L’un ancien ministre de l’intérieur, l’autre de l’administration territoriale, ils partagent une origine « nordiste » commune qui peut être un avantage. Face à l’impasse dans laquelle plonge la crise togolaise, l’un comme l’autre peuvent être, à divers degrés, des recours contextuels et/ou complémentaires. Décryptage!
Novembre 2017. Au plus fort de la crise politique, Nana Addo Akuffo, président du Ghana voisin reçoit Boko à Londres. Deux longues rencontres avec en intermède une séance de travail entre Boko et la délégation ghanéenne. Les deux hommes conviennent de ce que l’ancien ministre de l’intérieur publie un communiqué, « s’il le souhaite ». En marge, l’ex saint-cyrien remet un « mémorandum bien élaboré » à la délégation du Ghana. Quelques jours plus tard, à Accra, Pascal Bodjona est reçu au Palais présidentiel. L’ancien ministre de l’administration, depuis en disgrâce auprès du régime s’est fait discret sur l’entrevue, à part quelques fuites orchestrées dans la presse. Depuis, l’un et l’autre discutent régulièrement de la crise avec le président ghanéen d’autant qu’au-delà de leurs relations personnelles avec Nana Addo, l’idée d’une issue à la crise qui passe par des anciens barrons du régime semble, ici et là, s’imposer. Seront-ils des recours solitaires ? Une option de complémentarité est-elle envisageable ? Ou, doivent-ils, l’un comme l’autre, venir en appui à une opposition qui s’essouffle ? Toutes les options sont ouvertes mais certaines semblent plus idoines que d’autres.
François Boko, une solution venue d’outre-exil
Mi-septembre dernier. François Esso Boko a eu deux séances de travail en quelques jours d’écart, entre Elysée et Quai d’Orsay. De chaque côté, évidemment, la persistante question de la crise togolaise. L’ancien Saint-cyrien a réussi à faire durcir « le ton » de la diplomatie française et à s’assurer que « Paris ne cède pas et que Macron ne reçoive pas Faure Gnassingbé » malgré la « médiation » de Ségolène Royal, ancien candidate socialiste à la présidentielle de 2007. Selon plusieurs sources dans son entourage. Depuis, et face à l’enlisement de la crise, de plus en plus de réseaux locaux et de chancelleries sondent un recours à François Akila Esso Boko. A 53 ans, l’ancien ministre de l’intérieur et avocat en exil à Paris hésite alors que la pression n’aura jamais été aussi forte. Il a de multiples avantages. Son passé militaire, colonel, dans l’armée togolaise, son origine kabyè (ethnie du président togolais et sur laquelle repose en partie le pouvoir), et surtout, ses contacts diversifiés aussi bien parmi les chefs d’Etat africains que dans des organisations internationales. Il a été d’ailleurs, bien longtemps, consultant de l’Union européenne. Il peut aussi compter sur ses entrées subtiles au sommet des services secrets français ainsi des informations rares qu’il reçoit et qui structurent son idée de la crise que traverse son pays. Dans un pays où les officiers sont souvent accusés d’avoir du sang sur les mains, il sonne « clean », ce qui suscite une certaine sympathie dans les milieux de droits de l’homme et les médias internationaux. Brillant Saint Cyrien de la promotion Général Monclar, un Diplôme d’études approfondies (DEA) de droit puis un doctorat en science politique à Paris 1, c’est un stratège pragmatique et un intellectuel chevronné qui a dû prendre la tangente à la veille de la présidentielle de 2005, craignant un massacre qui aura malheureusement lieu. 400 morts au moins selon l’Onu. Mais sa plus grande force est ailleurs, son abnégation désintéressée si tant est qu’on peut sortir de la crise. En février 2010, il initie et réussit le Front républicain pour l’alternance et le changement (Frac) pour soutenir la candidature de Jean Pierre Fabre. « Je m’en fous de par qui ça tient, je veux l’alternance pour mon pays » insistait-il à l’époque. Au lendemain du 19 août 2017, il a convaincu Fabre d’accepter la main tendue de Tikpi Atchadam, déclencheur de la nouvelle vague de manifestations. Ouvert et anti-tribaliste, il peut compter sur des leaders de tous les camps mais aussi sur des médias réputés proches de l’opposition. Dans une situation où l’armée tient les reines, « il est celui qui saura leur parler » et reste, sans doute la meilleure option pour Faure Gnassingbé qui peut ainsi sortir par la grande porte. Mais encore faudrait-il convaincre celui qui hésite à s’engager. Et préfère, comble de l’humilité militaire, soutenir « le mieux parti pour nous sauver« .
Pascal Bodjona, le larron
Depuis mi-novembre, il séjourne en France. « Une manière de préparer son avenir dans le contexte togolais » selon plusieurs sources proches de Pascal Bodjona qui reste très discret à Paris où il évite tout contact avec la presse. Disposant de quelques bons « tuyaux » dans l’hexagone, il veut profiter d’un check-up de routine, en compagnie de son épouse, pour évoquer la crise togolaise. Homme de terrain, rusé et malicieux, l’ancien directeur de cabinet de Faure Gnassingbé est un véritable animal politique. A qui profitent des fragilités dans l’entourage présidentiel. « Il en a parmi nous qui pensent qu’on peut procéder autrement » esquive un ministre en fonction qui, recouvrant l’anonymat, pense que « Unir peut envisager un candidat autre que Faure Gnassingbé en 2020« . Si Affoh Atcha-Dédji, directeur de Togocom et Kodjo Adédzé, patron de l’Office togolais des recettes (Otr) tous vice-présidents du parti au pouvoir et gros argentiers du régime tiennent la tête de lice pour une succession sans Faure Gnassingbé, d’autres encore pensent aux vieilles gloires du système. Pascal Bodjona fait partie de ceux dont, dans cette hypothèse, les noms reviennent incessamment. S’il a l’avantage de connaître à fond le régime et surtout, de pouvoir ratisser même au sein de l’opposition, l’ancien ambassadeur du Togo à Washington souffre de l’ambigüité qu’il entretient sur son statut actuel. Il n’a jamais, même au plus profond de la crise osé prendre publiquement position, jouant sur le chaud et le froid. Pis encore, il doit gérer de fortes détractions parmi ses amis d’hier. Mais au-delà, et contrairement à d’autres, « il n’a pas su quitter le système avant d’en être expulsé » regrette l’un de ses congénères au gouvernement. « S’il n’avait pas été mis dehors, Pascal serait sans doute au service de Faure Gnassingbé à en défendre le pouvoir pendant ces moments durs » a vu juste l’un de ses proches. Bodjona doit se placer d’un côté et surtout, expliciter sa position sur l’échiquier pour ne plus être assimilé à l’opportuniste dont il endosse la posture. Ce flou entretenu a refroidi ses relations avec certains de ses amis de l’opposition qui lui reprochent « un manque de courage et de décision« . Mais Pascal Bodjona a un avantage, il sait gérer les situations de crise et surtout, sa générosité naturelle lui garantit une sympathie dont il pourra profiter au bon moment. Mais en attendant, il se doit d’étoffer son réseau à l’international mais aussi, convaincre les Togolais qui lui reprochent d’avoir contribué à imposer Faure Gnassingbé en 2005. Mais une candidature de l’ex porte parole du gouvernement devrait égratigner sérieusement l’électorat du parti au pouvoir. A défaut d’être crédible pour une issue viable et consensuelle, Pascal Bodjona ferait un bon faiseur de roi en 2020.
A la rescousse de l’opposition
Depuis le début de la crise, le régime avait promis de se soumettre à toutes les recommandations de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’ouest (Cedeao). Mais en ce qui concerne les options constitutionnelles que l’organisation régionale met sur la table, le parti au pouvoir cherche un contournement. Alors que l’expert constitutionnaliste entend « décompter » le mandat en cours des deux mandats présidentiels possibles, Faure Gnassingbé veut pouvoir mettre le compteur à zéro et s’octroyer deux nouveaux mandats. Jusqu’en 2030. Scandale ! clame l’opposition qui a boudé le débat parlementaire prévu à cet effet. Depuis, l’horizon s’assombrit davantage pour une opposition dont l’unité ne tient plus qu’à peu de choses. Elle tient certes le coup malgré le mépris du système et les tentatives de division qui ont jusque là échoué l’une après l’autre. Si le retour de Boko au Togo peut poser quelques problèmes et que Bodjona peine à s’imposer en leader indépendant du pouvoir, l’un et l’autre peuvent soutenir l’opposition. Dans la situation actuelle, la voix de ses deux leaders peut booster la lutte et occasionner une issue au sein même de l’opposition traditionnelle. Sauf que les Togolais font de moins en moins confiance à leurs leaders. A 66 ans, Fabre joue son dernier tour de cartes et d’autres vieux crocodiles comme Agboyibo mènent encore, à plus de 80 ans, la danse. Ce qui ne peut que discréditer une opposition qui, depuis 30 ans, fredonne ma même rengaine, en espérant, comble d’ironie, une sonorité différente.
A défaut d’une volée à la rescousse de l’opposition et si chacun faisait abstraction de son égo, la solution peut venir d’ailleurs. Et mieux que quiconque, sur cette perspective, François Esso Boko est sans doute, largement en avance. Encore faudrait-il qu’il accepte de mettre en quarantaine son confort occidental pour faire l’ultime combat. En attenant, Yark Damehame se demande, « comment rejoindra-t-il le territoire national » ? Et à cette question, le ministre de la sécurité a sa réponse, sous forme d’une mise en garde, « j’attends de voir ».
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