COTE D’IVOIRE : Réforme de la Cei, ambigüité, digression et futile guéguerre

Fin juillet, la réforme de la Commission électorale indépendant (Cei) a été actée. Bien que soutenue par la majorité et une large partie de la société civile et de l’opposition, quelques partis la contestent. Le soutien de l’Union africaine et des chancelleries à Abidjan donne toute légitimité à la nouvelle commission.

De 17 membres auparavant, la nouvelle Commission électorale indépendante (Cei) de la Côte-d’Ivoire est passée à 15 membres. Cette recomposition de l’institution chargée de l’organisation des élections en Côte-d’Ivoire répond aux recommandations de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples (Cadhp), qui a rendu en 2016, un arrêt jugeant l’ancienne Cei ivoirienne « déséquilibrée » et « non-indépendante. Désormais chaque composante de la nation ivoirienne s’y trouve représentée. Selon le texte adopté mercredi 3 juillet en Conseil des ministres, la commission centrale de la nouvelle commission centrale de la Cei est composée d’un représentant du Chef de l’État, d’un autre du ministère de l’Intérieur, d’un du Conseil national de la magistrature, de six représentants de la société civile – dont un avocat membre du Barreau, un représentant de la commission nationale des droits de l’homme et quatre d’ONG -, de trois du parti au pouvoir et trois pour les partis de l’opposition. Soit un total de 15 membres.

L’opposition conteste 

La Commission électorale indépendante (Cei), au terme de la modification intervenue le 18 juin 2014 était composée de 17 membres. Seulement, la répartition telle qu’opérée n’était pas du goût de l’opposition politique. Elle y dénonce un déséquilibre numérique. Pour les membres de l’opposition qui réclamaient une réforme profonde, la future Commission électorale prévue par le projet de loi ne sera pas plus indépendante que la précédente. « Pour nous, il faut une Cei débarrassée des représentants des partis politiques, une Cei débarrassée des représentants du gouvernement », avait proposé Alain Lobognon, député du groupe Rassemblement, proche de Guillaume Soro qui du reste prêtait des intentions inavouées au pourvoir : « Il apparaît clairement que ce gouvernement se donne tous les moyens de confisquer le pourvoir. Il se donne les moyens de ne pas organiser des élections en 2020», prédisait-il. Le Pdci a lui aussi marqué son désaccord. « Pour un véritable équilibre au sein de la Cei, il convient de retirer les deux représentants du président de la République et du ministre de l’Intérieur de la liste des membres de la Cei, à l’instar de tous les autres représentants des chefs d’institutions ou des membres du gouvernement qui y figuraient à l’origine », a déclaré le député Marius Konan.

Les griefs portés contre la Cei ont suscité la Saisine par l’Ong Action pour la protection des droits de l’Homme (Apdh) dès la prise de la loi N° 2014-335, de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (Cadhp). Suite  à un arrêté pris à la majorité forte (9 juges sur 10)  et rendu à la date du 18 novembre 2016, la Cdhp enjoint à la Côte d’Ivoire de réformer la Cei. D’une part, la Cadhp a relevé que l’indépendance fonctionnelle de la Commission électorale n’est pas garantie dans sa composition et en conclut qu’en agissant ainsi « la Côte d’Ivoire a violé son obligation de créer un organe électoral indépendant et impartial », et ce, conformément à l’article 17 de la charte Africaine sur la démocratie et l’article 3 du protocole de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), signés par la Côte d’Ivoire.

Le dialogue en panne

Déférant aux exigences la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples qui et soucieux du consensus autour du processus électoral, le Chef de l’Etat ivoirien a demandé au premier ministre d’ouvrir des discussions avec l’opposition et la société civile. Le 21 janvier 2019, dans l’auditorium de la primature, les responsables de partis d’opposition c’étaient réunis. Amadou Gon Coulibaly procédait ainsi à l’ouverture des discussions autour de la réforme de la Commission électorale indépendante (Cei), pour répondre à la   doléance de l’opposition. Sept semaines plus tard, si les différentes parties prenantes se rejoignent sur certains points, la pomme de discorde reste le partage des sièges au sein de la Commission électorale indépendante (Cei). Mercredi 19 juin, le gouvernement rencontrait une dernière fois les partis d’opposition et la société civile pour les conclusions sur l’avenir de la Cei. Non satisfaits, les partis d’opposition ont boudé la réunion. Le Premier ministre se félicite tout de même de ce dialogue qui avait débuté dans un contexte politique de tension entre le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (Rdph) au pouvoir et son ex-allié du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci). « C’est le poids relatif des différents acteurs à l’intérieur de la Cei qui fait l’objet de divergence » a expliqué le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, avant de poursuivre : «  Les partis politiques considérant pour certains que c’est une affaire qui est d’abord politique et qu’ils doivent être représentés en majorité ; et la société civile qui considère qu’elle doit être en majorité pour tempérer les contradictions qui peuvent apparaître ». En dépit du boycott de la réunion par le Pdci, la plateforme Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (Eds), le parti Liberté et démocratie pour la République (Lider) et d’autres partis d’opposition, les conclusions de négociations sont actées dans un rapport. Selon le ministre de l’intérieur, les préoccupations des absents  y ont été prises en compte.

L’opposition ambiguë

Les membres  de l’opposition ivoirienne continuent de nourrir des griefs contre la nouvelle commission électorale indépendante. Alors que la loi portant réforme de la Cei est votée et promulguée, les partis politiques de l’opposition et une partie de la société civile, refusent d’y envoyer des représentants, dénonçant un « passage en force » du pouvoir. Le Parti démocratique de Côte d’Ivoire a annoncé qu’il ne siégera pas à la nouvelle Commission électorale. Le Front populaire, après avoir annoncé qu’il allait aussi la boycotter, crée désormais le doute. Alors que l’opposition a refusé d’envoyer des représentants au sein de la nouvelle Commission électorale indépendante pour protester contre la nouvelle formule adoptée début août, le Fpi de Pascal Affi N’Guessan revient à la table des négociations. N’Guessan a rencontré à deux reprises, le 27 août et le 2 septembre, le ministre de la Défense Hamed Bakayoko pour discuter de possibles évolutions de la Cei nouvelle formule. Pascal Affi N’Guessan se targue d’avoir obtenu un accord de principe sur deux points: le président de la future Cei sera issu de la société civile ; et le poste de Premier vice-président reviendra à l’opposition : « Si nous avons effectivement un président issu de la société civile, et un poste de Premier vice-président, nous pensons que nous aurons une position suffisamment forte et que nous ne ferons pas de la figuration dans cette commission », déclarera-t-il. Un revirement dans sa position qui n’est pas du goût de ses anciens partenaires de l’opposition au sein de la plateforme anti-Rhdp (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix), comme le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci). Cette ambiguïté fait dire à l’acteur de la société civile Geoffroy Kouaho que les hommes politiques ivoiriens ont toujours agi pour leurs intérêts égoïstes et qu’ « il est fort possible que dans les jours à venir, les positions des uns et des autres évoluent ». Côté société civile, Geoffroy Kouaho estime également que la contradiction règne : « Des communiqués contradictoires apparaissent pour dire que la société civile a déjà désigné des représentants au sein de la Commission électorale indépendante, et d’autres communiqués émanant de la même société civile viennent infirmer cette information », renseigne t-il.

Le pouvoir dénonce

Les opposants au régime d’Alassane Dramane Ouattara accusent celui-ci d’introduire des partisans qui lui sont favorables. Mais après les nouvelles modifications, le porte-parole adjoint de la coalition Rhdp au pouvoir, accuse à son tour l’opposition ivoirienne de tentative de blocage du processus électoral. « C’est une attitude de personnes qui manifestement ont d’autres agendas. Clairement, leur volonté était de bloquer ce processus parce qu’il faut que cette commission électorale puisse faire son travail afin que les élections se tiennent aux dates indiquées. Cette opposition est dans une logique de blocage pour que le calendrier électoral ne soit pas respecté. Elle réclame une transition. Mais cela ne se fera pas en Côte d’Ivoire« , déplore Touré Mamadou.

Face à ce tableau sombre de la  situation politique en Côte-d’Ivoire, il est à craindre le spectre de 2010 qui a débouché sur une guerre civile ayant fait 3000 morts.  Les acteurs de la vie politique et sociale à divers niveaux ont tout intérêt à trouver un terrain d’entente pour des élections transparentes et apaisées.

Thomas Azanmasso, Afrika Stratégies France

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