SÉNÉGAL : Après la mort de Tanor Dieng , qu’en sera-t-il du Parti socialiste sénégalais

Le Parti socialiste, l’historique formation politique, crée par Léopold Sédar Senghor, est désormais orpheline. Décédé en France, Tanor Dieng, secrétaire général du parti a été inhumé ce mercredi au Sénégal. La barque socialiste, déjà fragilisé ces dernières décennies, peut-elle poursuivre sa pérégrination ?  Khalifa Sall, l’autre baron du Ps étant incarcéré à Dakar, ce parti divisé dont une branche s’est ralliée aux libéraux au pouvoir a toutes les raisons de s’inquiéter sur son avenir.  Sur la trace des vestiges du parti socialiste sénégalais…

Le Parti socialiste (Ps), c’est le premier et le plus ancien parti politique, créé par le poète et premier président du Sénégal post-indépendant, Léopold Sédar Senghor. Le Ps a règné sur le Sénégal, sans partage, pendant 40 ans (Senghor 1960-1980) et (Abdou Diouf 1980-2000) et a donné au Sénégal des institutions stables, solides et démocratiques. Mais depuis, la perte du pouvoir en 2000, à la faveur du libéral Abdoulaye Wade (2000-2012), le parti socialiste a du mal à rebondir, mieux à reconquérir le pouvoir. A contrario, le parti semble se désagréger peu à peu, gangrené par des divisions et des ambitions diverses de ses cadres.

OTD : un produit qui n’était plus vendable

Choisi depuis 1996 par Abdou Diouf comme secrétaire général du Parti, Ousmane Tanor Dieng avait pris les commandes du plus vieux parti du Sénégal. Mais il n’a jamais pu franchir les marches du palais.Les deux tentatives du désormais ex SG, Tanor Dieng pour se faire élire contre le régime libéral se sont soldées par des échecs successifs. Farouche opposant du nonagénaire Abdoulaye Wade, la première candidature d’OTD à une élection remonte à 2007.  Mais le patron du PS ne récoltera que 14% des suffrages. Il sera, de nouveau, candidat en 2012. Encore un échec. Il se tire avec 11,30% des suffrages exprimés. Il connaît même du recul.

Bouter Wade dehors à tout prix

Dans la perspective du tout sauf Wade en 2012, Tanor Dieng s’était rallié à Macky Sall, lors du second tour de la Présidentielledans le cadre de la coalition Benno Bokk Yaakar (BBY). En retour, Macky Sall nommera quelques cadres du parti dans son gouvernement Aminata Mbengue Ndiaye, ministre de l’Élevage depuis 2012, Serigne Mbaye Thiam, ministre de l’Éducation nationale, entre autres. Mais OTD devra attendre personnellement son tour, alors que Niasse a déjà la présidence de l’assemblée nationale. Enfin, en 2016, suite à la création du Haut conseil des Collectivités territoriales (HCCT), Ousmane Tanor Dieng est nommé président de l’institution. Certains observateurs ont qualifié de récompense de reconnaissance d’un allié loyal dont l’apport électoral est significatif.

La barque Macky prend de l’eau et certains descendent

Mais avant, alors que la gouvernance du régime Macky Sall posait question, certains alliésquittent Benno, y compris ceux du Ps. C’est le cas de Khalifa Sall, l’ex-maire de Dakar qui avait des ambitions clairement exprimées. Certains cadres lui emboitent le pas et lui reste fidèle : Bamba Fall, maire de la Médina, Barthelemy Dias, Sacré-Cœur entre autres. Quand bien même, ils ne seraient pas des poids lourds.

Tanor Dieng, dans l’incertitude, l’horizon politique manifestement sombre a, pour sa part, décidé de s’accrocher et rester loyal au prince Macky. Le Ps sera alors divisé en deux : un Ps à sensibilité Tanor Dieng et un autre Ps sensibilité Khalifa Sall. Entre-temps, le régime pour avoir le boulevard ouvert, avait entrepris d’écarter, par tous les moyens, les potentiels challengers qui lui feraient ombrage dans la cadre de la présidentielle 2019. Chose faite.

Une présidentielle sans le PS

Comme il l’avait promis quelques années plus tôt, Tanor Dieng confirme son soutien à Macky Sall et reste dans Benno Bokk Yaakar.  C’est pour la première fois depuis 1960 que le Ps n’a pas de représentant à une présidentielle. Khalifa Sall qui avait une gestion qui n’est pas irréprochable, à la tête de la maire, tombe ainsi dans le panier. Son sort est scellé pour, n’estiment d’aucuns, avoir refusé de joindre Tanor Dieng dans la majorité présidentielle et garantir la victoire de Macky.Malgré toutes les batailles judicaires épiques, Khalifa Sall est maintenu en prison. Finalement, le Ps n’aura pas de candidat lors du scrutin. L’éloquente avocate MeAïssataTall Sallqui était elle aussi restéelongtemps en désaccord avec Tanor et pris ses distances avec BBY, a fini par rejoindre, contre toute attente, Macky Sall avec son mouvement«Oser l’avenir» dans le cadre de la présidentielle 2019. Idem pour Moussa Sy, le maire de la banlieue Parcelles Assainies (un vivier électoral).

Un Ps qui n’est plus conquérant

Dans une tribune intitulé «Du socialisme conquérant d’hier au socialisme rampant d’aujourd’hui», l’économiste et écrivain, El Hadj Mansour Samb critique les choix politiquesde Tanor Dieng qu’il accuse de perdre la fibre socialiste qui est celle de la conquête, celle des  Blum et autres. «Aujourd’hui le PS est dépourvu d’esprit conquérant et c’est très normal car son leader Monsieur Ousmane Tanor Dieng, vu son parcours, ne peut pas incarner le socialisme conquérant».

«Les socialistes vont oublier l’esprit conquérant du socialisme de Léon Blum, de Mitterrand et de Senghor, pour le confort du pouvoir (postes de ministres, de députés, de PCA, de DG et de hauts conseillers territoriaux)».

Sur les flancs du Parti socialiste

Mais la désagrégation du Ps date des années plus en arrière avec la perte de ses poids lours comme Niasse Djibo Ka et Cie. Imposé à la tête du PS en 1996 par Abdou Diouf lors du « Congrès sans débats» le choix de Tanor Dieng, tout puissant directeur de cabinet du Président de la République d’alors, deviendra ministre d’État sous Abdou Diouf. Ce choix, Moustapha Niasse et DjiboKâl’ont mal vécu et ont été contraints de quitter le navire pour créer leurs propres formations. Depuis, les crises n’ont cessé d’affecterle parti. Avec la disparition d’OTD, l’on se demande bien quel va être l’avenir du parti. Khalifa Sall étant en prison, purgeant une peine pour détournement de fonds, qui va pouvoir rassembler le parti ? Serigne Mbaye Thiam ne fait pas forcément l’unanimité ou n’a pas le leadership nécessaire pour conduire la barque. Quid d’Aminata Mbengue Ndiaye? Pas sûr ! Me Aissata Tall Sall pourrait monter en puissance pendant que Khalifa Sall

Nécessité de rebondir

Tout compte fait, le parti socialiste doit résolument se réformer ou disparaître. Avec un parti comme l’Alliance pour la République (pouvoir) qui est prêt à tout pour cannibaliser d’autres partis et se massifier, ça craint fort pour le Ps. La disparition de OTD peut ouvrir un boulevard plus grand pour Macky Sall pour les débauchages et le recyclage. Le Ps risque une disparition. Il ne serait même pas exclu que le pouvoir propose de fusionner l’APR au PS. Sachant qu’aujourd’hui, il n’ay plus de pudeur dans l’espace politique à retourner sa veste.  Manifestement ce n’est plus une question de ligne politique ou d’idéologie, mais de positions et de postes. Du Ps, aujourd’hui, il ne reste pas grand-chose.

Qui pour rassembler les morceaux ?

Même sorti de prison, Khalifa Sall aura fort à faire pour colmaterles brèches, unifier le parti et partir à la conquête du pouvoir.  Le maire de la Médina interrogé après la disparition d’OTD a révélé que le défunt, avant de partir pour ses soins, à Paris, lui avait fait part de son ambition de reconstruire le parti. «J’ai rencontré Tanor chez lui juste avant son départ à Paris. C’est lui-même qui m’avait appelé. Il m’a présenté ses excuses et m’a parlé de sa volonté de regrouper toute la famille socialiste. Il avait des souhaits très positifs à l’encontre de Khalifa Sall», a dit Bamba Fall qui revendique toujours son appartenance dans le Ps, alors que par moments, il y a  des soupçons sur ses relations avec le pouvoir.

Frédéric Nacère, Dakar, Afrika Stratégies France

 

 

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