Abderrahim Kassou ; « Être musulman m’empêche aucunement de restaurer des églises »

Il est marocain et musulman. Dans un pays où l’islam est religion d’état et que le christianisme est une minorité discrète, Abderrahim Kassou s’est illustré comme restaurateur des lieux de cultes chrétiens. Si l’architecte de 50 ans, formé à l’Ecole d’architecture de Paris La Villette compte des mosquées et des synagogues dans ses réalisations, ses rénovations des églises Sacré-Cœur (catholique) et Saint John (anglican) de Casablanca ont fait mouche. Ses émotions, ses approches, son expérience et ses projets, il en parle non sans rappeler que malgré la délicatesse du sujet, le fait d’être musulman n’influence que positivement ses liens avec ces lieux qu’il rénove. En marge d’une conférence à l’Institut de formations de prêtres et pasteurs, Al Mowafaka de Rabat, nous l’avons rencontré. Entretien avec Afrika Stratégies France.

Vous êtes architecte marocain de confession musulmane. Vous êtes le principal restaurateur des lieux de culte au Maroc notamment des églises. D’où est partie cette vocation ?

Nous nous intéressons à la restauration des édifices historiques et ayant un caractère patrimonial car il est important de les préserver comme témoignage du passé et comme héritage pour les générations futures. Les églises, au même titre que d’autres lieux de cultes, sont un témoignage de la diversité de notre pays, et à ce titre, il faut les préserver. Nous avons également travaillé sur des mosquées et sur des synagogues au même titre.

Avez-vous hésité à redonner vie à des églises compte tenu du fait que l’islam est tout de même une religion d’état dans votre pays ?

Aucunement, bien au contraire. D’ailleurs notre religion insiste sur l’accueil et la bonne relation avec les autres religions du livre. A aucun moment la religion n’a été un frein à notre action.

Quelles sont déjà, depuis que vous vous êtes retrouvé « restaurateur » de lieux de cultes, les églises catholiques et protestantes que vous avez rénové ou participé à construire ?

Il y a notamment l’Eglise catholique du Sacré Cœur ainsi que celle anglicane de Saint John. Sans oublier des participations mineures sur des projets similaires en ce qui concerne les églises de Figuig et de Beni Mellal. J’ai actuellement un projet de rénovation en cours de préparation pour l’église de Ain Aouda.

Le Maroc est un pays où les chapelles chrétiennes se comptent du bout des doigts. A quand remonte votre première visite dans une église et que ressent-on quand on est musulman en lieu de prière chrétien ?

J’ai grandi à Casablanca où les églises sont nombreuses. D’ailleurs mon école primaire contenait une chapelle carmélite. Certaines de ces églises sont toujours actives, d’autres sont devenues des lieux culturels. Une seule est devenue une mosquée, cette de Roches Noires.

Quand on est musulman et qu’on se retrouve à contribuer à la beauté de lieux de cultes non musulmans, se sent-t-on comme un instrument au service d’Allah ?

Sans doute, mais c’est également un service pour l’histoire de ce pays et pour ses générations futures. C’est une dimension importante dans toute restauration du patrimoine.

Est-il plus facile de travailler sur une église que sur un immeuble profane ?

C’est bien entendu plus difficile de travailler sur une église, en particulier si sa fonction future change pour ne plus être un lieu de culte. Il s’agit de respecter le lieu et son passé sacré et de le restaurer dans les règles de l’art, tout en le rendant apte à son usage futur. C’est un exercice complexe mais en même temps très passionnant.

Vous arrive-t-il d’avoir des moments de prière à l’endroit d’Allah par émerveillement sur les chantiers d’églises que vous restaurez ?

Les moments de recueillement sont nombreux devant ces merveilles. C’est valable également pour les monuments historiques de manière plus large.

Quelle surprise archéologique avez-vous déjà rencontrée dans votre travail de restauration d’églises ?

Lors de tous les chantiers des surprises existent. Il s’agit en particulier de découvertes techniques car nous n’avons pas toujours les anciens plans. Des surprises en termes de matériaux, ou des espaces insoupçonnés, voire des objets du passé peuvent être découverts comme des tessons de céramique ou des morceaux de livres anciens.

Quels sont vos prochains projets de restauration ou de contribution pour restaurer un lieu de culte chrétien ?

Nous sommes en train de préparer 3 chantiers. Le hasard a fait qu’il s’agit d’une mosquée, d’une synagogue et d’une église. Je ne saurais pas dire lequel démarrera en premier car ça dépendra de la mobilisation des moyens, mais la démarche de préparation est la même pour chaque cas.

Avez-vous des collaborations avec des architectes d’autres pays du monde, notamment occidentaux sur des travaux de restauration de lieux de culte ?

Oui bien sur, en particulier pour la restauration d’éléments spécifiques comme les vitraux. Ou avec des confrères qui sont dans des démarches similaires. Je pense par exemple à une consœur qui restaure la cathédrale de Sfax en Tunisie. Par contre, pour beaucoup d’aspects, nous avons au Maroc des artisans compétents pour les travaux.

Qu’est-ce qui vous a déjà marqué dans les méthodes ou l’architecture de construction des églises quand on sait qu’elles sont pour beaucoup multi-centenaires ?

Ce n’est pas le cas des églises du Maroc. Les plus anciennes datent du début du XXe siècle et beaucoup sont modernes. Ce qui fait leur intérêt d’ailleurs, car ces églises sont complétement intégrées dans les débats architecturaux de l’époque, raison de plus pour les préserver. Les églises sont également un témoignage de la diversité culturelle de ce pays car la présence d’églises catholiques, de temples protestants, d’églises orthodoxes grecques ou russes, en plus des églises italiennes et espagnoles ainsi que des nombreuses chapelles de quartier sont une trace des différentes cultures ayant marqué notre pays.

Propos recueillis par MAX-SAVI Carmel

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