Accusé pour son silence, l’archevêque de Lyon comparaît devant la 17e chambre du tribunal correctionnel. S’il risque trois ans fermes de prison, le primat des Gaules ne devrait pas se retrouver derrière les barreaux d’autant que les faits, dont il n’est pas personnellement auteur, sont prescrits. Mais il s’agit d’un procès symbolique pour l’église de France auquel le Vatican a soustrait le cardinal Ladaria, prétextant de son immunité.
Le procès du cardinal Philippe Barbarin, 68 ans, s’ouvre ce lundi devant le tribunal correctionnel de Lyon. Le primat des Gaules répond de non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs ainsi que de non-assistance à personnes en péril. Autrement dit, il lui est reproché de n’avoir pas saisi la justice de lourds soupçons de pédophilie pesant sur un prêtre de son diocèse, Bernard Preynat, dont les agissements supposés – objet d’une information judiciaire distincte – auraient commencé bien avant 2002, date de l’arrivée du cardinal à Lyon. Aux côtés de cette figure de l’Église, cinq autres personnes sont citées à comparaître, dont deux évêques français et un haut dignitaire de la curie romaine qui, invoquant son immunité, ne se présentera pas. Les débats sont la conséquence d’une procédure inhabituelle pour un dossier de cette envergure: une citation directe, émanant de dix personnes qui affirment avoir été victimes du père Preynat. Accusations d’autant plus crédibles que l’intéressé a reconnu avoir commis des abus très graves sur de nombreux enfants.
L’un des plaignants, Alexandre Hezez, avait informé en 2014 le cardinal des méfaits du curé dévoyé dont il avait été la victime de 1983 à 1986, et qui étaient donc prescrits. Il avait dans un second temps saisi le procureur de la République, en 2015. Mais, à l’issue de plusieurs mois d’enquête préliminaire, au cours de laquelle le cardinal Barbarin avait été entendu tandis que ses bureaux faisaient l’objet d’une perquisition, le parquet avait classé le dossier sans suite. Pas seulement pour des raisons de prescription, car tous les faits dont le père Preynat serait l’auteur ne tombent pas sous le coup de celle-ci, mais aussi parce que, selon l’analyse juridique des magistrats, les délits dénoncés ne sont pas suffisamment caractérisés.
Multiple scandales à travers le monde
Ainsi, le classement en date du 1er août 2016 relève notamment que M. Hezez est «une personne quadragénaire ne présentant pas […] un état actuel de vulnérabilité ou de faiblesse de nature à l’empêcher de révéler personnellement à la justice les faits subis». Et que sa démarche auprès de Philippe Barbarin «avait pour finalité non pas d’amener les responsables de l’archevêché de Lyon à saisir la justice pénale […] mais d’écarter [le Père Preynat] de toute fonction sacerdotale ou religieuse en relation avec des enfants». Le document note que les faits portés à la connaissance du cardinal depuis son arrivée à Lyon étaient soit imprécis, soit prescrits, ce qui conduit le parquet à écarter sa responsabilité pénale, en dépit des maladresses, pour ne pas dire plus, de certaines de ses déclarations. Le tribunal de Lyon a prévu trois jours pour examiner cette affaire emblématique de l’attitude ambivalente de l’Église face à la dérive de certains de ses serviteurs. Une interprétation contestée avec vigueur par les auteurs de la citation directe. Selon eux, le prélat a su très vite que Bernard Preynat présentait un grave danger pour les enfants. Leurs écrits proposent une manière innovante d’interpréter la loi: selon eux, la non-dénonciation est un délit «continu», ce qui signifie que la prescription court à partir du moment où la commission des faits est révélée. Alors que le parquet, conformément à la jurisprudence, estime qu’il s’agit d’un délit «instantané», prescrit trois ans après sa commission. Le tribunal de Lyon a prévu trois jours pour examiner cette affaire emblématique de l’attitude ambivalente de l’Église face à la dérive de certains de ses serviteurs, alors que les scandales se multiplient à travers le monde. Le jugement sera mis en délibéré. Deux évêques français ont, à ce jour, été condamnés pour avoir dissimulé les turpitudes de prêtres pédophiles: Mgr Pican, évêque de Bayeux, en 2001 (trois mois de prison avec sursis) et Mgr Fort, ancien évêque d’Orléans, en novembre 2018 (huit mois de prison avec sursis). Le cardinal Barbarin encourt cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende.
Un film tourné en secret sortira le 20 février
Grâce à Dieu est un film de François Ozon consacré à l’affaire Preynat. Il sortira en salle le 20 février prochain. Ce n’est pas un documentaire, les protagonistes sont joués par des acteurs. «Le film est un portrait de ces hommes abusés», a expliqué le cinéaste au Progrès. Il dit «comment ils ont libéré leur parole et quelles ont été les répercussions familiales et sociales», souligne Ozon. «Ce film est vraiment raconté du point de vue des victimes.» Quant à son esprit, le réalisateur assure que «ce film n’apporte pas de réponses mais il pose beaucoup de questions». «Un personnage dit que son combat n’est pas contre l’Église, mais pour l’Église, reprend-il. C’est aussi le mien.»Tourné dans la plus grande discrétion à Lyon, en mars et mai 2018, le film réunit notamment Melvil Poupaud, Denis Ménochet et Swann Arlaud. Son titre, Grâce à Dieu,est inspiré d’un lapsus commis par le cardinal Barbarin lors d’une conférence de presse à Lourdes: l’archevêque avait lancé «Grâce à Dieu, les faits sont prescrits!», tout en expliquant les mesures de rétorsion qu’il prenait contre le père Preynat. Le cardinal avait aussitôt corrigé sa phrase, mais cette réplique avait beaucoup frappé les esprits. Elle est devenue comme un symbole du silence de l’Église sur ces scandales.
Le cardinal Ladaria absent à l’audience
Mi-octobre, le Vatican avait refusé de transmettre au cardinal Luis Ladaria Ferrer une citation à comparaître devant la justice française. Raison invoqué, son immunité de juridiction. En tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF), le prélat espagnol jouit de fait d’une immunité, son poste correspondant à celui d’un ministre d’Etat en exercice. Le Vatican a en effet invoqué en septembre son immunité de juridiction pour refuser de lui transmettre la citation à comparaître devant la justice française. Lors d’une perquisition à l’archevêché de Lyon, les enquêteurs avaient pris connaissance d’une lettre du cardinal Ladaria, alors secrétaire de la CDF, conseillant à l’archevêque de Lyon de prendre à l’encontre du père Preynat « les mesures disciplinaires adéquates tout en évitant le scandale public ». Si, en droit canonique, « éviter le scandale » signifie « ne pas fournir à une autre personne l’occasion de pécher », les avocats des plaignants veulent comprendre cette phrase comme une injonction de ne pas saisir la justice, accusant le cardinal Ladaria de complicité. Le Vatican étant un Etat souverain et indépendant, qui a des relations diplomatiques régulières avec la France, le cardinal Ladaria ne derait rien craindre d’autant qu’il voyage, avec un passeport du Saint-Siège, lui garantissant une totale immunité et l’impossibilité d’être interpellé, même sur le territoire français.
Afrika Stratégies France avec Le Figaro