Cameroun : Joseph Dion Ngute dans le chaudron de la crise anglophone

Alors que le Grand dialogue national organisé par Yaoundé pour mettre fin à la crise anglophone s’est refermé il y a tout juste deux ans, le Premier ministre a débuté une tournée dans les régions frondeuses. Et l’accueil a été… mouvementé !

Il a pu prendre le pouls du Nord-Ouest dès les premiers instants de sa visite. Le 4 octobre, de passage à Matazem, une localité située non loin de la région de l’Ouest, la délégation du Premier ministre, Joseph Dion Ngute, a été accueillie par l’écho de tirs échangés entre les forces de défense camerounaises et des combattants séparatistes. La fusillade, qui provenait des collines environnantes, a débuté après la revue des troupes qu’effectuent traditionnellement les autorités en pareilles circonstances.

Selon des sources sécuritaires, elle n’était pas de nature à présenter une quelconque menace pour la délégation venue de Yaoundé, mais le chef du gouvernement a été immédiatement évacué vers la ville de Bamenda.

Renverser la situation

C’est dans ces conditions chahutées que Joseph Dion Ngute a ouvert la deuxième étape de son périple en zone anglophone après Buea, où il avait séjourné entre les 21 et 24 septembre. L’épisode l’a visiblement marqué. « Il est temps que nous récupérions notre territoire, que nous récupérions notre indépendan… notre souverain… notre dignité », a-t-il péniblement déclaré quelques heures plus tard devant les micros tendus de la presse. Un lapsus vite repéré par les indépendantistes, qui n’ont pas manqué de le relayer sur les réseaux sociaux, eux qui avaient promis de perturber son séjour.

Le Premier ministre réussira-t-il à renverser la situation et à tirer avantage de cette visite dans le Nord-Ouest ? Car s’il est à Bamenda, c’est pour expliquer aux populations l’ensemble des mesures prises par les autorités à l’issue du Grand dialogue national et juguler le conflit qui affecte cette ville et la région depuis quatre ans. « Beaucoup de choses ont été faites, malheureusement, nos populations ne sont pas toujours bien informées de tout ce qui se passe », a-t-il insisté.

LES IMAGES DES POPULATIONS DÉFILANT LE 1ER OCTOBRE A RAPPELÉ LA POPULARITÉ DONT JOUIT LA CAUSE INDÉPENDANTISTE

Comme il l’avait fait à Buea, Dion Ngute a vanté le statut spécial qui a été accordé aux régions anglophones en 2019 et dont la mise en oeuvre est en cours. Au rang des mesures prises et volontiers soulignées par les autorités, l’élection des premiers membres des conseils régionaux et de la house of chiefs, l’adoption d’un code des collectivités territoriales décentralisées et la nomination d’un médiateur dans chacune des régions.

Sauf que deux ans plus tard, la décentralisation – qui n’en est certes qu’à ses tout débuts – n’a pas mis fin aux violences. Et les images des populations défilant le 1er octobre – date symbolique de « l’indépendance » de l’Ambazonie, qui correspond en réalité à la réunification des deux Cameroun en 1961 – a rappelé la popularité dont jouit la cause indépendantiste dans ces régions. C’est pour cela que dans chacune de ses prises de parole, le Premier ministre a soin d’insister sur la nécessité de tourner le dos à la tentation sécessionniste.

Opinion publique exaspérée

Mais pour l’opposition, c’est parce que les décisions prises à l’issue du dialogue étaient insuffisantes que l’on est toujours dans l’impasse. « Le gouvernement ne s’est jamais fixé de délais pour la mise en œuvre des résolutions, affirme Jean Robert Wafo, du Social Democratic Front (SDF). En plus, leur caractère non contraignant n’est pas de nature à mettre les populations en confiance. »

« Le niveau de transfert des recettes de l’État aux collectivités décentralisés avait par ailleurs été fixé à 15 %, ajoute Wafo. On en n’est qu’à 7 % après deux exercices budgétaires. Dans le même temps, l’État central et les organismes qui lui sont rattachés continuent de concentrer près de 85 % des prélèvements obligatoires. »

Au cours de son séjour en zone anglophone, le Premier ministre devrait également examiner la question des Centres de désarmement, démobilisation et réintégration (CDDR). Depuis novembre 2018, Bamenda abrite l’un de ces espaces dédiés aux anciens combattants. Mais l’expérience peine à convaincre. En avril dernier, le directeur du centre a été kidnappé pendant plusieurs semaines avant d’être relâché. Fin septembre, deux pensionnaires sont décédés dans des conditions encore non établies, relançant la question de la sécurité des personnes qui y sont logées.

Joseph Dion Ngute achèvera sa tournée ce vendredi le 8 octobre, après avoir assisté à une réunion du comité de suivi de la mise en œuvre des recommandations du dialogue national. Sous le feu des critiques après la série de revers enregistrés par les militaires sur le front, le chef du gouvernement est particulièrement attendu par une opinion publique exaspérée par ce conflit interminable et meurtrier.

Afrika Stratégies France avec Jeune Afrique

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