maintien au pouvoir du chef de l’Etat jusqu’à 2029 s’énonce déjà de la même manière que dans une dictature d’Afrique, dans laquelle s’appliquerait la ‘règle des élections en dictature stable’, celle des élections organisées uniquement pour être gagnées. Azali Assoumani ne manque pas totalement d’expérience puisque le 17 mars et 14 avril 2002, après son coup d’Etat de 1999, il avait fait organiser une élection au processus électoral détourné, dont le second tour avait été boycotté.

La présidentielle a été avancée de 2021 à 2019. Comme au Congo Brazzaville en 2015 et 2016, si le processus électoral est organisé dans les conditions du processus électoral du référendum, le régime pourrait confirmer une dégradation au stade de dictature. Dans ce cas, la probabilité de voir se multiplier les actions de détournement du processus électoral en amont sera importante, autour du contrôle de l’organisation du processus électoral, de l’empêchement du débat démocratique et de la répression, de la désorganisation de l’opposition entre autres par des emprisonnements, ou encore du déséquilibre des budgets de campagne.

En 2016, Azali Assoumani, candidat du parti Convention pour le renouveau des Comores (CRC) qui ne compte que 2 députés élus en 2015 sur 33 dont 24 élus en 2015, avait été élu président au second tour avec le soutien du parti Juwa d’Ahmed Abdallah Sambi, auquel il s’oppose maintenant. S’il souhaite détourner le processus électoral de 2019, son électorat étant réduit, la contestation sera maximale et l’augmentation du niveau de répression sera très visible. La poursuite d’un scénario de type congolais serait destructrice.

La déclaration du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) de l’Union européenne du 8 août, qui indique que « l’UE renouvelle son soutien aux efforts de l’Union Africaine en vue d’apaiser le climat politique, d’établir un dialogue inclusif et de favoriser un consensus sur les questions constitutionnelles », peut sans doute être compris comme un aveux d’impuissance. En outre, l’Union africaine n’est pas favorable à la démocratie en Afrique même si elle a essayé d’agir pour un dialogue inclusif aux Comores.

Sans doute que l’Ue dont l’aide publique sur les 5 ans du 11e Fond Européen de Développement (Fed) s’élève à 68 millions d’euros, utilisés pour « le développement durable des infrastructures de transports routiers et portuaires, la formation technique et professionnelle, le renforcement de l’Etat de droit, de la gouvernance administrative et financière », n’interviendra pas plus fermement après ses deux communiqués d’alerte.

L’Ue est aussi très sensible à la position française. Les dirigeants français, sans doute lucides sur la situation, à en croire l’engagement notable de RFI, ne sont pas en position d’agir à cause de Mayotte conservée en opposition au droit international. La crise entre les deux pays a repris et s’aggrave. Actuellement sont gelés à la fois les visas vers la France et la reconduction des sans-papiers depuis Mayotte. Suite au référendum, Azali Assoumani semble vouloir prendre comme thème de campagne pour 2019 la récupération de l’île de Mayotte.

Selon RFI toujours, le 7 août, « les résultats ont été entérinés par la Cour suprême, en présence de l’ambassadeur d’Arabie saoudite. Seul membre du corps diplomatique accrédité aux Comores à avoir été invité à assister à la proclamation des résultats, il représente le seul pays ami des Comores à soutenir ouvertement le président Azali Assoumani dans ce processus. »

Le 31 juillet, le gouvernorat de l’île d’Anjouan parlait d’emprisonnement et de torture. La situation dégénère puisque des arrestations se multiplient depuis l’annonce des résultats, par exemple sur une accusation de préparation de coup d’Etat assez énigmatique, puisqu’elle impliquerait un écrivain a priori inoffensif, Saïd Ahmed Saïd Tourqui.

L’archipel des Comores se retrouve aujourd’hui dans un processus de régression dictatoriale, une nouvelle dictatorisation. L’équilibre fragile entre démocraties et dictatures en Afrique sera impacté par cette nouvelle régression. En 2018, en Afrique, la perspective d’une bascule du côté d’un plus grand nombre de démocraties s’éloigne de nouveau provisoirement. La règle du jeu a été changée aux Comores de manière brutale et la qualité du processus électoral de la présidentielle de 2019 viendra ou non confirmer les plus graves inquiétudes.

Régis Marzin, Source: blog de régis Marzin avec version anglaise sur lequel vous trouverez plus d’informations:

Historique de la nature des régimes politique de l’Union des Comores depuis 1990

Historique des élections en Union des Comores depuis 1990

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