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NOUVELLE CALEDONIE : Genèse, étapes, enjeux et perspectives d’un référendum

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Dimanche 4 novembre, cet archipel du Pacifique Sud, colonisé au XIXe siècle et toujours marqué par de fortes inégalités, a la possibilité de quitter le giron français. A la veille du référendum, Afrika Stratégies France vous propose cet article truculent, précis, indiqué pour cerner avec facilité les subtils secrets de cet rendez-vous attendu depuis les accords de Matignon, il y a 3 décennies !

La République française va-t-elle perdre près de 270 000 habitants ? Dimanche 4 novembre, un référendum organisé en Nouvelle-Calédonie va déterminer le futur de cette entité d’outre-mer, dont une partie des habitants réclament l’indépendance. Un éventuel départ constituerait une première pour la France depuis les deux derniers grands référendums de décolonisation aux Comores, en 1974, et à Djibouti, en 1977, et l’indépendance du Vanuatu en 1980. Pour avoir les idées au clair sur ce scrutin, suivez le guide.

C’est où déjà la Nouvelle-Calédonie ?

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Le chef-lieu de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, se situe à près de 17 000 km de Paris, dans le Pacifique Sud. Doté d’un des plus grands ensembles de lagons du monde, cet archipel baigne à l’est de l’Australie, au nord de la Nouvelle-Zélande et à l’ouest du Vanuatu et des îles Fidji. La Nouvelle-Calédonie est divisée en trois provinces : la province Nord et la province Sud, sur l’île principale, et les îles Loyauté (Lifou, Maré, Ouvéa et Tiga), à l’est de la « Grande Terre ». Seule grande ville du territoire, Nouméa concentre dans son agglomération les deux-tiers des 270 000 habitants de Nouvelle-Calédonie.

Ça fait longtemps que c’est français ?

La France de Napoléon III a pris possession de l’archipel en 1853. Elle y a vite installé un bagne, réparti sur plusieurs sites, qui a accueilli jusqu’en 1924 des condamnés politiques et de droit commun. Ces derniers, les plus nombreux des bagnards, sont mis à contribution pour construire des routes et des bâtiments. L’administration coloniale déplace également des autochtones kanaks dans des réserves réparties sur l’ensemble du territoire – les zones confisquées finissent entre les mains de colons ou de bagnards libérés. Après l’échec de révoltes kanakes, notamment en 1878 et 1917, un mouvement de revendication séparatiste s’organise à l’orée des années 1970. Devenus minoritaires démographiquement, les Kanaks sont portés par les idéaux de Mai-68 et la remise en cause de l’ordre établi. Les tensions communautaires s’accentuent et explosent finalement dans les années 1980, où une quasi guerre civile fait quelque 70 morts.

J’ai entendu parler du drame d’Ouvéa…

En mai 1988, 23 gendarmes sont pris en otage par des indépendantistes et l’assaut de la grotte d’Ouvéa pour les libérer fait 21 morts. Cet épisode fait l’effet d’un électrochoc dans l’archipel et ouvre la voie à un travail de réconciliation. Dès juin 1988, les indépendantistes et les loyalistes signent, à Paris, les accords de Matignon, qui prévoient notamment l’organisation d’un référendum d’autodétermination dix ans plus tard. En 1998, l’échéance est remise à plus tard. Avec l’entremise de l’Etat, les deux camps s’entendent sur un nouveau processus de décolonisation par étapes sur vingt ans, formalisé par l’accord de Nouméa. Ce texte fondateur, approuvé par 72% des Calédoniens lors d’un référendum, institue une citoyenneté calédonienne et permet des transferts progressifs des compétences non régaliennes. Surtout, il prévoit l’organisation d’une consultation populaire d’autodétermination entre 2014 et 2018. Le Premier ministre, Lionel Jospin (c), observe une poignée de mains entre l’indépendantiste Roch Wamytan (g) et le non-indépendantiste Jacques Lafleur (d), le 5 juin 1998, après la signature d’un accord à Nouméa (Nouvelle-Calédonie). (MEIGNEUX/SIPA)

Ce référendum va donc voir le jour, enfin !

Trente ans après les accords de Matignon, nous y voilà. Les Calédoniens sont appelés à répondre à la question suivante : Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? Ce sont précisément 174 154 électeurs qui pourront défiler dans l’isoloir. La composition du corps électoral pour cette consultation a fait l’objet d’âpres négociations, si bien que les non-Kanaks arrivés après 1993 ne pourront pas faire entendre leur voix. Les Kanaks, eux, qui ne représentent plus que 39% de la population, sont sur-représentés. Ils forment même 63% de ce corps électoral, selon le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS).

Quelles sont les forces politiques en présence ?

La famille indépendantiste dispose de 25 élus sur 54 au Congrès de Nouvelle-Calédonie, l’instance législative locale. Elle est dominée par le FLNKS, un regroupement de quatre partis politiques, qui appelle le « peuple kanak » à « conclure un combat qui dure depuis 164 ans ». Plus radical et très minoritaire, le Parti travailliste prône, lui, « une non participation massive » au référendum, qu’il juge trop ouvert aux non-Kanaks« Nos militants joueront aux boules ou iront à la pêche », prévient son leader. En face, les non-indépendantistes sont majoritaires au Congrès, avec 29 membres. Divisés, ils mènent campagne sur le terrain autour de slogans tels que « La France est une chance » ou « Pour une Nouvelle-Calédonie dans la France et dans la paix ». En mai, ils ont reçu le soutien (timide) d’Emmanuel Macron. En visite à Nouméa, le président de la République n’a pas souhaité « prendre parti dans ce référendum » mais a affirmé que « la France serait moins belle sans la Nouvelle-Calédonie ».

Les indépendantistes ont-ils leurs chances ?

Elles semblent très minces. Dans une enquête (PDF) réalisée à la mi-septembre par l’institut Harris interactive pour France Télévisions, 66% des personnes exprimant un choix de vote sur le référendum déclaraient leur intention de glisser un bulletin « Non » dans l’urne, quand 34% privilégiaient le « Oui » en faveur de l’indépendance. De son côté, à partir d’une étude (PDF) menée en août, l’institut Quidnovi avançait que « 69 à 75% [des votants] voteraient ‘Non’ à la consultation du 4 novembre 2018″. Il ajoutait que « 52% des Kanaks voteraient ‘Oui’ à l’indépendance, 37% voteraient ‘Non’ et 11% ne savent pas encore ».

Les gens ont peut-être des doutes sur la viabilité du projet indépendantiste…

Oui, bon nombre d’entre eux estiment que, malgré ses richesses, le territoire n’est pas prêt. La Nouvelle-Calédonie possède l’une des économies les plus solides et les plus dynamiques de l’outre-mer français. Sa principale ressource locale est le nickel, qui représente près d’un cinquième du produit intérieur brut local et plus de 10 000 emplois salariés directs ou indirects. « Mais cela ne suffira pas » à combler « les transferts de l’Etat », qui sont « de 140 à 150 milliards de francs Pacifique » par an (1,17 à 1,26 milliard d’euros), estime l’économiste Olivier Sudrie, spécialiste de l’outre-mer. « L’un des handicaps dont souffre la Nouvelle-Calédonie, c’est sa faible compétitivité, ajoute l’économiste. On y est assez peu productifs et les prix et salaires y sont relativement élevés. Donc on a du mal à produire calédonien et encore plus de mal à vendre sur les marchés internationaux. »

On se dirige donc vers un statu quo ?

Pas vraiment. D’une part, en cas de rejet de l’indépendance, l’accord de Nouméa prévoit l’organisation d’un deuxième voire d’un troisième référendum d’ici à 2022. D’autre part, il faut s’attendre à un peu plus d’autonomie pour la Nouvelle-Calédonie, qui « peut être une nation sans être un Etat », comme l’explique le député calédonien anti-indépendantiste Philippe Gomès : Ce n’est pas parce qu’un ‘non’ massif à l’indépendance va être probablement au rendez-vous que le droit à l’autodétermination s’éteint pour autant. Philippe Gomès. L’enjeu sera également de poursuivre le travail de rééquilibrage entamé en faveur des Kanaks, qui restent largement défavorisés, et de construire le « destin commun » prévu par l’accord de Nouméa. « Le 5 novembre, quel que soit le résultat, les signataires devront se parler pour construire la suite, pour faire en sorte qu’au-delà de ce moment binaire où certains diront oui et d’autres non, la Nouvelle-Calédonie puisse construire l’avenir avec un peuple qui souhaite, au fond, vivre et vivre en paix sur le Caillou », a plaidé le Premier ministre, Edouard Philippe, en juillet. Il a depuis annoncé qu’il viendrait sur le « Caillou » le 5 novembre.

J’ai eu la flemme de tout lire, vous pouvez me faire un résumé ? 😉

Dans le cadre d’un processus d’apaisement politique entamé il y a trente ans, près de 175 000 électeurs iront voter, le 4 novembre, pour ou contre l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Dans ce territoire marqué par la colonisation et le cantonnement des autochtones, la principale formation indépendantiste appelle le « peuple kanak » à « conclure un combat qui dure depuis 164 ans ». Les sondages donnent toutefois le camp du « non » largement gagnant. En cas d’échec, les séparatistes pourront compter sur un deuxième voire un troisième référendum dans les quatre prochaines années. De leur côté, soucieux d’éviter de nouvelles tensions, les partisans du maintien dans la France se disent attachés à la construction d’une « nation » calédonienne, à défaut d’un Etat.

Yann Thompson, France Télévisions

Seul le titre initial a été changé et le chapeau modifié

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