TOGO : Comprendre le tripatouillage électoral en cinq questions réponses

Alors que Faure Gnassingbé n’a toléré que des observateurs qui lui sont favorables, excluant américains, européens et la très respectée Eglise catholique, l’excès de fraudes et d’irrégularité lui a assuré, à sa propre surprise, 72,36%. Soviétique et scandaleux score que dans la précipitation, sa machine n’a pu corriger. L’élection probante d’Agbéyomé Kodjo ayant amplifié les paniques. A travers cinq questions que vous vous posez, Afrika Stratégies France vous explique tout. Autopsie d’un scrutin tripatouillé aux vues et aux sues de tous. Décryptage et subtiles précisions.

Un taux de participation historiquement élevé avait fait penser à une victoire écrasante de l’opposition. Comment peut-il en être autrement d’autant que l’intérêt des Togolais pour les scrutins sous Faure Gnassingbé n’a cessé de dégringoler, tournant autour de 10% lors des législatives de décembre 2018. Le gouvernement avancera le chiffre surprenant de près de 40% alors que les bureaux étaient restés vides. Une participation élevée a toujours été, dans tous les rendez-vous électoraux, signe d’une volonté de changement. Le Togo fera l’exception et les chiffres provisoirement attribués par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) donnent le président sortant victorieux avec 72,36% et 27% pour les six autres candidats se réclamant de l’opposition dont le mieux parti, Agbéyomé Kodjo tourne autour de 18%. Il est apparu très vite évident que les bourrages d’urnes, l’inversion de résultats, le trafic de procès verbaux, le recours à de vieilles listes électorales par endroits et diverses pressions en sont pour beaucoup dans l’écrasante victoire du chef de l’Etat d’autant que deux jours avant le scrutin, le dernier rempart contre la fraude, le système SINCERE qui permettait l’acheminement électronique des résultats a été unilatéralement suspendu par la Ceni. Sous l’instigation du très controversé ministre de l’administration territorial, Poyadowa Boukpessi. Quelles formes ont pris les irrégularités ? Pourquoi Faure Gnassingbé ne peut pas remporter ce scrutin ? Qu’en pensent les chancelleries accréditées à Lomé ? Quelles issues pour la contestation ? Afrika Stratégies France essaie de tout vous expliquer à travers cinq questions et réponses.

Que disent les autres candidats ?

Le premier à réagir fut Jean Pierre Fabre. Opposant historique, le gestionnaire de 67 ans n’a pas attendu les premiers résultats avant de jeter l’éponge et de constater que « les candidats de Mpdd et de Unir sont en tête » des votes. Dans la foulée, Agbéyomé Kodjo arrivé officiellement en 2e position et Jean Pierre Fabre se sont parlé. Deux jours plus tard, l’Alliance nationale pour le changement publiera un second communiqué pour contester les résultats. Et pour cause, si Fabre reconnaît ne pas faire partie du duel de tête, il s’insurge contre des « résultats fabriqués », Faure Gnassingbé qui avait déjà tenté de l’empêcher d’être élu maire de Golfe 4, commune du centre ville de Lomé, a insisté, selon plusieurs témoignages pour qu’il n’obtienne pas les 5% nécessaire « pour être remboursé de la moitié de sa caution de 20 millions (30.000 euros, Ndrl) ». Conséquence, il se retrouvera avec 4,6% contre près de 35% lors de la dernière présidentielle, celle de 2015. Une dégringolade qu’aucun analyste politique ne peut expliquer. Arrivé en 4e position, Aimé Gogué a d’abord reconnu la « percée » de Agbéyomé Kodjo avant de contester la victoire de Faure Gnassingbé, reconnaissant de facto celle de son ancien étudiant. L’émérite professeur d’université notera la  » généralisation des bourrages d’urnes dans la très grande majorité des bureaux de vote sur toute l’étendue du territoire » indexant particulièrement les régions Centrale et de la Kara (où Faure Gnassingbé oscillait entre 70 et 95% par endroit) et celle des Savanes, fief historique du président de l’Alliance démocratique pour le développement intégral. Le professeur Wolou, arrivé en 5e position, le rejoindra avec les mêmes constats. Seuls les deux derniers candidats de la liste, Tchassona et Kouessan ont voulu, comme en doutaient les observateurs, faire le jeu du pouvoir soit en « prenant acte » soit en appelant les populations à ne pas manifester contre les résultats. Il se dessine donc globalement, dans les réactions des principaux candidats que Agbéyomé Kodjo est largement en tête du scrutin.

Quelles sont les différentes irrégularités ?

Au-delà des irrégularités classiques en amont, notamment la corruption du ficher électoral par un gonflement du nombre d’électeurs, il y a de la fraude classique. Dans plusieurs localités du pays notamment dans l’extrême nord, des représentants du candidat Agbéyomé Kodjo ont été chassés des bureaux de vote et remplacés, le plus souvent par des militants locaux de la majorité présidentielle. Il y a naturellement les bourrages d’urnes auxquels Faure Gnassingbé habitue, sur les traces de son feu père, les Togolais avec des vidéos de bureaux de vote où les bourrages se font en plein air. C’est le cas de plusieurs bureaux de vote, dans le nord ouest du pays où un individu a passé une demie heure à voter, à lui seul, plusieurs dizaines de bulletins en faveur du président sortant avant d’aller les poser dans l’urne sous le regard à peine agacé des membres du bureau. Tournée en bourrique sur les réseaux sociaux, la vidéo d’un jeune électeur qui a glissé allègrement ses deux bulletins a fait du buzz. Sur plus de 3000 bureaux de vote sur les 9375 que compte le pays, les résultats sortis des urnes et affichés sur les tableaux des dépouillements ont été remplacés par d’autres ou simplement inversés. Dans un bureau de Assoli, préfecture hostile à Faure Gnassingbé, les 135 votants de Agbéyomé Kodjo ont été attribués au chef de l’Etat dont les 39 votants ont remplacé, par un coup de magique, le score attribué à Agbéyomé Kodjo. A cela, faudrait-il ajouter les 450 bureaux fictifs dénombrés par la coalition Dynamique Mgr Kpodzro ainsi que le nombre de votants dépassant largement celui des inscrits dans au moins « 5% des bureaux de vote » selon des procès verbaux du staff de Agbéyomé Kodjo en notre possession. Il ne faut pas négliger non plus l’achat de conscience qui a prévalu le jour du vote contraignant des votants, notamment dans la Kozah, le Kpenjal et l’Oti, à apporter une photo de leur vote prise avec leur smartphone contre 1000 à 2000 f Cfa (1,5 à 3 euros), ce qui représente 2 à 4 jours de revenus dans ses milieux ruraux.

Pourquoi le score du président sortant scandalise les chancelleries ?

Pour plusieurs raisons. D’abord, la candidature de Faure Gnassingbé à un 4e mandat a suscité trop de frustrations et de contestations dans l’opinion nationale. Un sondage très sérieux de Afrobaromètre dit que seulement un togolais sur quatre souhaite que le président au pouvoir depuis 2005 ne soit candidat en 2020. Pis encore, 64% des militants de son parti, Union pour la République (Unir) lui préfèrent une retraite politique. Malgré cela, mieux qu’en 2015 où, alors que le contexte lui était plus favorable, Faure Gnassingbé a réalisé 58%, il finira, cette fois-ci, à 72,36% soit 7,5 togolais sur 10. Ce qui devrait, si l’intelligence n’avait pas déserté le forum, faire sourire même le principal intéressé. Les français n’y comprennent rien, les Américains expriment leur agacement à travers un communiqué et l’Union européenne qui a été empêchée de déployer des observateurs ne s’en revient pas. lors de la dernière présidentielle, le président sortant avait fait autour de 58%. Depuis, les deux scrutins intermédiaires (législatives et municipales) n’ont pas fait vague et l’abstention pour chacune est restée très élevée (officiellement autour de 60%, en réalité plus de 80% pour les législatives). Depuis la dernière présidentielle, le Togo a connu, durant deux années, une crise politique avec des soulèvements qui ont embrasé tout le pays et des manifestations monstres au cours desquelles au moins 40 personnes ont été tuées, le plus souvent par les forces de l’ordre. L’inflation est galopante, la pauvreté presque endémique avec la précarisation des systèmes éducatif et sanitaire. Comment expliquer autrement que comme une volonté de changement l’immense mobilisation des Togolais lors de cette dernière présidentielle ? Il est ahurissant que le pouvoir ait pu penser que ces foules sous tensions dans les bureaux de vote y étaient pour plébisciter un chef qui, après trois mandats, chantait encore des promesses, incapable du moindre bilan.

Les Américains seuls peuvent-il faire quelque chose ?

L’ambassadeur des Etats-Unis à Lomé a publié rapidement un communiqué, se désolidarisant des autres représentations occidentales (France, Allemagne, Programme des nations unies pour le développement, Union européenne) avec lesquelles il constituait le légendaire G5. Mais dans la réalité, à part la mise sous éteignoir de certains stratégiques programmes militaires, Washington ne pourra pas faire grande pression sur le régime sans des actions concertées des autres puissances. Si le président français s’est refusé de recevoir Faure Gnassingbé depuis qu’il est au pouvoir, faisant de lui l’unique chef d’Etat de la sous-région à ne franchir le perron de l’Elysée en visite officielle depuis 2017, il n’a pas voulu afficher non plus un soutien clair à Agbéyomé Kodjo. Mais en cas de conflit, la France pourrait prendre la voie de la démocratie d’autant que par son expérience et sa posture, Agbéyomé Kodjo devrait pouvoir maintenir une armée efficace contre le terrorisme qui hante la diplomatie française ces dernières années. Les Allemands font la sourde oreille face à la crise que connait le Togo depuis des décennies et alors que le système des Nations Unies est totalement impuissante, le Vatican aurait pu jouer un rôle important d’autant qu’un prélat est impliqué dans le processus, soutenant un candidat et que Faure Gnassingbé entretient avec l’Etat pontifical de bonnes relations. Mais obstiné, accroché au pouvoir dont il tient aux crocs les parties jouissives, entouré d’une baronnie qui a fait du mépris et de l’arrogance leurs marques de fabrique, le président togolais ne peut fléchir que face à une forte mobilisation. Ou à une détermination organisée de la diaspora qui est majoritairement acquise au candidat Agbéyomé Kodjo. Mais en attendant, encore faudrait-il que les autres candidats malheureux de l’opposition fassent bloc autour de celui de la Dynamique Kpodzro… Et de cela, nous sommes encore bien loin.

Quelles issues pour les recours de l’opposition ?

Ils n’ont que très peu de chance d’aboutir à quelque chose d’autre que la confirmation des résultats provisoires. Et pour cause, sur les 17 membres de la Ceni, 15 sont nommés par le chef de l’Etat, l’administration dont il a le contrôle ou des partis qui le soutiennent notamment l’Union des forces de changement (Ufc) de l’historique opposant devenu triste épouvantail du régime, Gilchrist Olympio et le Nouvel engagement togolais (Net) du jamais trop net transfuge Gerry Taama. A la cour constitutionnelle, les sept membres ont été tous nommés par le président sortant et son parti, à quelques jours du scrutin contre neuf prévus par la constitution. Ainsi, Faure Gnassingbé tient fermement les deux principaux leviers du processus électoral. Dans ces conditions, l’opposition n’a aucune chance de s’en sortir par la voie légale. C’est d’ailleurs pour cette raison que Gilbert Bawara, ministre proche de chef de l’Etat recommande à Agbéyomé Kodjo de saisir une cour constitutionnelle érigée en épicerie du régime. La seule vraie issue reste une mobilisation populaire qui, comme celle de 2017, secoue le pouvoir, ce qui est improbable du simple fait que pris de court il y a deux ans, Faure Gnassingbé a militarisé son système et mis aux aguets ses forces de l’ordre avec un seul mot d’ordre, « la répression ! » sans scrupule, ni bornes.

Une chose est certaine, connaissant le candidat Kodjo et sa fougueuse détermination, ce n’est que le début d’une crise, aux rebondissements incertains.

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