GUERRE EN UKRAINE : LE GRAND EMBARRAS DES DIRIGEANTS

Depuis l’invasion de l’Ukraine, Moscou multiplie les contacts avec les dirigeants et les sociétés civiles du continent africain. Du Caire à Dakar, d’Alger à Johannesburg, de Nairobi à Abidjan, l’embarras est palpable entre les appels de l’Occident à soutenir Kiev et la loyauté à Vladimir Poutine.

En fin de semaine, un sommet extraordinaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de
l’Ouest (CEDEAO) a réuni les dirigeants de la sous-région à Accra, au Ghana, autour du Mali, de la Guinée
et du Burkina Faso où plusieurs coups d’État se sont succédé en moins de deux ans. Mais les échanges
informels entre la douzaine de délégations présentes se sont concentrés sur la guerre en Ukraine. Un mois
plus tôt, fin février, les dirigeants africains avaient eu du mal à décider d’une position commune sur la
résolution onusienne condamnant l’invasion de l’Ukraine. Si aucune réunion formelle n’a précédé le vote à
l’Organisation des Nations unies (ONU), les concertations se sont multipliées et finalement, pas moins de
17 pays se sont abstenus, un record, et seulement la moitié des 54 États ont voté favorablement. Compte
tenu des relations multiformes que le Kremlin entretient avec les palais africains, l’embarras prend le
dessus malgré les incessants appels de Washington et des capitales européennes à « soutenir l’Ukraine ».
En attendant, Moscou mobilise les leaders d’opinion et mène en sourdine la guerre de la propagande.
Lire aussi : Guerre en Ukraine : le « doux commerce » n’achète pas la paix.

Une société civile tenue par Bogdanov

Depuis début mars, des leaders d’opinion africains, en l’occurrence des panafricanistes, défilent à Moscou. Le controversé Kémi Seba a même fait une déclaration publique après son entrevue en Russie avec Mikhaïl Bogdanov. Le vice-ministre russe des Affaires étrangères s’entretient régulièrement avec la société civile, très active dans le relai de la propagande de Moscou par les médias sociaux. Nathalie Yamb, Mohamed Keïta ou encore Franlin Nyamsi multiplient les sorties sur Facebook pour soutenir l’offensive russe. Une rencontre de soutien au Kremlin à propos de l’invasion de l’Ukraine est même en préparation et pourrait avoir lieu prochainement à Bamako autour de Sadio Camara, le ministre malien de la Défense et « homme de main de Moscou ». Mais dans l’opinion africaine marquée par les mauvais souvenirs de la guerre, la sympathie semble largement aller à l’Ukraine qui d’ailleurs a multiplié, ces dernières années, des bourses d’études au profit du continent.

Des dirigeants embarrassés

Peu après le début des hostilités fin février, quelques-unes des onze ambassades ukrainiennes en Afrique ont posté sur les réseaux sociaux des messages identiques de recrutement de combattants « pour aller se battre en Ukraine ». Parmi ces messages, celui de l’ambassade ukrainienne à Dakar a eu un énorme écho dans les pays francophones. Dmitry Viktorovich Kourakov, ambassadeur russe au Sénégal, a exprimé dans la foulée « son agacement » à la cheffe de la diplomatie sénégalaise. Aïssata Tall Sall s’en est offusquée immédiatement auprès de Yuril Pyvovarov qu’elle a convoqué. Le représentant d’Ukraine à Dakar a dû supprimer le message même si le vote du Sénégal en faveur de la résolution de l’ONU « a été très apprécié » par Paris, d’autant que Macky Sall est le président en exercice de l’Union africaine. Mais les dirigeants africains ont du mal à se positionner clairement pour diverses raisons. Le Soudan, le Mali et la Centrafrique où est présente la milice russe Wagner se sont abstenus alors que le Burkina Faso, la Guinée, le Cameroun et le Togo dont les dirigeants sont réputés proches de Poutine font partie des huit pays qui ont brillé par leur absence le jour du vote. L’Algérie, dont les relations commerciales avec la Russie sont florissantes, a aussi opté pour l’abstention. Mais la situation devient délicate pour l’Afrique d’autant que la guerre dure, plus d’un mois déjà, et les Occidentaux poussent les gouvernants à exprimer clairement leur position en faveur de l’Ukraine. La promesse faite par Poutine lors du sommet Russie-Afrique en 2019 de multiplier par deux les 20 milliards de dollars d’échanges commerciaux et d’aider « en cas de besoin » à la sécurité des pays fait traîner des pieds les dirigeants africains.

Paris aura tout de même obtenu que « les trois pays représentant le
continent au sein du Conseil de sécurité (Gabon, Ghana, Kenya, ndlr)
soutiennent la résolution » selon plusieurs indiscrétions au Quai
d’Orsay

La pression monte

En marge du vote de la résolution, Linda Thomas-Greenfield, ambassadrice américaine à l’ONU, a jugé « déplorable le vote africain ». Car, malgré les pressions venues des ambassadeurs européens et pour certains de l’Élysée, les dirigeants ont eu du mal à aligner leur position. Paris aura tout de même obtenu que « les trois pays représentant le continent au sein du Conseil de sécurité (Gabon, Ghana, Kenya, ndlr) soutiennent la résolution » selon plusieurs indiscrétions au Quai d’Orsay. Si officiellement, « les États-Unis respectent la souveraineté des pays africains », Molly Phee les appellent à « clarifier leur position sur l’invasion russe ». La secrétaire d’État américaine aux Affaires africaines a d’ailleurs effectué un déplacement sur le continent en début de semaine dernière. Avec des pressions qui devraient monter sur ses dirigeants les semaines à venir compte tenu de la poursuite de la guerre, l’Afrique aura du mal à rester aussi divisée sur la question ukrainienne.

MAX-SAVI Carmel pour L’Incorrect

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