CÔTED’IVOIRE/TUNISIE: Sos, une violente ébullition raciste cible les ivoiriens

Depuis début février et l’assassinat d’une ivoirienne par des guinéens à Tunis, la riposte disproportionnée de la police crée une foire de racisme. Si tous les subsahariens sont visés, les ivoiriens, environ 10.000 dans le pays, sont particulièrement ciblés. Le gouvernement tunisien surfe sur la brèche et favorise la multiplication des actes discriminatoires et souvent violents. Au cœur de la tension. Reportage.

Tunis. Soukra, mosquée Sidi Fresh. Un panneau indique Ariana, quartier populaire de Tunis particulièrement prisé par la communauté subsaharienne. Notre taximan maugrée quelques mots en arabe et occasionne un contournement. « A Ariana on cherche des noirs » traduit-il dans un français approximatif. Mais le message est passé. La veille, le marché improvisé du même quartier où des produits tropicaux se vendent bon prix est vide. Quelques heures plus tôt, la police a procédé à une rafle sélective : « arrêtez-moi tous les nègres! » clamait leur chef. « 200 personnes ont été appréhendées dans le marché » affirme un témoin. En faisant le tour des rues souvent bondées de ressortissants d’Afrique noire, on ne perçoit plus aucun black. L’alerte a été relayée par les réseaux sociaux notamment les groupes WathsApp qui rassemblent les communautaires. Profitant de l’opération de police, les relents racistes refont surface. Alors qu’à El Mansah IV, l’ambassade de Côte d’Ivoire se mure derrière sa clôture, une trentaine d’ivoiriens ont été mis à la porte par leurs propriétaires dans ce même quartier. La raison? Pas un retard de loyer mais une décision unilatérale des propriétaires. L’un d’eux joint par Afrika Stratégies France balance, « je fais ce que je veux » avant de raccrocher après quelques propos insultants en arabe.

 L’ambassade peu réactive

A rue El Mansoura, quartier Menzah, une partie du portail vert ouvre discrètement. Deux jeunes pénètrent la cour de l’édifice. Ils sont théoriquement en Côte d’Ivoire, les dispositions de l’extraterritorialité obligent. Car ici flotte un drapeau orange délavé par quelques années de soleil. Mais il ne sont pas tout à fait à Abidjan. « On n’a pas de quoi payer un billet » avoue Florine. A 24 ans, elle vit en Tunisie depuis 3 ans avec pour objectif de rejoindre Lampedusa, île italienne pour rallier l’Europe. « Il y a quelques jours, une dizaine de mes amis ont réussi la traversée » avoue celle dont deux tentatives ont été vaines. Là, elle abandonne le rêve européen, « en tout cas temporairement » tempère la jeune bétée (ethnie de l’ouest de la Côte d’Ivoire) qui veut retourner à Abidjan. Son cousin avec qui elle vient d’affranchir le portail de l’ambassade espère quant à lui une trêve de la turbulence raciste pour retourner à Sfax, 2e ville de la Tunisie d’où partent « plus de 90% des migrants par la méditerranée » selon un document du ministère de l’intérieur consulté par Afrika Stratégies France à Tunis. Florine et son compagnon d’infortune viennent de rejoindre un groupe de quelques dizaines d’ivoiriens qui affluent depuis le 20 février vers la représentation diplomatique. Car en août 2022, l’ambassade avait annoncé un rapatriement volontaire suscitant quelques centaines d’inscriptions avant de laisser le projet sans suite. « Faute financement » chuchote-t-on à la chancellerie. Pour les ivoiriens, l’ambassade ne les aide pas comme cela se doit, « elle ne nous sert à rien » constate Grâce. A 41 ans, elle a longtemps attendu l’occasion de traverser la méditerranée avant de se raviser. Depuis 4 ans, elle est en couple et se console avec ses deux enfants dont l’aîné, 3 ans, sous son sourire fier, balbutie quelques mots arabes dans sa poussette. Sur les réseaux sociaux, les ivoiriens grondent de colère contre la représentation diplomatique qui « fait avec les moyens de bord ». Un jeune agent consulaire nous a d’ailleurs confié sous couvert de l’anonymat, « on veut sauver tout le monde, mais avec si peu de moyens… ». Car, pour quitter la Tunisie, ce qui est la volonté d’une grande majorité d’ivoiriens, il ne faut pas seulement un passeport et un billet d’avion. « Il faut aussi être en règle » précise Nabel, au risque de « payer des pénalités ». En réalité, si un passeport ivoirien permet d’atterrir à Tunis sans visa préalable, l’arrivant dispose d’un délai de trois mois pour disposer d’un titre de séjour. A défaut, il paie des pénalités mensuelles de 80dt (27€). »Je dois 3000dt (1000€, Ndr) de pénalités » calcule Laurent. Même si ce livreur de 26 ans arrive à acheter un billet d’avion, il lui faudra « payer le pénalités ». Avec son salaire de 300dt, il lui faut pas moins d’une année de travail. Alors, il faut que « l’ambassade négocie avec les autorités tunisiennes pour effacer l’ardoise » préconise Brahim. Du côté de l’ambassade, on clame que des négociations sont en cours. L’arrivée d’un ambassadeur plénipotentiaire aurait pu faire avancer les choses, mais Ibrahim Sy Savané n’est jamais à Tunis. Vivant à l’hôtel, le diplomate reste en marge des réalités et passent mensuellement quelques jours dans le pays. « Tout au plus dix jours par mois » dénonce un de ses collaborateurs. Cet ancien journaliste et ancien ministre de la communication a d’autres chats à fouetter plus qu’un poste à Tunis qu’il méprise à merveille.

Parcours de combattants

Au-delà des migrants potentiels à la recherche du bon tuyau pour traverser la méditerranée, beaucoup de subsahariens viennent pour les études. Ils étaient 7000 en 2022. D’autres s’essaient aux affaires sans sortir la tête de l’eau car il leur est, dans la pratique, impossible de créer une société de droit tunisien. Ils doivent se contenter d’entreprises Offshores souvent incompatibles avec leurs activités. Pour l’obtention de la carte de séjour, tous les demandeurs ne sont pas traités à la même enseigne.  » J’ai une demande en cours depuis 2 ans » déplore Viviane. La trentenaire togolaise doit se contenter d’un récépissé provisoire qu’elle renouvelle contre un pourboire. Au poste de police de Menzah qui enregistre les demandes, une longue queue de subsahariens patientent depuis l’aube. Car les européens suivent une procédure différente et plus rapide, même si avec le passeport vermeille, ils ne risquent presque jamais de contrôles policiers. En allant vers l’aéroport de Carthage pour que l’un des auteurs de cet article entre en France, un agent de police nous arrête. En apercevant un passeport européen, il cible le second. Au bout de quelques minutes de négociations, un billet de 20€ a permis de continuer le trajet.

Pourtout, le concerné dispose bel et bien d’un titre de séjour provisoire et ne devrait pas être responsable des lenteurs de l’administration tunisienne. » La police traîne sciemment afin de favoriser les rackets » dénonce Haziza qui dirige à Carthage une association de lutte contre les discriminations. Sauf que les rafles de la police ce mois de février ne ciblent plus que les personnes en situation irrégulière. « Même des étudiants titulaires de titre de séjour ont été appréhendés » selon de nombreuses sources concordantes. « La police cible juste les blacks » s’agace Laurent, « les plus chanceux sont libérés au bout de quelques heures sur des critères aléatoires » selon l’ivoirien cité plus haut. Un groupe WathsApp communautaire récence au quotidien les « quartiers à éviter » et des témoignages se multiplient. Ce mercredi matin, une ivoirienne dont le témoignage audio fait le tour des réseaux sociaux s’est vu refuser l’achat de tickets de bus.  » le guichetier m’a dit que le bus est plein, pourtant de nombreuses personnes ont pu acheter leurs tickets après moi » s’insurge-t-elle constatant « un acte clairement raciste ». Selon plusieurs responsables des communautés subsahariennes, « la traque policière a favorisé la résurgence d’actes racistes ». Ils tentent comme ils peuvent de trouver des solutions, multipliant des rencontres et concertations.

L’association des étudiants et stagiaires africains en Tunisie a dû, après moult tentatives vaines pour faire appeler les autorités à les « rassurer », exhorter ses membres à, « ne plus sortir pour aller au cours sauf cas de force majeure » selon un communiqué qui nous est parvenu ce 22 février. Le président des ressortissants ivoiriens indexe le Parti nationaliste qui, selon lui, « orchestre une campagne de propagande anti-subsahariens depuis quatre mois ». Bedel Gnabli fustige une campagne portée par les réseaux et ciblant « tous les noirs de Tunisie ». Bedel Gnabli sensibilise les siens à ne pas répondre à la « provocation » et insiste sur la prudence. Contrairement aux nombreux témoignages recueillis auprès d’ivoiriens, il prend la défense de l’ambassade qui « fait beaucoup pour nous accompagner » tout en espérant « une action diplomatique discrète et efficace ». Mais le pire semble à venir.

Le 26 février, the « last ring »?

Toute la journée du 22 février, l’Association des étudiants et stagiaires africains en Tunisie a fait le tour des commissariats pour visiter les personnes arrêtées. Idem pour les responsables de la communauté ivoirienne. Ce qui n’a pas empêché le parti raciste de réagir en fin de journée et d’appeler « à en découdre définitivement avec les noirs le 26 février » donnant rendez-vous à ceux qui « veulent débarrasser la Tunisie de ses malheureux ». Ragaillardis par la sortie du président de la République qui dit « craindre une colonisation de la Tunisie » par des subsahariens, une milice s’est mise en place et promet, dans un communiqué en arabe, « l’enfer aux noirs ». Des événements qui ont poussé davantage, ce 23 février, les subsahariens à se cacher. Même certains chauffeurs de taxi refusent de les prendre pour ne pas « être lynchés ». Ce jeudi, à La Marsa où trône le plus grand centre commercial du pays, Maoïmouna a passé plusieurs heures pour trouver un taxi. Elle finira par se rendre chez-elle à pieds après 1h de marche. « Les chauffeurs ont peur » précise-t-elle. Du côté de la Côte d’Ivoire, si le président Ouattara suit la situation de près, le ministère des affaires étrangères n’a encore annoncé aucune mesure concrète. Etant le plus grand pays francophone de l’Afrique de l’ouest et disposant d’une des diasporas les plus fortes du continent, la Côte d’Ivoire doit trouver, sans délai, une solution. A Tunis, les ivoiriens craignent que le pire n’arrive trop vite et déplorent la lenteur des décisions. Une source gouvernementale a néanmoins confié à Afrika Stratégies France que « des actions se mettent en place ». La plupart des ivoiriens demandent à être rapatriés sans délai.

MAX-SAVI Carmel, Envoyé spécial à Tunis (avec Junior Dassé Gbahore, à Tunis)

 

 

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