Guerre en Ukraine : la Tunisie dans l’œil du cyclone

« Vu la dépendance de ses importations de céréales [blé dur, blé tendre, orge, etc.] et la flambée sans précédent des cours de pétrole, la Tunisie est obligée de trouver d’autres formules d’auto-immunité face aux potentielles répercussions néfastes du conflit en Ukraine, l’un des principaux fournisseurs de la Tunisie. » La mise en garde est de l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE). Dans un rapport intitulé « La guerre en Ukraine : impacts et mesures à prendre » présenté mercredi 9 mars, à Tunis, l’IACE a appelé le gouvernement tunisien à mettre en place une cellule de crise pour déterminer les options à entreprendre d’urgence en matière de diversification de sources d’approvisionnement en céréales.

La Tunisie, très dépendante de l’étranger pour son alimentation

Pour l’IACE, le problème qui se pose actuellement est la dépendance des importations céréalières, mais surtout un risque de solvabilité élevé. En effet, la Tunisie importe 84 % de ses besoins en blé tendre, pas moins de 40 % de ceux (besoins) en blé dur et 50 % pour l’orge. Et il faut souligner que les capacités de stockage du pays sont limitées à trois mois seulement.

Hier, le président Kaïs Saïed a réagi en affirmant déclarer « la guerre » aux spéculateurs face à une pénurie de produits alimentaires de base comme la semoule et la farine dans un pays déjà en proie à une grave crise politique et financière. Dans ce sens, le gouvernement travaille sur une nouvelle législation prévoyant des sanctions pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement des commerçants impliqués, et qui fera l’objet d’un décret, selon la présidence. La Tunisie enregistre ces dernières semaines une pénurie de nombreux aliments de base comme le riz, la semoule, le sucre et la farine. Les autorités annoncent régulièrement la saisie de quantité de ces produits alimentaires dans des entrepôts illégaux.

D’après les chiffres exposés dans le rapport de l’IACE, la flambée actuelle au niveau des prix du blé et des produits céréaliers pourrait creuser davantage la charge de compensation à hauteur de 1,3 milliard de dinars (environ 439 millions de dollars) supplémentaires, sachant que les charges prévues dans le budget de l’État sont de l’ordre de 2,2 milliards de dinars (743 millions de dollars) pour la compensation des produits de première nécessité.

La sécurité alimentaire menacée

Ferid Belhaj, vice-président du Groupe de la Banque mondiale pour la région MENA, confirme les difficultés à venir. Le conflit en Ukraine « affectera, d’une façon directe, plusieurs économies de la zone MENA [Moyen-Orient et Afrique du Nord], dont la Tunisie, dont l’économie dépend des importations céréalières, particulièrement celles du blé », a-t-il commenté. « Cette crise serait capable de perturber l’approvisionnement des céréales et des oléagineux, mais surtout de mener à la flambée à la fois des prix des aliments et des coûts de la production agricole nationale », a-t-il noté dans un blog de la Banque mondiale. « En optant pour une hausse des coûts de l’énergie et des engrais, soit pour une combinaison des deux dans certains pays de la région, comme la Tunisie, la Banque mondiale est déterminée à renforcer son appui à la production et à la commercialisation agroalimentaire nationale des pays, en plus de la gestion du risque agricole et des réserves alimentaires », a rassuré M. Belhaj. L’institution financière mondiale, a-t-il ajouté, « serait toujours disposée à apporter une aide technique et analytique ciblée, principalement au profit des pays les plus affectés en matière de durabilité budgétaire, sécurité alimentaire, suivi des échanges et gestion des risques ainsi que la réforme des subventions ».

En l’absence de la compensation, alertent les experts de l’IACE, les prix actuels des céréales à l’international pourraient provoquer une hausse de 20 % du prix des pâtes alimentaires par rapport aux cours actuels. « Il sera ainsi vital d’éclairer l’opinion publique quant à la délicatesse de la situation et ses répercussions ultérieures […], force sera de réviser les habitudes alimentaires évitant le gaspillage et, surtout, faire passer l’intérêt général au détriment des intérêts particuliers », lit-on dans le rapport. Parmi les alternatives figure l’orientation des ressources hydriques agricoles du pays vers les cultures céréalières pour espérer la réussite des récoltes futures.

Plusieurs pistes de solutions

Le deuxième volet du rapport de l’IACE concerne les cours du pétrole sur le marché international à la suite du conflit en Ukraine et une éventuelle pénurie d’approvisionnement mondial. L’IACE rappelle que le budget de l’État tunisien pour 2022 a été établi sur la base d’un prix du baril à 75 dollars. Il s’agit d’une charge supplémentaire pour la caisse de compensation d’environ 7 milliards de dinars (2,3 milliards de dollars). Cette charge supplémentaire, explique l’IACE, affectera directement le budget de l’État, qui sera obligé d’élever les prix à la pompe. Par conséquent, tout un circuit sera systématiquement touché, sachant que les deux tiers de la hausse seront au niveau des carburants routiers et le tiers restant concernera la consommation industrielle, d’où un effet direct sur le prix de l’électricité et la compétitivité des entreprises.

Au vu de cet état des lieux, l’IACE propose au gouvernement tunisien d’opter pour les approvisionnements en produits essentiels aux dépens de produits secondaires. Le déblocage de l’aide émanant de l’Union européenne, de 300 millions d’euros pour l’appui budgétaire en Tunisie, serait certainement l’une des réponses d’urgence pour faire face à la situation actuelle.

De plus, les autorités tunisiennes doivent accélérer les négociations avec la Banque mondiale et le FMI pour l’obtention d’une aide exceptionnelle d’urgence qui pourrait atteindre 1 à 1,5 milliard de dollars au titre de l’année 2022, toujours selon l’IACE.

Le tourisme également impacté

Autre motif d’inquiétudes : « Le conflit en Ukraine aura certainement ses répercussions sur le secteur touristique en Tunisie », a déclaré mercredi le ministre tunisien du Tourisme, Mohamed Moez Belhassine. Intervenant en marge d’un forum national sur le tourisme intérieur, le ministre a toutefois assuré que son ministère « veillera à dépasser l’onde de choc de cette crise ». « Plusieurs vols ont été annulés à destination de la Tunisie, d’autant plus que le nombre des touristes russes sera en repli remarquable », a regretté le ministre tunisien. Selon lui, une cellule de crise est déjà en place au sein du ministère du Tourisme, sa principale mission est d’assurer la veille et le suivi des effets du conflit en Ukraine. « Il faut vous dire que cette cellule est en liaison directe avec la plupart des opérateurs touristiques opérant en Russie et en Ukraine ainsi qu’en Europe orientale et centrale », a-t-il indiqué. D’après les chiffres exposés par M. Belhassine, 630 000 touristes russes et 30 000 Ukrainiens ont mis le cap en Tunisie en 2019.

Afrika Stratégies France avec Le Point Afrique

 

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